Dans leur dossier de candidature à la Quadriennale de Prague 2023, Céline Peychet et Théo Mercier dessinent les contours du futur pavillon Pays. Dans la continuité de leur travail sur le sable, ce dernier devrait interroger un espace éphémère et fragile, impossible à habiter, questionnant le regard que l'humain porte sur son environnement, sur l'évanescence de la matière autant que du temps.
Pour le Pavillon français de la Quadriennale de Prague 2023, nous envisageons de reconstituer un appartement-témoin à échelle 1:1, entièrement sculpté dans du sable. Sur un ilot d’environ 5x5m, tout le mobilier qui composera cette scène domestique sera sculpté sur place, à partir d’eau et de sable, sur lesquels seront semés des cellules souches de champignons et autres micro-organismes vivants. Ici, un canapé de sable avec des coussins de sable, là, une table de sable avec des assiettes de sable, autour, des chaises et des fauteuils de sable, et là des luminaires, des objets apparemment aimés, des images fantômes, tout ça de sable. Selon la manière dont les regards se poseront à la surface de cet habitat, certain.nes y verront un Atlantide Express en cours d’engloutissement par la matière, lorsque d’autres verront l’érection de nouvelles façons d’habiter nos modèles. L’appartement-témoin pourrait tout autant être le mirage d’un modèle devenu obsolète, que les ruines héroïques avec lesquelles recomposer des formes plus révolutionnaires de vie, de ville, d’économie, d’écologie — jusqu’à nos façons de construire les théâtres, les scènes, les scénographies, les spectacles, les économies de projet, les récits…
Inscrire ce projet dans les anciens abattoirs de Prague, où les bêtes étaient transportées, exécutées et vendues sur place, nous a amené à repenser la signification d’un tel geste artistique. Pendant les dix jours du festival, cette zone autonome temporaire sera soumise à différents facteurs de mutation et d’obsolescence programmées : d’un côté, les micro-organismes inséminés se décolleront peu à peu de la peau du mobilier, ils en défigureront le visage tout en formant son microbiote ; et de l’autre, la présence des visiteur.ses et de performeur.ses invité.es à venir dans l’appartement-témoin menacera la stabilité de cet habitat modèle, ou plutôt de… ce « co-habitat ». Construit sur le modèle du château de sable ou du sablier, l’appartement-témoin est en fait un espace impossible à habiter, car l’habiter serait le détruire ou le transformer. Plutôt qu’un abattoir, nous voudrions envisager cet espace vivant comme son extrême contraire : quelque chose qui tiendrait plus du conservatoire, de l’abri, du vivarium, de la flore architecturale, de la zone à défendre, où chaque espèce sera équitablement responsable du territoire qu’elle conquiert ou qu’elle laisse, qu’elle fertilise ou qu’il stérilise, qu’elle contamine ou qu’elle refuse. Si l’appartement-témoin témoignera d’une chose c’est qu’il n’y a pas d’exceptionnalisme humain sur cette planète, mais que cette prise de conscience nécessite une position qui rime avec inconfort.
Le choix du sable n’est pas neutre, il touche à sa plasticité mais aussi à son attractivité sur le marché mondial : la rareté de cette matière aujourd’hui en voie d’extinction alarmante est à la mesure de la croissance exponentielle des tours et des plages artificielles construites en béton non-recyclable qui gagnent de plus en plus de terrain dans les mers et les ciels. Il s’agit d’abord d’un choix politique de production, car en empruntant du sable local, voire en le « squattant », la sculpture de sable permet de renouveler un répertoire de formes infini sans jamais le posséder, l’immobiliser, le stocker, le transporter lourdement ou le jeter à la poubelle, puisque la matière provient et retourne toujours dans sa carrière d’origine à proximité du lieu de diffusion. D’un point de vue artistique, l’extrême vulnérabilité et l’instabilité de la matière donnera, nous l’espérons, à l’expérience de l’espace le pouvoir d’affecter les corps et les imaginaires, car le sable touche à l’œil autant qu’il touche à la peau et à l’esprit. Avec ce projet, nous imaginons construire un environnement sensible et sensuel dans lequel l’expérience de focalisation et de fascination pour l’infini-petit tiendrait du voyage hallucinogène, un espace-temps où chaque micro évènement provoquerait un effet papillon dans l’imaginaire.
Par la mise en échec de l’humain, le décentrement de la vision, l’absence d’histoires au sens classique et surtout avec une attention toute particulière apportée à la matérialité de la scène et de l’espace, nous espérons déployer d’autres formes dramaturgiques depuis l’arrière-plan, depuis le mineur, depuis le sable : un endroit où la parole serait moins donnée aux humains qu’à l'organique.