L’autrice Pauline Peyrade s’inspire, à travers Des Femmes qui nagent - spectacle que met en scène Émilie Capliez -, de scènes de films des années 1950 à nos jours, de témoignages et d’archives, qui n’en finissent pas de raconter cette fascination exercée par les actrices mythiques.
La première partie « Poème » est composée d’une suite de fragments hétérogènes, morceaux de puzzle soumis à la répétition et à la variation, qui mettent au jour des scènes significatives qui ont marqué les esprits et les mémoires - la description d’intérieurs luxueux d’une vaste maison dont la piscine à l’extérieur tient lieu d’espace privilégié ouvert à tous les rêves et à tous les fantasmes. Des bribes de sons de ces films sont répercutées sur la scène, des refrains habillant les images. Au hasard : « Elle sort de la piscine et marche le long du bassin, des traces de pas à sa suite … » Tout est dit, à quelques variations près, de l’image récurrente d’une femme-sirène, en attente de désir. Et la silhouette longiligne et nonchalante d’Alma Palacios apparaît dans le lointain, une serviette à la main qu’elle traîne derrière soi - élégance et souvenir d’un farniente amoureux.
Le portrait par touches de toutes ces femmes est impressionniste - un regard sur leur rapport au cinéma et à la caméra, à la fiction et à la « pulsion scopique » provoquée par ce 7ème art merveilleux. Un terrain de jeu enivrant pour quatre excellentes comédiennes qui jouent et rejouent telle scène de film ou de tournage évocateur, identifiable ou non, mouvement perpétuel d’aller- retour entre création, invention et poses à travers un état ressenti d’excitation et d’intensité. Sur les plateaux de cinéma, elles incarnent tour à tour l’icône figée dans son cadre, l’actrice en répétition, la réalisatrice en création, la photographe artiste ou encore l’anonyme spectatrice. Une croisière mouvante où les spectateurs sont embarqués, côtoyant de récif en récif ou de film en film, de piscine en piscine, des rappels de Deray, Ozon, Godard, ou Muholland Drive de David Lynch, de Peau d’âne et d’une scène érotique de tel film de Catherine Millet.

Se fait entendre la voix éloquente et significative d’un quant-à-soi et d’une liberté, celle de Delphine Seyrig; apparaît Marie-Antoinette à la perruque neigeuse mangeant des pop-corn - facétieuse Odja Llorca. Toute une nuit de Chantal Akermann est au rendez-vous de la scène inventée de Peyrade-Capliez. Une actrice fait le récit des assignations obligées auxquelles elle consent - avec ironie- comme sans réfléchir davantage. Etre belle et sûre de ses atouts, en remontrer à la caméra et au regard. Des dates sont rappelées: Cannes 2019 et les Césars 2020. Une interprète narre comment, dans les années 2000, jouant une femme de banlieue trompée, elle doit s’affubler de coussinets pour que sa taille soit plus ronde, comme justifiant implicitement les écarts d’un mari quêtant la beauté.
Les comédiennes - Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios en alternance avec Louise Chevillotte, Léa Sery - sont convaincantes de lumière, amusées et amusantes, connaissant leur partition sur le bout des doigts, parcourant l’éventail de toutes les émotions à « se sentir femme » derrière une caméra - se regarder jouer, comme dédoublée, le regard pesant toujours sur soi, si ce n’est en de rares moments exceptionnels où s’impose un lâcher-prise salvateur et régénérateur. Et les atours, et les costumes sont de véritables interlocuteurs pour ces icônes d’un jour ou d’un siècle et plus, conscientes de leur évanescence, leur légèreté, leur insouciance, et leur amour fou de l’image de soi - corps, apparence, image sublime fantasmée et en majesté à offrir au regard. Folie pure et folie durable car ce sont ces poses féminines, ou plus ou moins, qui construisent une mémoire, un imaginaire, un espace où la conscience existentielle de l’art de vivre se laisse saisir. La deuxième partie du spectacle s’intitule « L’ouvreuse », plus mélancolique et attendue, donnant à voir les spectatrices de cinéma, les comportements des habituées, attendus ou troublants.

L’espace est le même, des portes battantes d’entrée de cinéma avec leur petit hublot, des escaliers que l’on monte, des alcôves que l’on découvre, des chutes, des glissades obligées. Sont emblématiques les descentes d’escaliers, même petits et couverts de tapis rouge, les tenues de soirée, les scènes répétitives de chambre à coucher conjugale ou pas, où la femme isolée fait le lit avec soin et se déshabille dans la solitude, déboutonnant patiemment un petit chemisier léger apprêté qui la protège, l’expose dans sa lumière mais l’enferme à la fois dans une tenue stricte. Sans oublier les disputes d’amoureux et d’amants, les séparations et les réconciliations. Un spectacle pétillant d’humour et d’ironie qui dénonce avec esprit les réclusions subies par les actrices, pour d’autant mieux s’émanciper de ces images trop longtemps convenues et admises.
Des femmes qui nagent de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez, du 8 au 19 mars 2023 au TGP - Centre dramatique national de Saint-Denis.