Pour son troisième spectacle, le collectif Mind the Gap joue à nous faire peur. En dévoilant le hors champ de la fabrication de l’horreur, les comédiens laissent la place à la réflexion et à l’humour.
Le public s’installe dans une atmosphère sépulcrale. Un bric-à-bracintrigant attend la venue des cinq comédiens. Leur entrée donne sens à ces objets éparpillés : la première partie du spectacle se concentre sur le travail des bruitages. À grand renfort de papier bulle et de fermeture éclair, les comédiens-bruiteurs recréent avec inventivité et précision l’ambiance d’un camp scout passant la nuit en forêt. Le recours à la fiction sonore insuffle la distance nécessaire pour surmonter l’angoisse de la situation inspirée d’un fait divers survenu aux États-Unis en 1976. Surtout que la mise en scène nous en dévoile les artifices.
La deuxième partie du spectacle s’ouvre sur une scène tout droit tirée d’un slasher movie*. Alors qu’elle épluche ses carottes, une femme seule dans sa cuisine reçoit les coups de fil insistants d’un inconnu… Le ressort comique qui désamorce l’horreur tient cette fois à la répétition ad nauseam de la scène de massacre en y insufflant, à chaque fois, des variations dans un crescendo jubilatoire vers l’absurde. En décalant les codes cinématographiques du film de genre, ancrés dans l’imaginaire collectif, le collectif joue avec les attentes du public.
Aux litres de faux sang, succède l’ambiance ouatée d’un studio de radio. La dernière séquence du spectacle parodie un entretien digne de France Culture entre une journaliste et deux invités spécialisés dans la transposition de l’horreur en art. En même temps qu’ils s’amusent à reproduire le phrasé et les tonalités caractéristiques de l’émission radio, les comédiens soulèvent, via ces personnages fictifs, les éléments de réflexion qui ont motivé leur spectacle.

Entre fascination et répulsion
Par le biais du détournement, le collectif interroge notre rapport ambivalent à l’horreur.Ce mélange de dégoût et d’attraction qui nous pousse à voir, malgré l’effroi suscité par les images. La fausse émission radio qui clôt le spectacle rappelle qu’il s’agit d’un thème ancien. Platon rapporte l’anecdote de Léontios dans La République. Passant devantdes cadavres qui gisent au lieu des exécutions publiques, ce dernier est tiraillé entre son désir de regarder et sa profonde aversion pour ce charnier. Il cède finalement à l’envie de voir l’horreur en face et, en ouvrant grand les yeux, il aurait dit : « Voilà pour vous, génies du mal, rassasiez-vous de ce beau spectacle ! ».
La réflexion ne prend heureusement pas ici la forme d’une thèse didactique, mais relève davantage de la tradition de la catharsis héritée du théâtre grec. Le plaisir pris à la représentation de l’épouvante questionne notre besoin de transformer nos angoisses en fables collectives. J’aurais mieux fait d’utiliser une hache est avant tout un hommage à l’art de transposer le réel et son lot de violence en fiction. Car en dévoilant l’artisanat, le collectif nous parle avant tout de la joie de fabriquer un spectacle.
J’aurais Mieux Fait D'utiliser Une Hache par le Collectif Mind The Gap. Du 7 au 18 mars 2023 au Monfort Théâtre à Paris.