Olivier Balazuc et Thomas Matalou racontent l’histoire d’un homme qui tombe et qui se relève. Un spectacle bouleversant, en forme d’exorcisme à la chute et d’hommage à la force de vivre.
Le chirurgien René Leriche est l’auteur d’un aphorisme célèbre, définissant la santé comme « la vie dans le silence des organes ». Lorsque le comédien Thomas Matalou est tombé, renversé par une automobile, alors qu’il allait acheter des croissants, il a continué à vivre. Il n’a pas continué comme il faisait avant, avec la souplesse féline et la conscience tranquille de celui qui sait à peine qu’il a un corps tant celui-ci obéit bien. Il n’était plus qu’une enveloppe qui contenait des organes fonctionnant silencieusement. À se demander s’il était toujours dedans, question que lui a posé son ami Olivier Balazuc, un jour qu’il venait rendre visite à son corps hospitalisé. Thomas était dedans. Il y avait donc quelqu’un dans cette grande carcasse, tapi à l’intérieur. Ai-je un corps ou suis-je mon corps ? demandent les inventeurs fantaisistes des sujets de dissertation philosophique, comme si l’on pouvait répondre simplement à cette question. Comme si la réponse relevait du tout ou rien… On oublie qu’il n’y a rien de plus lourd, de plus encombrant et de plus embarrassant qu’un corps : c’est quand on l’a le plus qu’on l’est le plus, tant il est pesamment présent quand il s’impose. Pour le comprendre, il faut voir Thomas Matalou mimer les retrouvailles avec la marche, la lecture et tous les gestes que lui fait retrouver la rééducation.

Montrer sans démontrer
Reprenant la définition de René Leriche, Georges Canguilhem l’enrichit dans Le Normal et le pathologique, en précisant le caractère dynamique de la santé, « vérité du corps en situation d’exercice » : « être en bonne santé, c’est pouvoir tomber malade et s’en relever, c’est un luxe biologique ». Tel est le luxe qu’Olivier Balazuc met en scène avec une vérité, une lucidité et une tendresse sidérantes. Thomas Matalou s’est relevé. Et il se relève sur scène en jouant à se relever. « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. », disait Beckett. Mais ce spectacle n’est ni anecdotique ni obscène. On fuirait s’il s’agissait d’une de ces confessions intimes dont les médias raffolent, et qui nous abreuvent du récit des chimiothérapies des célébrités découvrant qu’elles sont mortelles comme les autres humains. Là n’est pas le projet et là n’est pas le propos. Canguilhem encore : « La maladie n’est pas seulement déséquilibre ou dysharmonie, elle est aussi, et peut-être surtout, effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre. » Alors Thomas Matalou danse (belles chorégraphies sous le regard amical de Guesch Patti) et cartographie la terra incognita à reconquérir. Ce qu’il raconte, entre chant et récit, psalmodie et halètement, mots perdus et temps retrouvé, est l’aventure d’une âme qui se ressaisit en réapprenant à conduire son corps. L’effet produit est hypnotique. Le travail mené par les artistes qui ont réalisé ce spectacle est d’une remarquable facture. Tout est montré sans que rien ne soit lourdement démontré. Quiconque connaît la maladie et le handicap connaît les affres de la discrétion qu’ils imposent : ne rien dire, ne pas montrer, avancer. « Figure-toi un danseur de corde (…) S'il regarde en bas, la tête lui tourne ; s'il regarde en haut, le pied lui manque. » Olivier Balazuc en balancier, ainsi va Thomas Matalou, élégant et léger.
Spectacle vu lors de sa sortie de résidence au Théâtre de l’Aquarium, le 14 octobre 2022. Créé au Moulin du Roc, scène nationale de Niort, les 14 et 15 février 2023. À voir à L’Agora, Pôle Nationale Cirque Boulazac Aquitaine les 28 et 30 mars et au Théâtre des Possibles à Perpignan, le 26 mai. Tournée en cours de construction pour la saison prochaine.