Comment être père aujourd'hui ? Du Papa Poule au pater familias, une forme théâtrale itinérante : Élise Chatauret et Thomas Pondevie, à la source du projet scénique, remercient les habitants de Sevran et de Malakoff qui se sont prêtés au jeu de l'entretien, en amont de ce beau Pères.

En effet, suite à une enquête de terrain en 2020 sur la famille, à la Poudrerie à Sevran, Élise Chatauret et Thomas Pondevie, avec des habitants de Seine-Saint-Denis et de Paris-Sud, rencontrent particuliers, professionnels et institutions, voyant un angle mort : l'homme est absent. Aussi - provocation oblige - interrogent-ils la famille à partir des pères. Fidèles au théâtre documentaire, ils multiplient les entretiens et écrivent une partition théâtrale tissée de voix multiples.
Sur le plateau, deux acteurs se saisissent des histoires collectées, dressant une fresque des paternités. Du bureau à la cuisine, de la recette de crêpe au book photo, ils brossent une série de portraits, faisant émerger de nouveaux récits : imaginer la paternité hors du patriarcat… Les acteurs se font courroie de transmission et interprètes, grossissant le trait, réinventent une vraie poétique depuis le matériau documentaire : la fiction et le théâtre font se déployer le réel. Comment fait-on famille ? Quels types de familles rencontre-t-on ? Classiques, recomposées, homo-parentales, monoparentales, d'adoption ? Et quid des nouveaux enjeux politiques et sociaux ?
Les premiers entretiens autour de la famille ont conduit vers des femmes - histoires particulières, et institutions - directrice de PMI, assistante sociale, coordinatrice famille d'une maison de quartier. Soit l'exploration de l'incroyable évolution de la société en quelques décennies à peine, s'émancipant du modèle de l'autorité paternelle traditionnelle mais suivant de profonds atavismes. Ce prisme conduit vers les « hommes du futur », les familles de demain où la question de l'égalité des sexes rejoint l'émancipation du genre - inventivité des rôles et des postures. Apparaissent sur scène les « pères autorité » qui portent les règles et se refusent à la tendresse, les pères absents, les pères fuyants, les pères cassants, les pères économes. Et aussi des pères investis et présents, participant aux soins et à la vie des enfants, autant ou plus que les femmes. Émerge en majesté - sérénité, tranquillité et lumière - un couple d'hommes qui vient d'accéder à la paternité par GPA aux États-Unis. Se dessine en creux la possibilité de paternités alternatives. Les schémas se dérèglent : les hommes se montrent capables de tendresse, de soin et d'amour, et la famille sort de ses sillons préconçus. Cette typologie ouvre à des questions contemporaines : un état des lieux récent du congé parental en France, en Europe et dans le monde, une histoire de la dé-sinstitutionnalisation du pouvoir paternel, un questionnement sur le patriarcat.

À côté des histoires individuelles retracées par les comédiens, abondent en vrac les documents, entretiens audio, textes variés de sociologie, économie… et des tableaux, publicités et photos. Les deux comédiens, dans leurs rôles successifs, écrivent, dessinent, jouent de l'iconographie, aimantent images et icônes sur un grand tableau blanc derrière eux, comme en classe d'école - pléthore de magnets façon personnages de b.d., et traduction des entretiens par le dessin, schématisation d'une fresque de la paternité entre arbre généalogique et typologie des pères. Une puéricultrice raconte l'évolution de l'implication des pères auprès des enfants durant ses trente ans de carrière, et une sociologue de la famille explique ce que la paternité gay apporte aujourd'hui aux conceptions étroites de la figure du père et de la masculinité en général. On entend des extraits du dernier débat à l'Assemblée sur le congé paternité (janvier 2021) laissant affleurer les réticences institutionnelles à l'œuvre. On entend aussi des propos de la sociologue Martine Gross, de l'économiste Hélène Périvier et de la journaliste Victoire Tuaillon. La qualité de père - la paternité - équivaudrait au sentiment paternel, même si on n'est pas le géniteur véritable : « Il voyait Cosette tous les jours, il sentait la paternité naître et se développer en lui de plus en plus, il couvait de l’âme cette enfant (…) » (Hugo, Les Misérables)
Donner la vie, engendrer, donner le jour à un enfant… Et laisser, quand il grandit, les silences s'installer lourdement au lieu de vivre plus « simplement » et éprouver plus « naturellement » la réalité affrontée. L'un raconte la chape de plomb tenue au-dessus de son enfance non éclaircie. Ou encore « Il n'est guère d'homme qui ne possède des enfants ignorés, ces enfants dit de père inconnu, qu'il a faits, comme cet arbre se reproduit, presque inconsciemment. » (Maupassant, « Un fils »). On parle d'autorité ou d'affection du père - bon père, père affectueux et compréhensif, père sévère, père indigne - être parâtre. Traditionnellement, le père est un ascendant mâle au premier degré - père naturel, père légal, avec rôle, avec autorité, avec puissance dans les différents types de famille - famille antique, romaine, relevant du patriarcat. Le pater familias ne signifie pas le géniteur mais le chef de famille. Aujourd'hui, peut être père qui le veut, femme ou homme... Être bon père de famille veut dire assumer son rôle d'une manière sage, prudente et scrupuleuse, quelles que soient les qualifications du père : légal, putatif, naturel, adoptif, nourricier, spirituel. Laurent Barbot et Iannis Haillet livrent sans compter l'intensité de leur belle présence active et amusée - œil vif, en alerte, à l'écoute - l'attention rivée sur le public, diffusant telle petite musique à partir d'une table de bois bureau aux mille fonctions - plaque électrique ou régie radiophonique. Ils sont ironiques et malicieux, mais tout autant graves et réfléchis ou bien accablés - révélant, depuis le regard filial, les souffrances générées non seulement par le statut d'enfant mais par celui de l'adulte-même, avec en échange aussi, les satisfactions, les plaisirs, les bonheurs et les joies.
Pères d'Elise Chatauret et Thomas Pondevie, du 22 avril au 28 avril 2022 au Wake up café à Montreuil, le 23 avril au Centre social Esperanto à Montreuil, le 24 avril au Sample à Bagnolet, le 26 avril au Centre social Lounès Matoub à Montreuil, le 27 avril au Centre Social Guy Toffoletti à Bagnolet, et le 28 avril au Centre social Grand Air à Montreuil.