À la croisée du théâtre, des arts de la marionnette et des arts plastiques, Alice Laloy et sa compagnie S’Appelle Reviens construisent un univers étonnamment sensuel et soyeux. Artiste bricoleuse et rêveuse, la metteuse en scène invente une métamorphose veloutée et multicolore où le poil est une matière sensible, une invitation à un chant velu et poilant, une ode à la douceur et à l’imprévu.
Dans l’espace vide de la boîte noire, les enfants sont accueillis par un roadie, technicien de concert, machiniste itinérant, habitué à pousser des caisses de matériel. Sur le plateau nu, le technicien range, se soucie peu des enfants qui ne semblaient pas prévus dans son programme. Rustre, volontairement décalé selon la convention et les normes admises, il suscite l’attention. Le bougre range, à deux, trois ou quatre éléments, des caisses robustes destinées à placer un instrument de musique dans une soute d’avion, des éléments qui glissent sur des roulettes dans l’espace, si on ne les tient, mais une barrière invisible empêche les enfants de s’en approcher trop.
Rien ne semble prévu : pas de gradin ni de coussins. Seules, ces quelques caisses à roulettes - des Flight cases -, insiste l’acteur qui enseigne la terminologie de son art. On apprend - vérification faite et témoignage à vue - ce qu’est une guinde, un jack, un mousqueton … La guinde est aussi une petite grue à bois qui sert à soulever les fardeaux, et la corde - imprononçable sur une scène - est un câble qui arrime ensemble les portants des décors et les suspend aux cintres. Le spectacle offre la vue de ce mécanisme articulé, entre les étapes successives d’élévation jusqu’à la réussite. La scénographie nécessite l’emploi de ces outils-accessoires dans un final grandiose. Dans l’attente, le suspens est de mise, les petits spectateurs attendent, intrigués, la suite de l’affaire.

Jolie leçon de choses enseignée par des brutes qui n’en sont pas bien sûr, à destination de jeunes enfants et peut-être de futurs techniciens à venir. Ces roadies, face à un public acquis au moindre mouvement, sont des hommes d’âge mûr pour le regard enfantin - des jeunes gens pour nous - , poilus, cloutés, tee-shirts noirs, loups hurlants tatoués et barbus, de vrais dockers du rock. Des caisses roulent dans l’espace - situation étrange -, et apparaissent deux autres techniciens, tout aussi énigmatiques et un poil bourrus. Et c’est un ballet qui débute, au son des guitares électriques, les caisses s’ouvrent, se déplient, crachent leur matériel pour construire le décor.
Les pas de ces géants, même s’il en est un plus petit dans ce trio de gentils démons, sont vifs et empressés. Que nul n’ose - ça craint - les déranger ni désobéir à leurs ordres péremptoires. La rencontre est singulière, comme issue d’un contre-temps, d’un quiproquo à partir de quoi tout se crée et s’invente. Ces drôles de mecs, plutôt sympathiques, sont censés préparer un spectacle. L’espace est vide, et les enfants se retrouvent nez nez avec ces transporteurs. Drôle de casting. Contre-pied des idées reçues, à rebrousse-poil : on a de quoi s’amuser et réfléchir joyeusement. Les enfants sont invités dans ce manège qui n’en est pas encore un, à participer : un véritable champ de construction se met en place. Peu à peu, d’étranges poils poussent sur les corps et la barbe de nos trois roadies, puis tout le décor se couvre de douceur jusqu’au déploiement final.

Qui est le punk ? Qui est l’enfant ? Pas de prince charmant ni de de fée, la tendresse, selon la conceptrice Alice Laloy, n’est pas du côté de l’un ou bien de l’autre, mais de la rencontre des deux: belle alchimie insaisissable dont la magie n’en opère pas moins plus grandement et sûrement. Trois ogres révèlent leur face douce - une réalité insoupçonnée - face aux spectateurs conquis. Chevelures longues d’ogres, méchées, et à tendance cuivre ou rousse de feuilles mortes automnales pour le fond, tandis que des mèches de couleur verte ou violette ou bien rose ou rouge balayent la cime de la coiffure - un rêve d’intégration tendance dans la rue ensoleillée.
Crinière, pelage, tête et queue de cheval, mouton, chèvre, chat, manteau à poil long de chameau ou de dromadaire, poil fauve et indéfinissable : « Le poil de mon ventre (dit la chatte), tout autour, ressemble à un champ de seigle versé sous la pluie. » (Colette, La Paix chez les bêtes) Un rêve d’animal à poils urbanisés, qui ne saurait se séparer ni de son crin ni de ses poils de nos temps préhistoriques où la nature n’était pas encore mise à mal ni souillée par les hommes, des temps auxquels on se réfère quand tout semble fuir de la planète - animaux ancestraux, faune et flore, disparition des espèces - tout en appréciant à rebours et à contre-courant de ces misères, le travail ciselé des cheveux ébouriffés, de leurs effets lumineux : découvrir l’élégance de la caverne. Le final est somptueux, enfants et adultes sont ravis, au sens fort, devant l’émerveillement - le déploiement d’une voûte, d’un immense pin parasol ou plutôt d’un saule-pleureur qui serait rieur et allègre, faisant de sa vêture à jolies feuilles et mèches de couleur, un joli enchantement féérique. Non pas un conte de fée raconté aux enfants mais un songe vécu par eux de manière très intense.
À poils par la Cie S'appelle Reviens. Du 9 au 12 février 2023 au T2G - Théâtre de Gennevilliers Centre dramatique national. Puis en tournée :
- Du 23 au 27 février 2023, à L’Empreinte, Scène Nationale de Brive-Tulle.
- Du 5 au 8 mars, au TAP - Théâtre Auditorium de Poitiers. Du 14 au 17 mars, Malraux, Scène Nationale Chambéry Savoie.
- Du 21 au 23 mars, L’Ernée en Mayenne. Les 26 et 27 mars, Festival Jacobambins, Théâtre en Rance.
- Les 30 et 31 mars, Le Carré Magique, Pôle National Cirque de Lannion.
- Du 3 au 5 avril, Théâtre du Pays de Morlaix.
- Les 8 et 9 avril, Dunkerque.
- Les 17 et 18 avril, Espace Lino Ventura, Garges-lès- Gonesse.
- Les 4 et 5 mai, La Faïencerie, Scène conventionnée de Creil.
- Du 22 au 26 mai, L’Onde, Théâtre Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay.