Un juge italien sort du tribunal et revit ses vies multiples dont il a pu faire l'expérience amère. Il narre son parcours professionnel, s'interrogeant sur la notion de justice : prise de conscience d'une mission et de la valeur d'un serment, engagement dans la lutte contre la Mafia, en Italie et dans le monde ; complicité et liens d'amitié avec d'autres magistrats - combat, sacrifice et engagement.

Le juge est celui qui énonce ce qui est juste, qui fait advenir la justice. Sur le plateau de théâtre, l'auteur et comédien Fabio Alessandrini d'Un Juge ne se présente pas comme détenteur d'un pouvoir : nul amour-propre inconsidéré, nulle pompe de cérémonial judiciaire, nulle richesse des ors d'un palais de justice. L'interprète s'adresse à la salle attentive. Revêtu d'une chemise blanche, d'une cravate et d'une veste sombres, costume sobre et urbain le protégeant, il montre la fonction et cache de prime abord la personne.
Avec humour et ironie, le personnage débute sa prestation en expliquant les incohérences des lois italiennes concernant le meurtre d'un homme sur sa femme, la peine de celui-ci étant souvent fort amoindrie. Puis peu à peu, le tableau s'assombrit et la gravité s'installe au gré d'affaires de plus en plus lourdes et sanglantes, passant de la comédie à la tragédie.
Faire justice revient à régler les différends entre particuliers et à assurer le respect de la loi, tout particulièrement le respect des grands interdits, fondateurs de la société, pour le maintien de la cohésion du groupe, soit la dimension politique de la justice, son caractère public. L'indépendance de la justice est considérée, dans toutes les constitutions modernes, comme la condition permettant à l'autorité judiciaire d'exercer sa fonction de « gardienne de la liberté individuelle ». Le juge n'applique pas la loi mécaniquement, il doit l'interpréter. Aujourd'hui, dans quelques systèmes judiciaires des pays industrialisés, l'image du juge est souvent illustrée par quelques personnalités chargées des dossiers dits « sensibles ». En France, on est passé de l'image du « petit juge » enfermé dans les contraintes de la hiérarchie et empêché de perturber la vie politique ou financière, quand il s'attaque aux délits de grands personnages, à l'image des juges médiatiques symbolisant l'indépendance de la justice.

En Italie, les juges, instruments ou adversaires des abus du pouvoir politique, incarnent parfois le courage devant les menaces de vengeance criminelle - le cas des juges « anti-mafia » est notable. Et quand il ne tue pas, le métier de juge, exigeant et difficile, use à la longue ceux qui tentent de le pratiquer avec intégrité et ténacité. Le personnage - narrateur et interprète - est fils de notaire et ne veut pas reprendre la même charge, préférant mission active de service public, d'aide au bon fonctionnement de la collectivité. Nommé pour son premier poste dans une petite ville de Calabre, il fait ses premières armes contre la Ndrangheta. Il s'occupe de dossiers délicats ; victime d'un attentat, il est nommé à Palerme, confronté à la mafia sicilienne Cosa Nostra. De l'insouciance des études de Droit à la choquante confrontation avec la réalité du terrain, le héros raconte ses débuts dans une terre oubliée des Institutions, laissée à la criminalité organisée. A partir des témoignages et des récits de magistrats, se construit un parcours synthétique et exemplaire d'un juge d'aujourd’hui. Son histoire personnelle, sa recherche patiente et obstinée des causes et des origines des faits, permettent de traverser des moments cruciaux de notre histoire.
Un témoignage sur la collusion entre les Institutions et les Mafias, le sabotage des Pouvoirs à l'égard de la Justice, les batailles contre la criminalité internationale. Ce Juge réinventé - composé d'identités diverses - traverse les temps et les espaces, charpentant un idéal de société. Telle une réflexion sur la frontière entre liberté individuelle et règle commune, responsabilité de décider de la vie d'autrui et de la différence entre justice et loi. Ce qui qui différencie l'être humain des autres êtres vivants, est son besoin ancestral de définir ce qui est juste et ce qui est injuste. Par-delà l'Institution et l'ensemble des articles de loi, la justice est un sentiment, un désir, un horizon à atteindre et à préserver, une utopie à cultiver - un outil d'évolution et d'élévation des esprits, repère pour l'égalité et la protection des droits, idées et valeurs fondatrices de civilisation. Justice des hommes ou justesse de la règle, point de bascule, d'équilibre.
Fabio Alessandrini est tonique, investi peu à peu par son idéal de justice : il s'allonge sur son bureau pour réfléchir, mimant les si nombreuses victimes de mort de la Mafia, à la manière aussi des gisants religieux des églises italiennes - sculptures de marbre blanc allongées sous les autels. Debout le plus souvent, il porte un par-dessus beige sur le bras, prêt à partir, ou suspend le vêtement en entrant dans son bureau, poursuivant ses commentaires d'une situation à vif. Derrière lui défilent des images vidéo - ombres humaines indistinctes, allées et venues. Le juge joue au squash deux fois par semaine : face public, il renvoie sa balle violemment, s'adonnant à cette pratique physique et sportive avec niaque - séance d'équilibre et de réconfort. Il réécoute une bande audio enregistrée où il entend douloureusement sa dernière conversation avec son frère avant même que celui-ci ne soit tué dans un attentat. Le pouvoir politique ô combien compromis avec la Mafia le fait nommer dans une mission internationale en Amérique latine, à Bogota, pour lutter contre le Cartel de la drogue. Il y revit le même drame et les mêmes méfaits contre la justice. Une belle interprétation tirée au cordeau, convaincante et profondément incarnée sur un sujet qui nous interpelle.
Un juge de Fabio Alessandrini, du 20 avril au 1er mai 2022 à la Reine Blanche à Paris. Puis en tournée :
- janvier-février 2023, DSN - Dieppe Scène Nationale, Espace Jean Legendre à Compiègne, Théâtre Jean Vilar à Saint-Quentin.
- Juillet 2023, Festival Avignon Off.