Tout est parti de l’annonce transmise par la documentation d’ARTCENA comme quoi les Éditions Actes Sud lancent, le 14 octobre prochain, une collection dédiée au texte à "une seule voix" intitulée Au Singulier... dont les premiers titres publiés seront :
- Raz-de-marée suivi de Marée Basse de Paul Verrept.
- Elise d'Elise Noiraud.
- Je ne suis plus inquiet de Scali Delpeyrat.
...et alors une autre petite voix, a soufflé…
Le confinement a en effet laissé du temps pour se dire en mots écrits et ouverts sur des espaces dédiés ou pas sur le web, partout.
Comment ne pas remémorer par exemple l’action intitulée Monologues intérieurs portée par le CEAD — Centre des auteurs dramatiques (Québec, Canada) durant ces mois de repli obligé où des autrices et auteurs étaient conviés à lire tout ou partie de leurs textes écrits de leurs confins…1
Toute une myriade de projections « de l’intime » déferlant sur la toile… et quelle trace en restera-t-il en effet ?
Assurément l’annonce de cette collection donne à réfléchir sur ce que ces destins fictionnels ou autobiographiques, ces histoires de solitaires regardant les abysses de l’humain en chacun deviennent.
Leur impression, au-delà de l’émotion, est légitime et pour briser l’idée parfois reçue que le monologue puisse être d’une lecture monotone, monocorde, lancinant et linéaire, on peut convoquer cette analyse de François Rancillac, metteur en scène qui, présentant le texte Le Fils de Christian Rullier, montre combien les explorations intimes d’une personne unique peuvent révéler des personnalités complexes et plurielles…2
Cependant, pourquoi s’arrêterait-on là au risque de laisser dire : « Ah ! il faudrait croire qu’il s’agit d’un genre nouveau parce qu’une maison d’édition lui dédie une collection ? ».
Oui, les éditions Actes Sud contribueront à sortir le monologue de l’ombre timide des grands textes de répertoire où il tient, auprès du grand public, souvent la vedette dans la « très fameuse tirade de… » et elles favoriseront sa reconnaissance solo…
Une nouvelle manière de l’extraire de son confinement (c’est un mal endémique) pour lui donner un caractère de noblesse et montrer que sa petite voix en raconte bien davantage.
Et, le fil peut se dérouler encore... car si ARTCENA se soucie des écrits qui seuls restent dirait le diton, le monologue est aussi (et avant tout ?) un spectacle.
ARTCENA se trouvera bientôt à la croisée d’Actes Sud, en compagnie d'Elise Noiraud metteuse en scène, interprète et autrice publiée dans cette nouvelle collection. Elle interviendra le 9 novembre prochain dans la rencontre intitulée « Collecter des paroles intimes »3 et coorganisée par ARTCENA avec la SACD.
Elise Noiraud présentera sa trilogie « Elise », une saga fictionnelle où elle grandit en trois tableaux qu’elle projette sur scène donnant à voir nos propres souvenirs d’enfance ou d’adolescence.
C’est d’ailleurs dans ce passage à l’espace scénique que l’on s’aperçoit que la « petite forme » individuelle révèle souvent plus d’un personnage et joue en collectif.
Depuis la pandémie de la Covid-19, le monologue, ce « tout seul en scène », marque la sortie de confinement et la rentrée 2020 d’un spectacle vivant qui, lui, se trouve en « toute petite forme ».
Alors ? Doit-on pourtant en conclure : Le monologue... petite forme, pour petit budget et petite distribution ?
Eh bien, s’il peut y avoir du vrai derrière cette déclinaison de crise du Coronavirus, on peut assurément y voir « bien des choses en somme » qui joignent l’utile à l’agréable…
Des auteurs conviés en écriture, par exemple… La Compagnie Anne-Laure Liégeois a fait commande auprès de 12 auteurs dont certains sont déjà connus des dispositifs d'aide d'ARTCENA, d'un monologue parlant à leur manière du "fléau" Covid-19. Elle a été invitée par La Villette début août dernier pour réaliser des répétions avec le public dans le programme "Plaine d'artistes".
Des lieux qui peuvent enfin rouvrir… Matthieu Cruciani, codirecteur du CDN de Colmar en compagnie d’Emilie Capliez, a entrepris de déconfiner le centre dramatique national de Colmar avec quatre seuls en scène dont les auteurs sont choisis en proximité géographique du théâtre.
Des moments de proche complicité avec le public… Les Tréteaux de France, sous la direction de Robin Renucci, imaginent pour la programmation de "L'Île de France en fête", le dispositif de "La Boîte" pour qu'un texte soit dit à l'attention particulière d'un seul auditeur initié ainsi au théâtre et à la poésie, par un comédien.
Créer un laboratoire pour les écritures à jouer en petits espaces… C’est l’un des enjeux du festival pluridisciplinaire Tournée Générale ! dont la programmation est portée par le réseau associatif 12 Bars en scène réunissant des bistrots du 12e arrondissement de Paris et dont le projet artistique s’inscrit dans la promotion des écritures contemporaines.4
Favoriser la coopération, la relation au public, l’ancrage local et les circuits-courts sont les vertus écologiques qui ont été plébiscitées pendant le confinement. Elles semblent dorénavant structurer les projets qu’elles orientent dans le sens des vœux exprimés par les collectivités locales. Beaucoup de ces collectivités ont été les supportrices assidues du spectacle vivant tout au cours de l’été. Elles ont fait connaître à l’Etat, leurs inquiétudes sur le [mauvais] sort réservé aux artistes-auteurs. Elles ont témoigné des nécessités de revoir, pardon de créer, un statut pour eux afin qu’ils puissent toujours accompagner les autres citoyens – leurs contemporains – de leurs imaginaires créatifs jusque dans les temps de crise majeure.
Il a semblé urgent de remettre la représentation en tous lieux, partout où les publics se trouvent et à la rencontre desquels il devient impératif de se rendre. Des personnes âgées dans les maisons de retraites aux enfants des écoles, les adolescents des collèges et leurs aînés des lycées, dans la campagne ou dans les quartiers, plus jamais d’"invisibles" oubliés...
On pourrait inscrire dans cet élan, le patient travail d’exploration de l’oralité que Joris Lacoste entreprend depuis 2007. Pour un spectacle porté par le centre dramatique national de Gennevilliers, il enregistre les voix des habitants de cette ville, de toutes leurs langues qui y sonnent et y raisonnent, pour toutes les faire dire de la voix de l’interprète féminine Elise Simonet.
Cet été, certains comédiens ont endossé des personnages seuls en scène. À repérer cette forme minuscule sur le peu de sites de critiques de nouveau opérationnels alors, on pourrait penser que, si le monologue s’écrit surtout au masculin, il se jouerait peut-être, au théâtre en tous les cas, davantage au féminin. Cela reste à prouver bien sûr…
En revanche pour ce qui est des humoristes, les pro du spectacle solo, il y aurait une surpopulation masculine dans leurs rangs jugés parfois même trop serrés (critère pas très apprécié en période de distanciation sociale). Cependant, ce secteur, bien attaché au spectacle vivant, rit jaune en ce moment comme ses autres parents, et ses petites formes même sur-vitaminées, ont aussi besoin des soins attentifs de l'Etat.
Si l'on ne voit que les dents blanches de rires aux éclats, parmi ces seuls en scène du comique, certains ont décidé d’écrire pour rester debout et faire face à la crise. En osmose avec leur public, ils partagent de manière plus littéraire leur rêverie comique ou caustique et consignent par écrit leur imaginaire fait de leurs mots mêlés à ceux des autres qu'ils côtoient. Thierry Rocher dit « l’Expert » a d’ailleurs décidé de préserver le lien avec son public en publiant ses chroniques chez LEN éditions.
Car pourquoi ne ferions-nous pas cas de ces écritures singulières de ces auteurs en rire ? Pierre Desproges, Raymond Devos, Fellag...
Fellag... dont Michel Didym met en scène Comment réussir un bon petit couscous, interprété par Bruno Ricci.
Que pourrait-on dire de ces monologues qui cisèlent tant la personne de leurs auteurs qu'on pourrait voir leurs émotions sculptées dans un texte de marbre ? Comment s'emparer en deuxième main (et y réussir aussi bien si on en croit la critique) de l'âme de son auteur et l'incarner encore et en corps ?...
C’est Michel Didym, grand diffuseur et connaisseur des écritures dramatiques contemporaines qu’il emporte dans ses moussons, l’été, qui se penche sur la mise en scène de ce texte. Que nous révèlerait-il du monologue écrit et joué et du rire de nous-mêmes ?
Et cet autre amoureux des textes d’aujourd’hui, Jean-Michel Ribes, que nous confierait-il lui qui programme régulièrement Christophe Alévêque et l'a choisi pour déconfiner son théâtre et le rouvrir en vrai, en chair et en os, au spectacle et aux spectateurs ?
Quelle serait la conversation que ces deux personnalités du théâtre reconnues pour leur implication dans la promotion des écritures contemporaines auraient sur la conservation du monologue par l’édition ? Une question pour demain ou un entretien imaginaire que l’on ne trouvera pas (encore) sur le Net…
Le Net… Il y a eu beaucoup de pans de soi écrits et, dits en audios pendant le confinement. Cette nouvelle scène, qu’est devenu le web, a vu monter aussi des monologues ou remontrer d’anciennes productions à l’occasion du déploiement des ressources culturelles auquel on a pu assister.
Il en va de célébrités qui se sont lancées, seules, sur la scène d’Avignon avant l’été 2020 bien sûr et d’autres repérées par Arte…
Et outre atlantique, sur Internet à cause du Coronavirus, le service culturel de l’Ambassade de France à Chicago offre la neuvième édition de son festival Seuls en Scène grâce auquel il exporte les auteurs contemporains francophones ou français.5
En cette rentrée, le centre national dramatique du Limousin, le Théâtre de l’Union, a lancé quant à lui une série de monologues issus de textes de répertoires, en audios. Ils font redécouvrir le plaisir de se passer des yeux pour voir entre les lignes des textes magistraux…
Et si l’on veut vivre des moments d’émotion en direct, la Comédie Française programme actuellement son festival Singulis qu’elle a initié en 2015 au Studio Théâtre et où elle met seuls en scène les acteurs de la Troupe…
Tout cela peut être retrouvé, si l’on veut lire plus loin.
Ce qui reste à voir…
- 1. Monologues intérieurs présentés par le CEAD—Centre des auteurs dramatiques (Québec, Canada). https://www.facebook.com/groups/2491445584439218
- 2. Cent monologues pour un portrait / Le Fils, de Christian Rullier, 1985 - Point de vue de François Rancillac, metteur en scène. Le 7 (°) aparté [pdf] (clicici) https://www.editionstheatrales.fr/files/files/aparten7-theatrechoral-5e26f5f915589.pdf#page=4
- 3. Rencontre ARTCENA/SACD Témoigner de soi, le 9 novembre de 14h30 à 16h30 à la Maison des Auteurs de la SACD, Paris https://www.artcena.fr/actualites/vie-professionnelle/rencontre-artcenasacd-temoigner-de-soi
- 4. Tournée générale ! : Un festival d’art en bars pour diffuser le spectacle vivant https://www.artcena.fr/actualites/vie-professionnelle/tournee-generale-un-festival-dart-en-bars-pour-diffuser-le-spectacle
- 5. Seuls en Scène French Theater Festival. Online Event | Sept 10-20, 2020. https://arts.princeton.edu/news/2020/08/seuls-en-scene-virtual-french-theater-festival-at-princeton/ Depuis 2012, le Princeton French Theatre Festival Seuls en Scène, organisé par Florent Masse, présente des auteurs, acteurs et metteurs en scène français célèbres et émergents au public américain et francophone. Cette année, en raison de la pandémie COVID-19, la 9e édition du festival, du 10 au 20 septembre, sera en ligne. Il propose 12 événements qui incluent des enregistrements de performances en direct d'œuvres contemporaines récemment présentées en France, des lectures enregistrées et des conversations avec les artistes, en direct sur Zoom, et sur l'état actuel du théâtre en France. A noter que le festival est gratuit et ouvert au public.