Depuis 2015, Alexander Vantournhout a créé une œuvre singulière, quelque part entre le cirque, la gymnastique, la danse contemporaine, la performance et peut-être même la sculpture. Cette œuvre, qui s’ancre de manière claire et univoque dans le cirque, dépasse en même temps les frontières disciplinaires en y intégrant organiquement d’autres pratiques artistiques, non pas par souci d’effet de mode, mais parce que son projet n’est rien d’autre que la création d’un nouveau langage corporel. Ce langage, il est et se veut circassien, certes, mais il ambitionne également de proposer une corporéité autre, qui refuse tout format préétabli et qui questionne ainsi les représentations hégémoniques de nos corps telles qu’elles structurent la société occidentale. Dans ses spectacles, Alexander Vantournhout explore, en présence du public, les limites et les possibilités de son corps (et des partenaires, s’il y en a), non pour les exposer comme un effet de bizarrerie, mais pour analyser comme une société fait corps.
Le langage corporel d’Alexander Vantournhout traverse différentes pratiques artistiques. Deux lignes structurent sa pratique. Chaque spectacle se veut une nouvelle exploration du potentiel kinésique et créatif de la physicalité, essaie de repenser ce que peut être un corps, son rapport à l’équilibre, la contorsion, la gravité. En même temps, il questionne le rapport entre performer et objet : comment un objet peut prolonger le corps et même devenir un corps à part entière, et, inversement, comment le corps lui-aussi est un objet qu’on peut manipuler, adapter, réinventer.
L’art d’Alexander Vantournhout est curieux, excitant, même spectaculaire puisqu’il met en jeu un contrôle physique et une technicité corporelle d’une grande virtuosité. Il est donc profondément technique, il veut valoriser le métier du circassien, dans toute sa splendeur. En même temps, son art ne se réduit pas à la spectacularité. Il vient d’un travail très poussé, tant technique qu’intellectuel. Chaque création propose une réflexion critique sur le travail corporel lui-même, en l’exposant dans toute sa complexité et sa vulnérabilité, au lieu de le dissimuler, comme certains spectacles circassiens qui se veulent virtuoses tentent de le faire. L’art d’Alexander Vantournhout, comme l’écrit si bien la critique Charlotte de Somville dans Etcetera, « ne veut pas aveugler, il veut se révéler lui-même, en perçant le mensonge, en rendant visible et palpable tout le travail qui sous-tend ce même art ». Certes, la chorégraphie circassienne de Vantournhout s’appuie sur une technicité très poussée, sur une exploration du corps jusqu’à ses limites, mais elle bien plus que cela : elle propose une pensée corporelle, qui dépasse de loin le grand canyon occidental entre l’esprit et le corps, entre le contrôle technique et l’investissement total. Alexander Vantournhout pense avec et dans le corps.
Chaque création naît d'une investigation approfondie du mouvement qui interroge sans cesse le cirque sur sa propre grammaire. Alexander Vantournhout essaie ainsi de démonter le cirque, comme une vieille voiture, non pour en prouver l’inefficacité ou l’obsolescence, bien au contraire, mais pour ensuite le reconstituer et donc le réinventer. Le résultat de ce travail de décomposition et de recomposition n’est pas la négation du cirque mais le retour au cirque. « Ça pourrait être du cirque »", c'est ce que pense le spectateur. « Mais aussi bien de la danse. Ou les arts martiaux, ou la gymnastique. Ou la performance », ajoutera prudemment ce même spectateur. Dans l'univers d’Alexander Vantournhout, tout peut devenir autre chose : un corps un objet, un objet un partenaire. Un spectacle est une enquête approfondie sur le pouvoir de transformation du corps humain.
Dans un processus de répétition classique, l’artiste vise en général à atteindre la meilleure version du spectacle rêvé. Une fois trouvée, il en fixe les contours et essaie de s’en approcher le plus possible pendant les représentations. Dans les productions d’Alexander Vantournhout, rien n'est figé et chaque mouvement doit être recrée, tous les soirs. Chacune sonne le début d’une nouvelle exploration du corps, de l’objet, du temps, de la scène. Dans ce sens, cet art circassien se rapproche de la performance et son statut hic-et-nunc. Toute phrase circassienne est un début et non la réactivation d’un schéma préétabli. Cette intensité constitue la beauté de ce langage, qui n’existe que dans le moment partagé de la séance elle-même, où performers et spectateurs construisent ensemble l’expérience du spectacle.
Dans la jeune œuvre d'Alexander Vantournhout, un motif est central : chercher, tâtonner et bouger. Chaque représentation est un test de concentration extrême. Au lieu d’exécuter soigneusement ce qui a été préparé, elle est une quête renouvelée, une nouvelle rencontre avec les corps, les équilibres et la gravité. Cette quête requiert une attitude spécifique de la part des spectateurs. Ils sont invités à vibrer avec le corps des interprètes. Et c'est pourquoi les performances exigent autant de concentration de la part de l'interprète que du spectateur.