Notamment formé par le metteur en scène polonais Krystian Lupa, Krzysztof Warlikowski fut l'assistant de Peter Brook, de Gorgio Strehler ou encore d'Ingmar Bergman. Les années 1990 voient fleurir ses premières productions importantes sur la scène polonaise. Sa mise en scène du Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès lui vaudra une réputation d'artiste « provocateur ». À partir du début des années 2000, il élargit sa palette théâtrale à la mise en scène d'opéra au-delà des frontières de son pays natal.
Les premiers pas
Krzysztof Warlikowski naît en 1962 dans la ville portuaire de Szczecin, à la frontière de l'Allemagne et de la Pologne. Szczecin a appartenu successivement aux Polonais, aux Prussiens puis aux Allemands, jusqu'en 1945. Les Polonais, chassés des territoires occupés par l’Union Soviétique, s'y installent dès la fin de la seconde guerre mondiale. Autant d’événements qui ont contribué à constituer Krzysztof Warlikowski et à déterminer l’esprit de ses créations. Le 13 décembre 1981, le général W. Jaruzelski proclame l'état de siège en Pologne. Un couvre-feu est imposé. Des arrestations d’opposants se succèdent. Outre ce climat d’oppression, le pays est coupé du monde, les magasins sont vides. En décembre 1982, une levée partielle de la loi martiale est décrétée. De nombreuses personnes choisissent l'exil. En 1983, à 21 ans, Krzysztof Warlikowski quitte la Pologne et se rend à Paris pour étudier l'histoire du théâtre antique à l'École pratique des hautes études, ainsi que la philosophie et les lettres modernes à la Sorbonne. Qu'est-ce qui l'a poussé à sauter le pas ? Il semble qu'il s'est agi pour lui, avant tout, d’une quête d'identité et de liberté, de s'ouvrir des horizons et de pouvoir être lui-même dans sa différence. Dans les années 1980 en France, il fréquente surtout les opéras, le ballet, puis le théâtre, notamment le Théâtre des Nations et Les Bouffes du Nord. Il ne sait pas alors qu'il deviendra, dans les années 1990, l'assistant de deux grandes figures de la scène européenne : Giorgio Strehler et Peter Brook. « Peter Brook m’a appris le dépouillement, confiera-t-il dans un entretien (Mouvement, n°44, 2007), à viser l'essentiel sans se perdre dans l'art théâtral. Je m'affranchis de plus en plus des préoccupations formelles. Lorsqu'on pénètre vraiment dans les zones les plus secrètes, les plus inquiètes, de soi-même, l'esthétique passe au second plan. La forme vient de la profondeur du propos et dans le travail avec les comédiens »
Six ans plus tard, juste après que le système communiste en Pologne commence à s'effondrer dès 1989, il rentre en Pologne et intègre l'École nationale de théâtre à Cracovie jusqu'en 1993 afin d'y suivre les cours de mise en scène prodigués par Krystian Lupa, dont il dira ensuite : « On devrait tous rencontrer quelqu'un comme Lupa le plus tôt possible dans la vie ». Krystian Lupa se souvient de l’examen d'entrée de Warlikowski. « La commission, absolument emballée par son dossier de mise en scène des Aveugles de Maeterlinck, était intriguée par ce séduisant garçon aux cheveux noirs. Il impressionnait autant les femmes que les hommes. Warlikowski est resté silencieux un long moment, puis il a brièvement répondu, comme s'il était incertain de ses phrases. Était-ce vraiment lui qui avait préparé son dossier ? Les doutes de la commission se sont dissipés dès lors qu'il a présenté des scènes de la pièce qu'il avait préparées. Il devait être admis, c'était certain. »

En 1991, Krzysztof Warlikowski assiste Krystian Lupa sur Malte ou le triptyque du fils prodigue, d'après Rainer Maria Rilke, au Stary Teatr de Cracovie. Pour son spectacle de fin d'études, l'année suivante, il choisit Auto da fé, d'Elias Canetti, puis met en scène Les Nuits blanches d'après Dostoïevski, sur la scène de l'École du Théâtre de Cracovie. À Wrocław, en 1994, il présente l’Affaire de la rue de Lourcine, de Labiche. En dernière année à l'École de théâtre de Cracovie, de 1992 à 1993, il est l'assistant de Peter Brook aux Bouffes du Nord à Paris, qui travaille alors sur Impressions de Pelléas, d'après Pelléas et Mélisande de Debussy et Maeterlinck. Plus tard, il sera également l'assistant d'Ingmar Bergman et de Giorgio Strehler. Ses premières productions importantes sur la scène polonaise – La Marquise d'O de Heinrich Von Kleist (1993) notamment – ont lieu au Stary Teatr de Cracovie. Au Nowy Teatr de Poznan, il s'attelle, en 1995, à la création de Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, ce qui lui vaudra une réputation tenace de provocateur. Le public français le découvre avec éclat, en 2002, lors du festival d’Avignon, avec Hamlet de Shakespeare et Purifiés de Sarah Kane. Krzysztof Warlikowski sera désormais convié à travailler au-delà de la Pologne au théâtre mais surtout à l’opéra.
Nowy Teatr

C'est en 1999 qu'il entame une collaboration de plusieurs années avec le Théâtre Rozmaitości (renommé depuis TR Warszawa) de Varsovie, où il créera sept spectacles en tout (Hamlet, les Purifiés, les Bacchantes, la Tempête, le Dibbouk. Entre deux mondes, Krum, et les Anges en Amérique). Presque tous viendront en France dès 2002 et rencontreront un succès immédiat. Krzysztof Warlikowski est un homme très beau, délicat. Doté d’une profonde sensibilité, il n'apparaît jamais brutal dans son rapport à autrui. D'un abord réservé, on peut le trouver distant, lorsqu'on ne le connaît pas. Il est très fidèle en amitié. Entré dans son cercle, on y demeure pour toujours.
En 2008, il fonde à Varsovie le Nowy Teatr avec un groupe de fidèles collaborateurs : le dramaturge Piotr Gruszczynski, l'administratrice Karolina Ochab, la scénographe Malgorzata Szczesniak et le compositeur Pawel Mykietyn, ainsi que de nombreux acteurs qui l'ont suivi depuis son départ de TR Warszawa. En mai 2009, il met en scène la première création du Nowy Teatr, (A)pollonia, basée sur les textes d'Eschyle, J.M. Coetzee, Euripide, H. Krall et Jonathan Littell. Demeuré longtemps sans lieu, le Nowy Teatr pose ses valises en 2016 dans d'anciens ateliers de la ville de Varsovie fraichement rénovés. Devenu désormais un lieu de dialogue et de promotion du théâtre polonais, mais aussi d’artistes étrangers invités, le Centre international de la culture Nowy Teatr, particulièrement prisé des varsoviens, est un vivier d'explorations où l'on aime poser des questions profondes sur la condition humaine.
Mettre en scène pour l’opéra
En 2000, Krzysztof Warlikowski fait ses débuts en tant que metteur en scène d'art lyrique, avec The Music Programm de Roxanna Panufnik, à l'Opéra National de Varsovie. Depuis, ses productions sont représentées partout dans le monde, à Bruxelles, Berlin, Munich, Madrid, Amsterdam, Londres, Salzburg. À l'Opéra national de Paris, il met en scène de grands classiques du répertoire : Iphigénie en Tauride, l’Affaire Makropoulos, Parsifal, le Roi Roger, le Château de Barbe-Bleue, la Voix humaine, Don Carlos, Lady Macbeth de Mzensk. « L'opéra est une prison, déclare-t-il (Rzeczpospolita, 2004, n° 224), dans laquelle il nous faut parvenir à créer une enclave de liberté, c'est un problème fondamental, le plus important. Le rôle du metteur en scène est de faire entrer de la vie dans les structures rigides imposées par la partition et la convention figée ». Et c'est bien ce qu'il fait, en modifiant le livret, en y insérant des passages issus d’autres textes, s'efforçant de rendre plus humains les personnages et d'y instiller des relations complexes, en usant d’une direction d’acteurs quasi cinématographique. Il ne redoute pas de faire fi des conventions en transgressant les règles établies. C’est pour cette raison que ses mises en scène sont souvent perçues comme sulfureuses, voire scandaleuses. Mais n’est-ce pas précisément ce que l’on attend de Krzysztof Warlikowski ?
