Métilde Weyergans et Samuel Hercule s’emparent de contes populaires et de grands classiques pour porter sur le monde contemporain un regard bien à eux. Avec une fantaisie critique. Toujours un peu de biais.
Ali Baba et les 40 voleurs, Frankenstein, La Barbe-Bleue, Blanche-Neige, Hamlet… Autant d’histoires connues de tous, et même de ceux qui ne les ont pas lus. S’en saisir est une manière pour La Cordonnerie d’embarquer tout le monde, de poser des bases communes pour mieux nous dérouter, ouvrir nos yeux sur des thématiques sociales et politiques telles que la pauvreté et marginalisation de certaines populations. « Tout le monde arrive avec une idée en tête et repart avec autre chose », disent-ils. Et que nous racontent-ils ?

© Sébastien Dumas
Derrière un premier plan qui déroule presque immanquablement une histoire d’amour, le scénario propose un arrière-plan plutôt sombre. D’Ali Baba dans sa station-service paumée en rase campagne (Ali Baba et les 40 voleurs (2006)), à Pierre, écrivain solitaire et plume d’un autre dans Ne pas finir comme Roméo et Juliette (2020), la plupart des personnages de La Cordonnerie sont des êtres à la marge, perdus, parfois fous, des rêveurs et des solitaires, peu faits pour le monde dans lequel ils évoluent. Barbe-bleue évidemment, Hamlet aussi et Don Quichotte, bien sûr, sans parler de Frankenstein. Mais aussi dans Hansel et Gretel (2014), où Jacob (le double de l’un des deux frères Grimm ?), au chômage, qui vit avec ses vieux parents Hansel et Gretel dans une caravane, se laisse convaincre par une ogresse (représentante d’un monde libéral et déshumanisé) de les abandonner dans la forêt. Il ne s’agit plus d’enfants abandonnés mais de parents perdus. Notre rapport à la vieillesse est ainsi passé au crible. L’envers du décor de la merveilleuse maison en sucre et en pain d’épices…
« Ce sont ces personnages-là qui nous touchent le plus, ce sont eux que l’on peut habiter car ils ne sont pas formatés » expliquent Métilde Weyergans et Samuel Hercule. « Ils sont les mieux placés pour décrire le monde qui les entoure. Ils offrent plus de possibilités, ce sont ceux avec qui, nous auteurs, nous pouvons voyager, avec qui nous nous sentons plus libres. »
Extrait du spectacle Hansel et Gretel
C’est du moins ainsi qu’apparaissent les personnages masculins de La Cordonnerie, car les féminins sont souvent plus décidés, plus agissant. Dans Ne pas finir comme Roméo et Juliette, un spectacle qui parle d’invisibilité, c’est Romy l’héroïne. Elle vit dans un monde à part, invisible pour les autres , mais c’est une championne, elle bénéficie d’une reconnaissance, elle a son public, elle s’inscrit dans une société, même si celle-ci est également invisible, reléguée de l’autre côté du pont, tandis que Pierre, qui vit du côté privilégié, apparaît très seul. Le plus marginal des deux, c’est lui.
Ces personnages masculins sont des contemplatifs, des mélancoliques, des témoins d’un monde qui disparaît, tel le « héros » de Dans la peau de Don Quichotte (2018). Un monde qui ne tourne plus très rond, où les vieilles personnes, les pauvres et les étrangers sont relégués… Plus ça va, plus les adaptations de La Cordonnerie s’éloignent du modèle d’origine. Certes, il faut avoir pas mal d’imagination pour loger Blanche-Neige dans une tour HLM de Berlin-Est (Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin (2015)) mais, pour le reste, la trame respecte relativement bien les passages obligés du conte : le miroir, le chasseur… Dans Ne pas finir comme Roméo et Juliette, ils installent un rapport très libre à l’œuvre. La référence à Shakespeare est induite par le titre et certains détails diffus comme le chat Othello, mais la dramaturgie élisabéthain, qu’ils avaient suivi de près avec leur (Super) Hamlet, ne demeure ici qu’une présence fantôme.