Où commencer pour définir ce qui fait œuvre, dans le parcours d’une autrice-metteure en scène-comédienne dont le parcours artistique est précisément un tissage entre l’écriture, l’espace public, la mise en scène, le jeu, le compagnonnage ? Car il y a de la démesure – mot qu’elle affectionne – dans le parcours de Marie-Do Fréval, qui pourrait donner lieu à un inventaire à la Prévert : des créations déclinées en diptyques, triptyques, feuilletons, des installations, des déambulations, des performances, de la direction d’amateurs, des interventions dans l’espace public… Tentative de démêler un écheveau échevelé, et forcément partiel, où l’on part des années 2000 : celles du choix de l’espace public, de la création de la compagnie Bouche à Bouche, et des débuts de l’écriture de ses spectacles.
S’il faut un nouveau point de départ, à mi-parcours d’une carrière de comédienne déjà kilométrique, situons-le dans le 14e arrondissement. C’est là que Marie-Do Fréval vit, c'est là qu’elle ouvre l'atelier Enfant Phare, troupe de jeunes réunie pour expérimenter et créer. C’est là qu’elle fonde en 2003 une troupe de comédiens chanteurs musiciens au sein de la compagnie Catherine Hubeau.
Marie-Do Fréval cite le Cabaret feuilleton comme sa première écriture pour la rue. L’ambition est de concurrencer la télévision avec la forme du feuilleton qui a traversé les siècles mais que seuls les arts vivants n’ont pas adopté. En amont de sa création, en 2001, Marie-Do Fréval a participé à Marseille à un vaste chantier sur le cabaret politique en compagnie de Jean-Louis Hourdin, Eugène Durif, et Nadège Prugnard, alors comédienne, et qui se lance pour la première fois dans l’écriture. On est au lendemain du choc du 11 septembre, qui selon son expression, « fait vriller la tête ». Le chantier est un temps assez intense, qui va donner des ailes aux deux comédiennes pour leur propre écriture. Pour le Cabaret feuilleton, Marie-Do invite Nadège à la rejoindre dans un processus de collectes de paroles dans les quartiers populaires du 14e arrondissement de Paris.
Le Cabaret feuilleton réunit une troupe de dix comédiens-chanteurs – « il fallait une grosse bande pour que ce soit joyeux ! » – et va se décliner en quatre épisodes, jusqu’en 2006. Il s'appuie sur un travail de territoire, et des interviews de ses habitants, retravaillées en textes et chansons. Son dernier épisode, Gare Gare, transporte le public dans l’ambiance d’un hall de gare où se croise toute une humanité en effervescence, dans une frénésie de circulation et de mouvement qui invite les spectateurs à danser, à jouer la foule des voyageurs, à brandir un drapeau…
Cette création marque aussi son ancrage dans le 14e arrondissement, qu’elle n’a cessé de sillonner et d’explorer. Exploration ponctuée de lectures spectacles, d’interventions dedans/dehors avec l’Atelier Décharge public, sa troupe d’amateurs, comme avec la Cie Bouche à Bouche. C’est d’une exploration du 14e souterrain que naît Col'Eros, en 2007 : elle a demandé aux habitants d’inviter la compagnie dans leurs caves. On y descend avec des bougies et on s’y raconte des histoires, drôles, tristes ou horrifiques. « Je trouvais que la vie en surface était insupportable et qu’il fallait aller sous la ville pour avoir un espace de liberté ! » Cette descente dans les entrailles du quartier, à laquelle s’ajoute une collecte de lettres auprès des habitants, nourrit Col'Eros, l’histoire de deux adolescents qui se retrouvent dans les souterrains, parce que leur amour ne peut pas se vivre à l’air libre.
Créée d’abord au Théâtre de la Tempête sur un texte d’Anne Avrane, Cœur de vaches (2008) va aussi voir un troupeau de (fausses) vaches arpenter le 14e arrondissement. La genèse de cette pièce devenue déambulation est caractéristique de la démarche de Marie-Do Fréval. Elle encadre un atelier d’écriture aux Rencontres de la Cartoucherie, et soudain, le personnage de la vache engraissée pour son lait et sa viande s’impose, comme une métaphore de nos renoncements et passivités. Elle lance « Ce qui m’intéresse, c’est d’écrire pour les vaches ! » et, de là, surgit cette impressionnante création avec douze comédiens, assortie d’une ambiance sonore tissée de meuglements et de cloches. Il y a là tous les ingrédients qui la caractérisent : la volonté d'interroger le corps social et son inertie politique, en jouant du burlesque, de l’outrance, de la fantaisie libertaire au service d’un propos grave.