« Réenchanter le monde ». La formule peut résonner aujourd'hui comme une tarte à la crème. Mais quand on crée des jardins sur des toits d'automobiles, qu'on transforme un théâtre en village utopique, une place de village en cinéma, une école en théâtre, des rues de banlieues en décor de western, on participe de ce qu'il faut bien appeler le merveilleux.
L'utopie, Opéra Pagaï la revendique depuis ses débuts. La majorité de ses créations, foisonnantes, relève moins du spectacle que de la transformation éphémère de la ville et de la vie. Mais si le registre du merveilleux, du rêve, de la joyeuse pagaille est sa palette de prédilection, elle ne se cantonne surtout pas au mièvre rose d'un monde de bisounours. Au contraire, la fiction à l'échelle d'une ville, d'un territoire est prétexte à révélation : celui des multiples absurdités d'un monde en crise dont l'imagination est probablement le seul salut. Quand la compagnie bordelaise met le monde en fiction, c'est aussi à coup de sabotages discrets pour que cette fiction agisse sur le réel et le rende plus désirable. Et son travail veut aujourd'hui approfondir cette dimension subversive : après nous avoir offert des années durant des utopies éphémères, Opéra Pagaï œuvre aujourd'hui à des îlots de joie pérenne, sous forme de jardins, ou en imaginant une fiction dans une vaste zone naturelle. L'équipe a rêvé son monde, observé et joué avec le monde extérieur ; elle assume aujourd'hui, plus que jamais le rôle de l'art dans sa transformation.