Lectrice passionnée, citoyenne engagée, Périne Faivre est une metteuse en scène à la parole vive et franche. Son théâtre, solidement campé dans l'espace public, se nourrit tant d'une grande sensibilité que de convictions. Questionnements et engagements jalonnent son parcours intellectuel qui passe par la littérature, la sociologie et la découverte des valeurs des arts de la rue.
Au théâtre du réel
Jeune fille rangée dans une « famille de classe moyenne à fort capital culturel »1 , Périne Faivre évolue dès l'âge de cinq ans dans deux univers différents à la suite du divorce houleux de ses parents. Chez son père, elle bénéficie avec ses trois sœurs d'une éducation structurante et bienveillante assez stricte tandis qu'elle vit, au sein du foyer maternel, avec son frère, un quotidien plus permissif et festif. Plutôt docile et scolaire, elle trouve à la MJC un exutoire à ses émotions et fréquente assidument les lieux de spectacle. Le théâtre la démange très tôt. À quinze ans, sa rencontre avec le Théâtre du Réel est une révélation. Le metteur en scène Yves Doncque, féru d'éducation populaire, dirige cette compagnie qui officie dans des endroits insolites. Périne Faivre y découvre un théâtre politique et physique où masque, musculation et arts martiaux s'associent à la commedia dell’arte. Elle y affûte sa foi en un art qui « change le monde ». Malgré une proposition d'embauche après le bac, elle préfère tenter le Deust théâtre (diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques, une formation en deux ans) puis trois concours d'écoles nationales. Elle échoue.

Se confronter au théâtre du réel, c'est alors changer d'air : elle part pour la fac de Lettres à Aix-en-Provence. En 1995, des mouvements de grève et des manifestations s'y invitent. C’est l'année où elle rompt avec les injonctions familiales : elle sèche les cours, touche « gentiment » aux produits qui délient l'imaginaire, envisage une vie communautaire. Elle perd sa bourse. C'est le pas de côté. Rompant avec l'obéissance de la « petite fille sage », elle se découvre meneuse de grève, elle qui avait déjà soutenu un conflit dans sa classe de sixième.
Elle tombe amoureuse des penseurs du mouvement, étudiants en psycho et socio. Par ricochet, dans ce chaos politique, elle s'initie avec ravissement aux sciences humaines, à l'anthropologie. Elle étudie désormais la sociologie et s'éloigne en conséquence du théâtre bourgeois « fils à papa » : elle prend ses distances vis-à-vis du Théâtre des Ateliers dirigé par Alain Simon, formation qu'elle suivait jusqu'alors et qui lui apparaît trop cérébrale et élitiste.
- 1voir parcours biographique dans Déambulations culturelles, Et toi, tu fais comment?, éditions 1000 kilos
Les prémices des Arts Oseurs
Chaussant désormais les lunettes de la sociologie, Périne Faivre vit une révolution bourdieusienne : « Il faut absolument être éclairé sur les conditions de sa propre aliénation pour pouvoir s'émanciper de cette reproduction de l'inégalité sociale. C'est le rôle des intellectuels de sensibiliser les classes sociales. » Elle arrête le théâtre… pour mieux le reprendre, tout autrement ! Dans une grange, elle invite un collectif autogéré et décide de monter un spectacle avec, déjà, des velléités de jouer dehors. Ce groupe mixte se réduit rapidement à un cercle restreint de filles ultra motivées qui écrivent une fable satirique. En 1998, cette farce tourne dans les petits villages de l'Hérault, à la Molière, avec parade, jeu, public incertain et rémunération au chapeau.

L'aventure se poursuit en duo avec Charlotte Tessier : ensemble, elles font le pari de la professionnalisation, créent la compagnie Les Arts Oseurs et débutent une nouvelle création, Au plaisir. Au terme d'un an de collecte de parole sur le thème de la sexualité, selon une méthodologie ethnologique, elles aboutissent à une pièce-témoignage. Celle-ci, accompagnée d'un débat, tourne pendant dix ans hors des circuits culturels, dans les maisons de quartier, les lycées, les associations, les prisons, les plannings familiaux. S'affirment une volonté de toucher les publics dits empêchés et une approche du théâtre comme un outil d'agitation sociale et politique.
Le propos contient déjà en germe certaines réflexions féministes qui innerveront Les Tondues des années plus tard.

En 2003, Périne acquiert le statut d'intermittente et se lance dans Valises qui porte la trace de son expérience du juge pour enfants et de la famille recomposée.
S'il y est question de grandir avec des parents divorcés, le propos traite aussi, plus largement, des ruptures et des exils.
S'ensuit l'achat d'une caravane transformée en bel objet pour recueillir de la parole et des dessins en itinérance dans les villages, au pied des immeubles ou dans un quartier gitan. Le spectacle, sous l'allure d'un petit campement, se métisse avec des siestes sonores.
L'équipe prend une couleur foraine et s'élargit avec la rencontre déterminante du comédien et musicien Renaud Grémillon.
Entrée dans la famille des arts de la rue
À la suite d'un tirage au sort, la date de la première tournée en milieu rural a lieu dans la Vallée du Salagou. C'est le coup de cœur : Les Arts Oseurs, toujours travaillés par le jeu « hors des théâtres » s'installent à côté du lac en 2005. Cette équipe élargie impose un budget plus conséquent. La compagnie postule pour participer à Chalon dans la rue. Périne Faivre, metteuse en scène enthousiaste d'un spectacle « cousu et décousu », vit au festival un moment fondateur : accueil chaleureux du public, fête clandestine, after explosif dans une cour, curiosité des pros… Ce qui se joue n'est pourtant pas encore tout à fait du théâtre de rue. La découverte de ce milieu coïncide toutefois avec ses valeurs.

C'est le moment que choisit Charlotte Tessier pour se consacrer à des projets plus personnels. Périne scelle une complicité forte avec le peintre Moreno, Julie Levavasseur qui va porter administrativement la compagnie, et le musicien Renaud Grémillon avec qui elle forme un couple artistique fusionnel. Ce tournant les entraîne tous quatre vers les grands spectacles à déambulation dans l'espace public, la « forme d'or » de la rue, qui va bientôt être une de leurs marques de fabrique. Une identité s'affirme : un théâtre pluridisciplinaire qui se baigne dans le réel, fraie dans la ville, se fait « parole-relais » en prenant la sociologie pour alliée.
Ensemble, travaillés par le texte puissant du chanteur et écrivain Magyd Cherfi, ils font appel à des collaborateurs artistiques comme la plasticienne Isabelle Bach. En 2012, à Chalon et Aurillac, c’est l'emballement : le spectacle bénéficie d'un très bon bouche à oreille. La tournée de sept mois qui suit leur fait rencontrer les « vieux de la vieille » des arts de la rue. Périne découvre des histoires de vie et de création de lieux, acquiert la reconnaissance des pairs.
Les créations s'enchaînent, le prix SACD « arts de la rue » en 2020 couronne la qualité et la singularité de son écriture pour la rue. On la sollicite désormais pour des missions d'accompagnement à la dramaturgie. En mars 2022, à Mende, elle fait partie des organisatrices des Belles Sauvages, rituel de « retrouvailles manifestives » selon leurs propres mots, pour redonner du sens aux arts de la rue après les épreuves de la crise sanitaire.
Belles Sauvages à Mende le 18 mars 2022
