Depuis sa jeunesse où il s’est frotté aux pédagogies nouvelles, jusqu’à sa formation artistique et intellectuelle, le metteur en scène polymorphe a presque toujours baigné dans des lieux de formation et d’expérimentation qui ne brident pas l’imaginaire. Rien d’étonnant à ce qu’un vent de liberté souffle sur ses créations.
Comme les boulangers, de père en fils...
Né aux Lilas, dans la fameuse maternité post 70, Philippe Quesne vit ses premières années à Champigny-sur-Marne et rejoint l’École Decroly quand il a une dizaine d’années. C’est une école comparable à celle de Freinet, un lieu de pédagogie nouvelle, expérimentale, parallèle, qui donne très tôt aux enfants la possibilité d’inventer leur programme : mathématiques toute la semaine ou cinéma d’animation… « On laisse l’enfant face à ses choix », explique le créateur polymorphe, qui a visiblement penché du côté de l’animation en conservant un goût prononcé pour la liberté. Philippe Quesne reconnaît que cette école a sans doute influencé sa manière de créer en dehors des cadres traditionnels. Ainsi que sa lignée…
Sa mère enseigne la philosophie dans des lycées. Son père, scénographe, travaille pour le théâtre jeune public, notamment avec la compagnie Daniel Bazilier au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, avec Arlette Bonnard et Alain Enjary, issus de la bande d’Antoine Vitez, mais aussi pour le cinéma comme chef-opérateur. Dès son enfance, Philippe Quesne assiste aux répétitions au TGP de Saint-Denis mais aussi au Théâtre des Amandiers, Centre dramatique national de Nanterre, avec qui il a décidément une histoire particulière, puisqu’il en a pris les rênes de 2014 à 2020. À l’époque pourtant, il ne comprend pas que la scénographie est une discipline en soi. « Quand un de tes parents travaille dans ce domaine, tu trempes dans la marmite sans visualiser que c’est un métier. Comme les boulangers, de père en fils… »
Écoles émancipatrices pour créateurs émancipés
Après l’École Decroly, Philippe Quesne intègre l’École Estienne, un cursus de diplômes des métiers d’arts graphiques où il apprend la gravure, en particulier la taille d’épargne destinée à réaliser la monnaie, l’illustration, l’étude documentaire ou encore la typographie. Il fréquente cette école d’art graphique très technique pendant trois ans avant d’entrer à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. « J’étais loin du théâtre à ce moment-là. Je rentre d’ailleurs aux Arts-Déco avec le rêve de faire des films d’animation et pas spécialement de la scénographie. Je faisais beaucoup de dessins et j’avais envie d’inventer mes films. » Plongé dans les univers de cinéastes tchèques, polonais, russes, belges, qui animaient des objets et des matériaux, comme Jan Švankmajer, des gens qui grattent la pellicule, des créateurs comme Norman McLaren…, il découvre finalement la section de scénographie alors pilotée par Jacques Le Marquet. Ancien scénographe de Jean Vilar, de Claude Régy ou de l'architecte Jean Nouvel, Le Marquet proposait un enseignement par contournement, visant à explorer des disciplines connexes ou parallèles (scénographie, peinture, musicologie, cinéma, histoire de l’art, philosophie, sciences humaines…) et favorisant le travail en groupe.
Grâce à cet enseignement éclectique, Philippe Quesne expérimente des outils scéniques, le son et l’image, et s’oriente ainsi vers la scénographie pour développer des projets de performance. Pour son diplôme de fin d’études, il adapte La Vie des termites de Maeterlinck, en croisant le texte du dramaturge belge publié en 1926 avec Le Dépeupleur de Beckett, écrit un siècle plus tard en 1970. Ce premier spectacle créé aux Arts-déco inaugure le style particulier du metteur en scène-entomologiste, qui observe sans relâche la vie humaine et animale pour penser et créer ses œuvres scéniques.

La décennie scéno
Âgé de vingt-deux ans en 1993, le jeune diplômé sort de l’école sans l’audace ni l’envie de créer ses propres pièces. Il rencontre immédiatement des metteurs en scène qui lui proposent de devenir scénographe. Grâce à une première expérience avec la compagnie Premier Baiser de Valérie Jallais autour des Guerriers de Minyana en 1993, il rencontre la famille « Minyana/Giorgetti/Cantarella/Renaude », et enchaîne les projets scénographiques en commençant par Madame Ka de Noëlle Renaude, mise en scène par Florence Giorgetti (2000). Il accompagne Robert Cantarella sur de nombreux spectacles, notamment un Hamlet de Shakespeare fraîchement traduit par Markowicz (1998) ou Les Travaux et les jours de Michel Vinaver (2003).
Durant dix ans, de 1993 à 2003, Philippe Quesne réalise de nombreuses scénographies pour des spectacles, mais aussi pour des expositions d’art contemporain. Muséographe, il invente des lieux et des espaces pour présenter des peintres, des sculpteurs, des installations… Pendant une décennie, il se réjouit d’accompagner des démarches d’auteurs, de metteurs en scène, d’architectes : « J’étais de l’autre côté, la personne qui prenait soin de l’espace des autres, jusqu’au moment où ma place est devenue un peu ambiguë, où il est devenu difficile de savoir ce qui relevait de la mise en scène, de la direction, de l’écriture… »
Pendant une décennie, le projet mature et tout bascule en 2003. Philippe Quesne lance l’aventure de la Compagnie Vivarium Studio avec l’invention simultanée de La Démangeaison des ailes. Pour cette première pièce sur le thème des illusions et des échecs, du désir d’envol et de la chute, l’équipe artistique assure tout simplement les répétitions dans l’appartement de Philippe. C’est le début d’un mode de fabrique qui allie l’artisanat à l’art, et c’est l’envol immédiat pour la compagnie ! La Démangeaison des ailes connaît le succès dès sa présentation à La Ménagerie de Verre à Paris en 2004, et tourne régulièrement à travers le monde, de New York à Rio de Janeiro...
Peu à peu s’affirme le besoin d’un outil pour produire ses spectacles et accompagner les artistes en affinités avec son univers. En 2014, Philippe Quesne est nommé à la direction du Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national qu’il transforme en lieu d’inventions esthétiques à la croisée des arts, des idées et des enjeux de société. En 2019, il conçoit d’ailleurs les pavillons français à la Quadriennale internationale de design et d’architecture théâtrale de Prague comme des installations scénographiques, dont Microcosm qui manifeste son engagement écologique et remporte le prix de la section Pays et régions. Reparti un temps sur les routes, c’est à La Ménagerie de verre que Philippe Quesne s’installe en 2022… retrouvant ce lieu parisien atypique où il a débuté.

Quadriennale de Prague 2019.

Prague 2019.
Créer des mondes possibles
De 2003 à nos jours, le Vivarium n’a eu de cesse de créer – ou de chercher- des mondes possibles. Au gré de plus de vingt spectacles, on retrouve des éléments communs d’un théâtre en kit, reconnaissables esthétiquement d’une pièce à l’autre. Qu’il travaille avec des collaborateurs humains ou qu’il emprunte aux poétiques de l’objet, Philippe Quesne creuse de plus en plus cette question : « Comment montrer sur scène un microcosme possible et habitable ? »
Ses pièces peuvent être utopiques, comme La Démangeaison des ailes qui célébrait l’élan créatif, ou dystopiques quand les humains de Cosmic drama (2022) ne savent comment habiter notre terre. Elles sont parfois mélancoliques lorsqu’une ronde de squelettes envahit un cimetière de pianos dans Fantasmagoria (2022) ou romantiques avec l’élégante mise en scène des éléments dans Le Chant de la terre de Gustav Mahler. Elles ont un trait commun : utiliser le théâtre comme un lieu propice aux expériences devant les spectateurs, planter des groupes qui expérimentent sur le plateau, sans maîtriser leur destin, et qui osent essayer, rater, recommencer. Inventer des aventures collectives, comme dans La Mélancolie des dragons…, avec un groupe de hard-rockeurs rêveurs qui construisent un parc d’attractions.