Thomas Quillardet aime démystifier le processus créatif. L'inspiration arrive au hasard des associations, de ses recherches documentaires et de l'actualité qui rythme son quotidien. Sur les planches, l'essentiel de son travail se joue dans la direction d'acteur où il ne laisse rien au hasard.
La mise en pièce d’un sujet inédit
Comment naissent les idées ? Chaque créateur a une réponse singulière, plus ou moins mystérieuse. Thomas Quillardet, lui, est un homme qui commence par faire des listes. « J'ai en permanence un carnet avec moi, explique-t-il. J'y note le nom des acteurs qui me plaisent, les auteurs qui m'animent, les sujets d'actualités qui m'intéressent et enfin, les associations qui me paraissent originales ; c’est généralement le point de départ de toute chose. »
Ensuite, pour éviter de céder à un enthousiasme prématuré - une inclination naturelle du jeune homme -, il met ses idées à l'épreuve du temps. Il se promène, s'occupe des siens, va au théâtre… Et si au bout de trois, quatre semaines, l’une d'elles lui plaît toujours, il se lance dans des recherches et se documente. Par exemple : « Est-ce que l’histoire de la privatisation de TF1 a déjà été racontée ? La question de l'homoparentalité a-t-elle été traitée sur les planches ? Ma responsabilité de créateur consiste à m’emparer de sujets inédits. » En ce sens, avec son désir de nouveauté, Thomas Quillardet est plus proche d'un réalisateur de cinéma (ou de séries télé) que d'un homme de théâtre tourné vers le répertoire.
Mais dès qu'il s'agit de passer à l'acte, la question ne fait plus de doute : l'artiste est bien metteur en scène pour les planches. « L'une des interrogations qui me stimulent le plus est celle de la configuration du public, poursuit-il. S'agit-il d'une pièce écrite pour être jouée en appartement, sur une scène ou dans une cave ? Les spectateurs doivent-ils être disposés tout autour des acteurs ou face à eux ? Ces interrogations déterminent tout le reste. » Pour Ton Père de Christophe Honoré, Thomas Quillardet opte pour un dispositif quadri frontal (les gradins, peu élevés, se situent des quatre côtés de la scène). Loin d’être un artifice, celui-ci nous plonge dans l’intimité du personnage incarné par l’excellent Thomas Blanchard. On est invité dans son salon, projeté dans l’évanescence de ses souvenirs d’enfance, immergé dans les méandres de son esprit en plein doute. Cette invention est certainement l’une des plus belles trouvailles de la pièce.
L’obsession de la limpidité
Ensuite, c’est la direction d'acteur qui l'obsède jusqu'au soir de la première. Thomas Quillardet n'a pas fait le Conservatoire, il ne revendique aucune méthode particulière et ne cite aucun mentor. « Avec Arnaud Meunier, Philippe Carbonneaux ou Annie Noël, qui ont été mes professeurs aux Ateliers du Sapajou, j’ai appris la rigueur. Mais je ne m'inscris dans aucune école théâtrale. » Avant de devenir directeur d'acteur, le jeune homme était comédien : il met en scène en partant de son expérience personnelle. « J’accompagne beaucoup, note-t-il. Je cherche avec eux la justesse et la précision de l'émotion. Mais je suis avant tout préoccupé par la générosité de la performance : il faut que ça joue. J'essaie systématiquement de repérer quand les interprètes se mettent en pilote automatique, ce qui finit souvent par arriver au fil du travail. » Après la création, Thomas Quillardet assiste aux représentations, il observe, prend des notes et tente, quand c’est nécessaire, de rectifier le tir. L'objectif étant la limpidité du propos. « Je ne donnerai pas de noms, mais lorsque j’étais plus jeune, j’ai vu trop de metteurs en scène se moquer de la compréhension et du plaisir du public. » Et il martèle avec conviction : « Il faut que le théâtre parle aux gens. Il faut que le théâtre soit populaire. Il faut que les spectateurs se retrouvent dans les personnages. La plupart des artistes de ma génération partagent ce souhait. » Thomas Quillardet appartient à la génération de Jean Bellorini, Julien Gosselin et Thomas Jolly, qu'il cite en référence.
Les nouveaux arrivants dans son équipe technique sont généralement déboussolés tant la direction d'acteur occupe la place centrale de son travail. « Je me soucie des costumes, des lumières, du son et de la musique quelques jours avant la première, explique-t-il. À part la scénographie, évidemment, que j’envisage en amont de la création… » On se souvient de la belle invention de James Brandily sur Où les cœurs s'éprennent, d’après Éric Rohmer. Les acteurs jouaient sur une immense feuille de papier blanche remontant en fond de scène. Au fil du spectacle, celle-ci était déchirée, dessinée, retournée. Le contraste entre ce décor abstrait et les enjeux réalistes de la pièce était saisissant. Mais quand il s'agit de nommer ses collaborateurs les plus proches, l'artiste cite ses trois productrices : Fanny Spiess, Maëlle Grange et Marie Lenoir. « Si je n'arrive pas à susciter leur enthousiasme, je laisse tomber. »
Après son dernier spectacle, Une Télévision française, Thomas Quillardet a l'intention de souffler. Un an, peut-être deux. « Après chaque spectacle, j’ai besoin de me dire que je peux arrêter. Au fond cette remise en jeu est un moteur créatif. Une façon de faire renaître le désir. » Celui-ci renaîtra, c'est une évidence. Comme en témoigne la densité de son œuvre, le jeune homme de 42 ans est un hyperactif. Pendant ce temps, il écrira pour le jeune public, sûrement, et continuera à traduire des pièces portugaises, certainement… Par ailleurs, ce ne sont pas les sollicitations qui manquent. Le Festival d'automne lui a passé commande. Le jeune homme est actuellement en immersion dans un service d'addictologie à l'hôpital. Il devrait en tirer une pièce, « si l'inspiration est au rendez-vous », termine-t-il. Thomas Quillardet n'en a pas fini de faire des listes.