Créée en 1982 par Gilles Rhode et Brigitte Burdin, la compagnie Transe Express s’est rapidement imposée dans les arts de la rue français et à échelle internationale. Tambour, enfance, prouesse et art céleste : ces mots caractérisent la plupart de leurs productions pluridisciplinaires.
Accrochant des musiciens et des acrobates à des mobiles suspendus à plusieurs dizaines de mètres, Transe Express excelle autant pour les grandes jauges que pour un travail davantage en proximité, et n’a pas son pareil pour transformer les spectateurs en grands enfants aux yeux ébahis. Mobile homme, Maudits sonnants, Les 2000 coups de minuit, Les Rois faignants restent dans les mémoires.
Présente lors des grands rendez-vous (JO d’Albertville, capitales européennes de la culture), la compagnie aime à rappeler que « les arts de la rue sont universels, faits d’image, de musique, de prouesses de corps en mouvement, de rythmes, d’humour et d’expressions spontanées. La parole est superflue ». Installée depuis 2007 à La Gare à coulisses, en Val de Drôme, lieu de résidence et de fabrication ouvert aux équipes locales et de passage, et de diffusion pour les habitants du cru, la compagnie est devenue une PME de 160 personnes. Au bout de trente ans, Gilles Rhode et Brigitte Burdin ont souhaité, en 2012, passer le relais à treize collaborateurs de longue date, qui seront chargés de continuer la représentation des pièces de répertoire et de créer des spectacles « dans l’esprit de la compagnie ».
Transe Express, 20 ans, 2003
Naissance
Gilles Rhode a étudié la sculpture sur métal aux Arts appliqués. Brigitte Burdin a complété sa formation en danse contemporaine débutée à Essen, par un compagnonnage avec Susan Buirge, puis avec Elsa Wolliaston qui lui ouvre les portes de la danse africaine. Dans les années 70, ils « cognent le trottoir » au sein de la compagnie Sale Ding Band, puis en 1982, ils fondent la leur : Transe Express (Circus, les années fastes).
Dès leurs premières productions, le monde de l’enfance s’impose, « l’imaginaire enfantin, ce monde où les objets deviennent des partenaires de jeu et vous projettent dans cet univers aux frontières de la réalité qu’est celui du cirque ». Trente ans plus tard, cette veine n’est pas tarie.
À Flambart et Suzy la poupée mécanique, « comédie de geste » (1982), succéderont Les Tribulations de Rosemonde (1986), à destination du jeune public. Mais c’est un voyage de sept mois en Afrique de l’Ouest, à trimballer Wouar chou bou lou dans une 504 Peugeot, qui impose au couple ce qui fera sa marque de fabrique : le tambour, omniprésent dans les créations à venir.
Au retour d’Afrique, Gilles Rhode et Brigitte Burdin croisent le chemin de Pierrot Bidon, au sein du collectif La Toile filante. Ils créeront ensemble Archaos, « cirque de caractère » dont le succès explose en 1986. Gilles est « Saltaracho, le narrateur qui parle autant avec sa voix qu’avec ses tambours » ; Brigitte « La’r’lique : sa présence est décoration. Soudain elle se réveille et devient automate, danseuse ».
Archaos, Numéro de dressage de poules, 1986
Jamais sans tambour
L’année suivante, Transe Express signe son premier « cheminement spectaculaire mis en rue » par Gilles Rhode : Itinéraires bis, mélangeant comédiens, musiciens et bateleurs. Suivra Bar barre (1988) : un spectacle de danse-théâtre que Brigitte Burdin tournera une année entière aux Etats-Unis.
1989 voit la naissance des Tambours, une déambulation mêlant tradition et provocation, d’où la compagnie tirera des variations quasi infinies. « Porté sur le ventre, le tambour est fait pour la rue », confie Gilles Rhode dans Rue de la folie n°14, en 2009. « Il est constitué d’une double peau qui résonne par sympathie et donne de l’ampleur au son. Ce dernier rebondit sur le sol, ricoche sur les murs des bâtiments pour remplir la rue et la place. (…) Le répétitif est de rigueur, c’est une musique tribale. »
C’est en faisant s’élever ces tambours dans les airs que la compagnie Transe Express deviendra internationalement célèbre.

Le tambour et la ville
Auteur : Gilles Rhode
Rue de la folie n°9, nov. 2000
L’art céleste
8 février 1992, 17 heures : sur Antenne 2 débute la retransmission de la cérémonie d’ouverture des JO d’Albertville, signée Découflé. Le Mobile Homme de Transe Express, créé en 1990, attire tous les regards. La compagnie le définit comme une « attraction aérienne inédite de grande envergure, intégrant prouesse, art plastique et musical ». L’art céleste est né : « Quel enfant n’a pas rêvé benoîtement devant un mobile, le nez planté sous la rimbambelle de petits personnages en train de se balancer au bout de leur fil de nylon au moindre souffle d’air … Imaginez le même mobile fait de tambours-majors en chair et en os. Le tout accroché sous une arche, une voûte ou soulevé par une grue ou un hélicoptère … Imaginez qu’une frêle trapéziste vienne évoluer au beau milieu de cette grappe aérienne et semer un vent de folie de son gracieux ballant … ». Calder n’est pas loin, même si le mobile a une envergure de 12 mètres et mesure 13 mètres de haut une fois déplié.
Transe Express, Mobile Homme
A l’inventivité de Gilles Rhode, s’associe le sérieux des ingénieurs. De leur collaboration naîtront Maudits sonnants en 1996, Lâcher de violons en 1999, Les Rois faignants en 2004, chacun de ces spectacles nécessitant la création de nouvelles structures aériennes au bout desquelles viendront se balancer musiciens, chanteuses et acrobates après une déambulation au sol.
Avec les Maudits sonnants, Transe Express fait une première infidélité à ses chers tambours qui ont été mêlés aux hautbois dans Avis de tempête (créé 1991 avec Manja Cat), présentés sur des tréteaux dans TNT, Tutto ma non troppo, en 1993, et enfin mélangés avec le feu dans Hephaistos (1994), « célébration imaginaire inspirée, puisant ses ressources dans la mythologie grecques, la poésie naïve, les métalliers, les forgerons, les batteurs de feu, mais aussi dans l’univers impitoyable des raffineries de pétrole ».
Transe Express, Héphaistos, 1994
Pour Maudits sonnants, ce ne sont plus des tambours qui s’élèvent au bout des pétales d’une gigantesque fleur en perpétuel mouvement, mais des joueurs de cloches, « véritables Jacquemarts vivants » qui animent ce « carillon céleste », ce « lustre musical ».
Transe Express, Maudits sonnants, 2005
Comme son titre l’indique, le Lâcher de violons enverra dans les étoiles un quatuor à cordes, une cantatrice et un trapéziste, tandis qu’au sol, là où ils résonnent le mieux, évoluent cinquante tambours, mêlant des amateurs du cru aux professionnels de la compagnie. Un « char à rythme » des temps modernes se mêle à la partie : camion citerne dont le fût est une énorme caisse battue alternativement par deux acrobates suspendus à un balancier.

« Lâcher de violons » : l'émotion verticale
Auteur : Thierry Voisin
Rue de la folie n°6, oct. 1999
Les spectacles participatif
Sur les cinq continents, les spectateurs assistent par dizaines de milliers aux spectacles de Transe Express. L’art céleste permet à chacun d’entre eux de profiter pleinement des prouesses présentées. Au tournant du nouveau millénaire, le souhait de la compagnie est d’inclure dans ses propositions des volontaires recrutés dans les villes où elle se produit.
Aux portes de l'an 2000
Forte de sa participation aux manifestations du passage à l’an 2000 à Paris, avec sa Roue-âges sur les Champs-Elysées, l’équipe se voit confier par la Mission 2000 l’événement qui marquera symboliquement le passage au troisième millénaire et la fin de la présidence européenne de la France, le 31 décembre 2000, sur la piazza et la façade du Centre Pompidou. Les 2000 coups de minuit rassembleront mille tambours recrutés dans les vingt-cinq villes où le Lâcher de violons a été présenté depuis sa création. Issus de Belgique, d’Allemagne, de Pologne, du Royaume-Uni, d’Irlande, d’Espagne, de France, et jouant sur les instruments caractéristiques de leurs régions, ils ont dû répéter sous la houlette de leur maître-tambour une composition unique, exigeante, qu’il s’agit maintenant de jouer à l’unisson.
Le bourdon du mât de Cocagne résonne, les mobiles du Lâcher de violons et de Mobile homme sont présents : les trois machines célestes de Transe Express sont là, réunies. La fête se terminera par petits groupes de spectateurs, emmenés dans les rues adjacentes par les bandes de tambours autonomes.
Les 2000 coups de minuit, 2000
L’aventure des Rois faignants s’inscrit, elle aussi, dans la durée, la construction des modules se faisant par étapes, chez des partenaires de longue date, en collaboration avec des amateurs locaux. De la première idée d’une « éloge à la paresse », début 2001, à la création du spectacle complet, en mai 2005, quatre ans et demi (bien remplis) auront passé. Le projet est de taille : si chacun pense, en lisant le titre, aux images d’Epinal des livres d’histoire, le thème choisi, « cet état de jachère physique et morale », symbolise le carrefour de nombreux mythes historiques ou religieux (les rois mages), philosophiques (la paresse), sociologiques (le nomadisme, l’exil).

Les artistes entreront dans la ville en trois cortèges. La parade du Nord-Ouest, inspirée de l’imagerie de Jérôme Bosch, rassemble Olanor Ragnafur, petite sirène juchée sur un iceberg de luxe, la Ch’tite mère, à la voix haut perchée, entourée de ses acolytes, les sorcières à vélo, et Hiero Nemo, au nom Jules Vernien, se déplaçant dans une coquille en résine, suivie d’un camion-aquarium dans lequel barbote un poisson mécanique rouillé.
La parade du Sud a pour personnage central Mortibus Orgiac, qui a décidé de passer son temps à vivre son enterrement fastueux. Précédé de deux grandes marionnettes squelettes (d’inspiration mexicaine), il se prélasse dans un corbillard baroque attelé à deux zèbres mécaniques. Une meute de pleureuses le suit, veuves olé olé qui se transforment parfois en rieuses, au son de la fanfare New Orléans.
La parade de l’Est enfin rassemble Stabilof-Padok, roi naïf du fin fond de l’Europe de l’Est parti découvrir le monde sur son lit à roulettes, sur lequel saute allègrement sa progéniture aux sons d’un orchestre tzigane, et Naz troisième du nom, ou « le paresseux des montagnes sur sa charrette super-alpine », propulsée par une machine à vapeur faisant aussi office d’alambic.
Or, qui dit roi dit cour, gens, protocole, bouffons, laquais : ce sont des amateurs du cru, recrutés pour l’occasion, qui travailleront quatre jours avec la compagnie pour intégrer le jeu et les mouvements d’ensemble. Soixante volontaires se joindront donc, à chaque représentation, aux quarante artistes professionnels. Ce seront eux également qui hisseront, à la force du poignet, les branches de l’Arbre à rois aux extrémités desquelles seront supendus les rois-acrobates.
Transe Express, Les Rois faignants, émission Les Fous de la rue, 2004
Au sol, sur l’eau…
Si L’Homme catapulté, qui fit l’ouverture du festival d’Aurillac en 1992, utilisait une réplique moderne d’une machine imaginée par Leonard de Vinci pour célébrer « l’attraction terrestre », c’est dans la peinture sur toile que le Cabaret Chromatic créé en 2008 puise son inspiration. Des œuvres célèbres de Bosch, Géricault, Delacroix, Le Nain, Breugel, Watteau, Seurat, Fragonard, Millet, Courbet, Picasso, Van Gogh, Cézanne, Kandinski sont revisitées dans cette « exhibition » où les spectateurs sont parfois appelés à compléter le tableau, tandis que les artistes de diverses disciplines concrétisent les envols chagaliens ou font tomber une pluie de bonshommes à chapeau boule chers à Magritte.
Transe Express, Le Cabaret Chromatic, 2008
En 2012, Transe Express se sent d’humeur environnementale, et choisit le Rhône comme terrain de jeu. Alors que le MOB (Mobile oblique et bancal), créé en 2006, envoyait dans les cieux des tam-bourgeons, Diva d’eau, « opéra aqua-fantastique » investit le fleuve. Accompagnée de trois campaniles métalliques habités par des acrobates, surgit de l’amont Raymonde la cantatrice, dont la robe crinoline est une montagne flottante, recelant un piano à queue (et son pianiste). Sur la berge, Valérian, juché sur un cheval de foire, mêle sa voix à ce concert avant de s’envoler à sa rencontre.
Transe Express, Diva d'Eau, 2012
La compagnie n’en reste pas moins fidèle à ses fondamentaux : les tambours, mis en valeur dans les Tambours de la Muerte (2011), « célébration pyromaniaque et percutante » librement inspirée de l’imagerie mexicaine, et Colin Tampon (2013), nom des anciens ensembles de tambours suisses accompagnant les personnalités, et ici mis au service des quidams.
Transe Express, Les Tambours de la Muerte, 2012
La transmission
Au bout de trente années d’existence, la compagnie Transe Express est devenue une PME de 160 personnes, installée dans la Gare à coulisses (Val de Drôme), son lieu de résidence permanent, ouvert aux compagnies locales et de passage. Fiers du répertoire constitué, les fondateurs, Gilles Rhode et Brigitte Burdin, ont souhaité organiser en douceur la transmission de cette entité et ont désigné un groupe de treize collaborateurs de longue date, à même de faire perdurer « l’esprit Transe Express ». Cette passation, débutée en 2012, se déroulera sur trois ans, même s’il y a déjà belle lurette que le travail collectif a permis à « l’auteur-scénographe » et à la chorégraphe de partager leurs savoir-faire et leurs méthodes de travail à une équipe qui peut, sans aucun doute, reprendre le flambeau.
Transe Express, La passation, 2014
Pour aller plus loin
- MEUNIER Meunier, PETIOT Philippe, L’Art céleste. Théâtre au-dessus de la ville par la compagnie Transe Express, Créaphis, 2001
- DELAROZIERE François, DAVID Claire, COURCOULT Jean-Luc, Le Grand répertoire. Machines de spectacle, Actes Sud, 2003
A propos des tambours
- Tambour (Instrument), Wikipedia. +
- COUTURIER Jean-Louis, Le tambour militaire par le biais de l’iconographie. +
- Les tambours d’Afrique, Cité de la Musique. +
A propos d’Alexander Calder
- ARNAULT Pierre, Calder. La Sculpture en mouvement, Gallimard, 1996, La Découverte
- MARCHESSEAU Daniel, Calder intime, Solange Thierry/Bibliothèque des arts, Paris & Abrams, New York, 1989
- PAINLEVE Jean, Le grand cirque Calder, 1927, Centre Georges Pompidou, Paris, 2009, 43′ (DVD)
- LEVY-KUENTZ François, Calder, sculpteur de l’air, France, 2009, 52′ (DVD)
A propos de Leonardo da Vinci
- GILLE Bertrand (s. dir.), Histoire des techniques, Gallimard, collection « La Pléiade », 1978
- GILLE Bertrand, Les Ingénieurs de la Renaissance, Seuil, collection « Points Sciences », 1978
- CHEVALIER Manon, Léonard de Vinci, ingénieur et architecte, Service des publications, Musée des beaux-arts de Montréal, 1987
- CREMANTE Simona, Leonardo da Vinci : Artist, Scientist, Inventor, Giunti, 2005
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