Grâce à une programmation éclectique et une intensification de la diffusion sur l’ensemble du territoire, le nouveau directeur souhaite multiplier les occasions de rencontre avec les publics.
Formé en tant que comédien au sein d’un Centre dramatique national (la Comédie de Saint-Étienne), Abdelwaheb Sefsaf a toujours considéré cet outil comme le plus adapté au déploiement d’un projet porté par un artiste. « J’y vois la possibilité de défendre ses propres convictions mais surtout de les partager avec d’autres créateurs associés, tout aussi légitimes pour investir un tel équipement et impulser des actions culturelles », confie-t-il. Le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines présente en outre plusieurs spécificités qui ne pouvaient que le séduire. Sa vocation pluridisciplinaire tout d’abord correspond parfaitement au parcours singulier du nouveau directeur : acteur dans des mises en scène de Daniel Benoin et Jacques Nichet, il a bifurqué vers la musique en fondant le groupe world Dezoriental avant de concilier ses deux amours avec la création d’une compagnie de théâtre musical, Nomade in France. Son premier texte, Medina Mérika, a reçu en 2018 le Prix du jury de Momix, festival international de la création pour la jeunesse de Kingersheim, ce qui le met également en phase avec l’un des marqueurs de l’identité du CDN. Le territoire extrêmement vaste et diversifié sur lequel est implanté le théâtre comporte, ensuite, des similitudes avec celui dont Abdelwaheb Sefsaf est originaire. Ayant grandi dans la Loire, l’artiste a eu l’occasion d’arpenter aussi bien des zones rurales qu’urbaines ainsi que des quartiers de banlieue. Enfin, cet auteur passionné par l’Histoire et l’exploration mémorielle (sa prochaine création, Kaldûn, narrera la déportation des Algériens et Communards en Nouvelle-Calédonie) s’avoue très intéressé par la dimension patrimoniale du Département des Yvelines.
Sur le plan de la programmation, Abdelwaheb Sefsaf maintiendra non seulement le temps fort emblématique Odyssées en Yvelines, festival qui allie adresse à l’enfance et la jeunesse et itinérance sur le territoire, mais entend s’en inspirer pour élaborer les saisons. La décentralisation occupe en effet une place essentielle dans son projet. « Chaque fois que cela sera possible, je proposerai à l’ensemble des artistes accueillis à Sartrouville d’élaborer des petites formes à partir des spectacles créés en salle », explique-t-il. Désireux de renouer avec la tradition du théâtre de tréteaux, le directeur envisage de construire une structure dédiée à la diffusion hors les murs inspirée du carbet améridien (un toit, mais pas de murs), avec un plateau, un gradin et un foodtruck à proximité. Grâce à ce dispositif, il partira à la (re)conquête des publics, en particulier ceux les plus éloignés du théâtre. « Je ne crois pas à la communication, qui sert à donner rendez-vous à des personnes déjà convaincues. L’action culturelle, en revanche, suscite l’envie d’assister à un spectacle, ce qui est totalement différent. Une rencontre doit s’opérer, c’est fondamental », fait valoir Abdelwaheb Sefsaf. C’est pourquoi des résidences d’infusion sur le territoire ainsi qu’un ambitieux volet de sensibilisation accompagneront cette dynamique. Seront proposés des ateliers de théâtre, de chant, de vidéo, de gastronomie, cuisine et théâtre mais également d’arts plastiques et même de fabrication de scénographies. De temps à autre, le carbet se transformera en un espace où les spectateurs viendront concevoir les décors, les assembler et les peindre. Aux yeux d’Abdelwaheb Sefsaf, il apparaît en effet important d’appréhender l’art théâtral de façon concrète, par la matière et non plus uniquement par le verbe ou l’intellect.
Dans les murs du CDN, si la priorité sera donnée aux œuvres théâtrales – le directeur se dit attaché autant aux pièces classiques qu’aux écritures contemporaines, jeune et tout public, indispensables pour penser la société, l’ausculter, voire anticiper son devenir – d’autres disciplines seront mises à l’honneur : le chant, la danse, ainsi que les arts du cirque, dont Abdelwaheb Sefsaf salue la formidable capacité de réinvention depuis une vingtaine d’années. L’éclectisme de la programmation témoigne d’une double volonté : enrichir l’offre sur le territoire, et diversifier les esthétiques pour « multiplier les portes d’entrée au théâtre », notamment à l’intention des jeunes. La présence de quatre artistes associés permettra d’amplifier cette démarche : l’autrice et metteuse en scène Margaux Eskenazi, adepte d’une écriture de plateau faisant écho aux problématiques du monde actuel, le circassien Mathurin Bolze, la metteuse en scène Odile Grosset-Grange, spécialiste du jeune public et dont l’expérience sera précieuse pour conseiller le directeur du Théâtre de Sartrouville sur ce qui constituera l’un des axes prioritaires de sa mission, et enfin le comédien et metteur en scène Maurin Ollès, révélé en 2021 par le festival Impatience. « Sa présence symbolise l’attention particulière que je souhaite accorder à l’émergence, en soutenant des productions, mais aussi en recevant les jeunes artistes lors de rendez-vous individuels », précise Abdelwaheb Sefsaf.
À quelques semaines de sa prise de fonctions, le directeur intensifie les échanges avec l’équipe et notamment les responsables des relations avec les publics, afin d’examiner les questions les plus urgentes et recueillir leur expertise. L’écoute et le partage – il aspire à faire du CDN un lieu de vie et de convivialité, accessible à la population à tout moment de la journée – guideront en effet chacune de ses actions. Quitte à en réorienter certaines en cours de mandat. « Il faut y être prêt, ne pas le redouter. Mon projet évoluera au fil des ans et de ce que j’apprendrai du territoire. Rencontrer les habitants doit nécessairement nous transformer », estime-t-il.