La scène nationale de Besançon et le Théâtre Vidy-Lausanne co-construisent un projet permettant d’interroger les enjeux du développement durable dans le spectacle vivant.
De 2018 à 2021, Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon (dirigée par Anne Tanguy) et le Théâtre Vidy-Lausanne (placé sous la direction de Vincent Baudriller) avaient mené un projet transfrontalier portant sur le soutien à la production artistique dans leurs territoires respectifs et la formation des équipes permanentes. Fortes de cette première collaboration réussie, les deux structures ont engagé au printemps 2021 une nouvelle coopération centrée, cette fois, sur la question du développement durable. Celle-ci s’inscrit dans l’axe 2 « Protéger et valoriser le patrimoine naturel et culturel » du programme Interreg V et bénéficie, à ce titre, d’un financement européen. Afin d’approfondir les relations entre culture et durabilité et, précise Anne Tanguy, « réfléchir ainsi aux enjeux artistiques et publics de nos théâtres, aujourd’hui et demain », le projet pilote CDuLaB privilégie trois approches : la création artistique, la médiation et les pratiques professionnelles.
Sur le plan artistique, la scène nationale de Besançon et le Théâtre Vidy-Lausanne ont décidé de coproduire et diffuser quatre spectacles, choisis pour leur thématique et la façon dont ils s’élaboreront : Avec l’animal, de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre (Numero23Prod), interroge notre rapport au vivant et à la nature ; Radio Jam (lui aussi porté par Numero23Prod) propose la rencontre entre deux parcours transculturels, celui du rappeur d’origine américaine établi à Besançon, Napoleon Maddox, et du comédien et musicien suisso-italien Miro Caltagirone ; diffusée dans les collèges et les lycées, Love Is The New Gangsta, performance autobiographique d’Emmanuel Moses Anokwa, artiste lausannois originaire de Lagos (Nigéria), s’empare des thèmes du colonialisme, de l’identité et du racisme ; enfin, Le feu, c’est le feu, initié par la chorégraphe péruvienne Monika Gintersdorfer et le chorégraphe ivoirien Franck Edmond Yao, sera un spectacle participatif créé avec de jeunes interprètes d’afropop et de danses urbaines amateurs de Lausanne et Besançon. Lors de la phase de production, les deux théâtres veilleront à harmoniser leur calendrier afin que les accueils en résidence puissent se succéder, et s’attacheront à ce que la scénographie des créations soit conçue dans le respect de l’éco-responsabilité. « Nos théâtres possèdent des ateliers de fabrication de décors et de costumes, dont les équipes suivront deux journées de formation pour améliorer leurs pratiques », souligne Anne Tanguy. Concernant la diffusion, les tournées seront cordonnées à l’échelle régionale comme nationale, voire internationale.
Second axe du projet, la médiation s’articulera dans un premier temps (d’autres outils s’inventant au fil des mois) autour d’un cycle de trois conférences intitulé « Formes de vie », proposé aux publics de l’un et l’autre côté de la frontière, en présence d’intellectuels – Frédérique Aït-Touati l’a inauguré récemment. Par ailleurs, trois ateliers « Éduquer en Anthropo(s)cène », plus spécifiquement destinés aux enseignants, aux médiateurs culturels et aux éducateurs à l’environnement (français et suisses), aideront ceux-ci à bâtir des projets d’Éducation artistique et culturelle à l’aune de ce nouveau paradigme anthropologique.
Enfin, les équipes des deux lieux échangeront avec les invités conviés au cycle de conférences évoqué plus haut et bénéficieront de six formations sur des questions de médiation culturelle et de durabilité, afin de favoriser sur différents plans (production, communication, relations aux publics…) des pratiques plus inclusives, plus respectueuses également de l’environnement et des personnes dans leur diversité. Seront notamment abordés « le français facile à lire et à comprendre », les outils numériques, le recyclage des décors ou encore la transculturalité. « Dans la mise en œuvre d’actions artistiques et culturelles, explique Anne Tanguy, nous souhaitons les inciter à adopter une approche transculturelle, c’est-à-dire qui ne s’attache pas aux différences mais aux points communs que partagent des personnes issues de contextes différents et vivant sur un même territoire. »
Si le CDuLaB est appelé à s’achever en décembre 2022, il devrait connaître rapidement des prolongements. « Dans notre esprit, il s’agit d’un projet test avant l’écriture d’un programme beaucoup plus ambitieux et prospectif sur les questions de durabilité pour les dix, voire trente prochaines années », confie la directrice des 2 Scènes ; laquelle se félicite d’ores et déjà de l’opportunité ainsi offerte de collaborer avec d’autres acteurs du territoire (universités, associations, médiateurs de l’environnement…), comme de l’écho que connaît le projet auprès des politiques publiques. D’elles en effet dépend aussi la réalisation du vœu formulé par Anne Tanguy et Vincent Baudriller : faire des théâtres des espaces propices à la recherche, à l’innovation et à la réflexion citoyenne.