Tout en poursuivant ses travaux engagés depuis six mois, l’association des États généraux du Off (EGOFF) dévoile plusieurs propositions afin de rénover le festival.
Le 30 avril 2020, les Écrivains associés du théâtre (EAT), Actrices et Acteurs de France associés (AFAA), les Sentinelles (Fédération de compagnies du spectacle vivant) et le Syndicat national des arts vivants (Synavi) lançaient un appel à la tenue d’États généraux du Festival Off d’Avignon, afin de questionner les différents aspects de cette manifestation qui ne dispose d’aucune gouvernance officielle. Deux axes de réflexion ont été privilégiés : favoriser la diversité culturelle (lutter contre l’uniformisation des spectacles présentés) et inventer un festival obéissant aux principes de l’Économie sociale et solidaire (ESS). « Nous nous sommes fixé une durée de deux ans pour nos travaux, à l’issue de laquelle l’association EGOFF sera dissoute. Celle-ci n’a en effet pas vocation à prendre des responsabilités au sein d’Avignon Off », précise Véronique Felenbok, administratrice de compagnies et fondatrice du Bureau des filles. Depuis le mois de septembre 2020, six commissions (« Synergie lieux-compagnies », « Synergies entre compagnies », « Synergie programmation-diffusion », « Synergie avec les publics », « Un festival dans la ville » et « Gouvernance ») réunissant au total plus de 150 participants siègent une à deux fois par mois pour imaginer le nouveau visage du Off à l’appui d’actions concrètes. Plusieurs pistes sont d’ores et déjà à l’étude.
• La création d’un label Off
Ce label serait attribué aux compagnies et théâtres qui se conformeraient à une Charte de pratiques vertueuses, telles que : du côté des lieux, le respect des grilles salariales et des conventions collectives, la mise en place de conditions d’accueil techniques et financières satisfaisantes, et pour les compagnies une démarche de mutualisation ou encore le parrainage de jeunes équipes. « Il ne s’agit pas d’imposer des contraintes, souligne Véronique Felenbok, mais d’inciter chacun à adopter un comportement en phase avec les valeurs de l’ESS. » L’objectif n’est pas non plus de réguler le Off, tâche complexe pour un festival qui s’apparente à un marché. Plutôt favorable à l’institution de ce label, Charles Petit, co-directeur du Théâtre du Train bleu à Avignon, juge surtout important de « réussir à établir des critères qui permettent de mettre en confiance aussi bien les compagnies que les théâtres et les spectateurs ». Il y voit également une opportunité, pour les lieux qui souhaiteraient l’obtenir « d’améliorer et hausser le niveau de leurs services ». D’autant que la labellisation procurerait en contrepartie certains avantages, comme l’accès à des aides et des financements. Enfin, si un accord intervenait avec l’association Avignon Festival et Compagnies (AF&C), les théâtres et les compagnies (ainsi que des restaurateurs ou loueurs de matériels, qui seraient également concernés) détenteurs du label Off pourraient être distingués dans la brochure du festival.
• Promouvoir une diversité culturelle
Les créneaux imposés par les théâtres (1h30 maximum, à condition que les temps de montage et de démontage soient extrêmement réduits) et l’obligation de diminuer les coûts plateau (un à trois comédiens sur scène) ont inévitablement provoqué un formatage des productions proposées dans le Off… et par extension dans le paysage théâtral hexagonal. Car, fait valoir Jean-Christophe Dollé, co-directeur de la Compagnie Fouic, « on peut estimer que les spectacles présentés à Avignon alimentent 80% des programmations des théâtres régionaux dans toute la France ». Afin de lutter contre une uniformisation, il serait indispensable que les théâtres réduisent le nombre de spectacles à l’affiche – certains en proposent dix à onze par jour ! Ce défi paraît toutefois difficile à relever, tant la pression économique (notamment foncière) pèse sur les directeurs de salles. « La seule solution consisterait en un encadrement des loyers des lieux servant de théâtres durant le festival », affirme Jean-Christophe Dollé. Desserrer l’étau des créneaux serait en outre profitable aux compagnies ; lesquelles vivent les montages et démontages des décors dans un état de tension tel, rappelle Véronique Felenbok, qu’il « met en péril leur sécurité ». Pour favoriser une plus grande diversité culturelle, celle-ci s’interroge en outre sur la possibilité de limiter le nombre de reprises d’un même spectacle d’une édition à l’autre.
• Inciter à la solidarité et à la mutualisation
C’est l’un des thèmes sur lesquels les participants aux différentes commissions avancent le plus de propositions concrètes : création d’un « pool de matériel technique » mis à disposition des compagnies en difficulté financière ou dont les équipements connaissent une panne inopinée, présence de régisseurs pour remplacer un personnel défaillant, ou encore mutualisation des transports de décors permettant de réduire l’empreinte carbone provoquée par la circulation de dizaines voire de centaines de camions qui rallient Avignon fin juin-début juillet. Par ailleurs, Véronique Felenbok prône une plus grande solidarité entre les équipes artistiques, qui s’incarnerait dans un dispositif de parrainage et de compagnonnage entre compagnies. « Grâce à un coaching personnalisé assuré en amont du festival par des compagnies confirmées à l’adresse de compagnies émergentes, ces dernières pourraient évaluer les risques d’une participation au Off », souligne-t-elle.
• S’extraire des remparts de la ville
Avec un nombre de spectacles qui augmente chaque année de façon exponentielle, le Off est au bord de l’implosion. « Nous arrivons à une telle saturation que soit le festival en meurt, soit nous tentons d’introduire un peu de régulation, ce qui me semble compliqué, soit nous nous extrayons de l'intra muros », avance Jean-Christophe Dollé. Étendre le périmètre géographique du festival ne signifie pas, à ses yeux, investir de nouvelles salles loin du centre ville. Il s’agirait plutôt d’aller à la rencontre des publics du Grand Avignon en s’appuyant sur des lieux existants où seraient présentés des spectacles techniquement plus « légers ». « Ces petites formes intéressent les programmateurs mais aussi les habitants », ajoute Jean-Christophe Dollé. Des habitants qui se sentent en outre souvent exclus de cette grande fête qu’est le Festival d’Avignon. Pour y remédier, le Théâtre du Train Bleu proposera cet été une programmation dans un quartier situé hors des remparts, y acheminera les publics en navette et y installera une billetterie, afin que la population n’ait pas à traverser la ville pour acheter ses places. « Inclure les habitants passe aussi par de telles initiatives, très simples », précise Charles Petit.
• Une édition du Off chaque année dans une ville différente
L’élaboration d’un festival hors d’Avignon, qui investirait chaque été un territoire différent, est l’une des éventualités sur laquelle planche la Commission « Synergies entre compagnies ». Charles Petit juge cette proposition non seulement difficilement réalisable mais peu en phase avec les attentes des compagnies. « Le Off est aujourd’hui indispensable parce que les équipes artistiques ne réussissent pas à s’extraire de leur région et ont besoin de se rendre à Avignon pour montrer leur travail et être diffusées sur un plan national », souligne-t-il. Selon lui, changer de ville ne constitue pas la solution, les mêmes problématiques ne manquant pas de ressurgir, quelle que soit la ville d’implantation de la manifestation.
• Mener un travail à l’année
Cette préoccupation rejoint la nécessité de désenclaver le Off mais aussi de favoriser la mixité des publics. Durant l’année, des compagnies s’impliqueraient dans des actions culturelles et mèneraient un travail de fond, dont le festival ne serait qu’un temps fort. Lieu de fabrique qui ne propose pas de diffusion hormis l’été, le Théâtre du Train bleu est déjà très engagé dans cette démarche. « Nous accueillons des compagnies en résidence, mettons en place des projets notamment en partenariat avec l’Éducation nationale et convions des artistes à créer dans les établissements scolaires », explique Charles Petit, qui estime indispensable de « croiser les publics durant l’année » pour éviter leur mise à l’écart lors de la tenue du Off. Le festival doit désormais s’inscrire « dans une logique de politique de la Ville », selon Jean-Christophe Dollé, qui invite par ailleurs les équipes artistiques à s’implanter à plus long terme, notamment via des résidences que proposent de plus en plus de théâtres avignonnais. « Il n’est plus possible de continuer à organiser un grand marché du théâtre un mois par an, parfois de façon très joyeuse et constructive, parfois aussi de manière plus chaotique, puis de s’en retourner et attendre que se tienne l’année suivante un nouveau festival », explique-t-il.
• Quelle gouvernance pour le Off ?
Sur ce sujet, les discussions sont à peine enclenchées, la commission chargée de s’y pencher ayant été créée récemment. Depuis de nombreuses années pourtant, deux lignes semblent s’affronter : celle favorable à l’existence d’une instance qui dirige le Off, soit contraignante et modifie ainsi l’image négative véhiculée par le festival et celle partisane de laisser une entière liberté d’action aux compagnies et aux lieux. « Aujourd’hui, témoigne Véronique Felenbok, nous réfléchissons à la façon dont nous pourrions réunir et faire dialoguer l’ensemble des participants au Off, inventer une organisation responsable, résoudre les problèmes du terrain, soutenir et encourager les initiatives vertueuses ».
Afin de sensibiliser un large public à sa démarche, l’équipe des États généraux du Off vient de publier une tribune dans Le Monde. Elle organise par ailleurs le 1er avril 2021 de 16h30 à 18h30 une réunion de toutes les commissions qui présenteront l’état d’avancement de leur réflexion. Vous pourrez y assister via Zoom en suivant ce lien.