Scènes de rue, le festival des arts de la rue à Mulhouse (Alsace), se déroulera les 17 et 18 octobre 2020. Deux jours qui mettent en avant une joyeuse programmation mixant arts de la rue, danse, installations poétiques, musique, récit, cirque, théâtre et performances. L'événement, qui devait se tenir comme chaque année en juillet, aura finalement lieu, mais dans un contexte sanitaire difficile. Au sujet de ces incertitudes et des précautions prises pour garantir à la fois la fête et la sécurité, nous avons interrogé Frédéric Rémy, son directeur artistique, par ailleurs directeur de l’association Éclat - CNAREP et du Festival d’Aurillac.
ARTCENA : Ne craignez-vous pas, à quelques jours de l'événement, une annulation du festival Scènes de rue ou d'importantes restrictions ?
Frédéric Rémy : Nous sommes toujours dépendants de l’évolution de l’épidémie et de ses conséquences en termes de restrictions, voire d’annulation. Mais nous travaillons étroitement avec tous les services de la Ville et de l’État pour que le festival se tienne dans de bonnes conditions. Et même si l’on voit de très nombreuses annulations depuis le mois de septembre, nous sommes focalisés sur sa tenue. Les arts de la rue et la création dans l’espace public sont devenus depuis quelques années une matière artistique de plus en plus sensible. On voit bien que le fait de ne pas se produire dans des espaces dédiés, mais dans des espaces publics, induit un traitement particulier en termes d’autorisation ou de contraintes sécuritaires et sanitaires imposées. Seul le dialogue et l’écoute de toutes les composantes, organisateurs, artistes, collectivités et services de l’État, permettent de trouver des solutions qui respectent les règles en vigueur, mais aussi les créations et la libre expression artistique. Ici, à Mulhouse, tout le monde travaille dans la même direction. En outre, le département est actuellement peu touché par l’épidémie à l’inverse du printemps dernier. C’est pourquoi nous sommes relativement confiants.
Quelles sont les spécificités de cette édition spéciale, qui remplace celle qui se déroule habituellement à la mi-juillet ?
Nous avons pu reporter un maximum de compagnies programmées cet été sur ce week-end d’octobre. Sur les 24 compagnies présentes, 3 nous ont rejoint après le report et certaines ne pourront être présentes. Plusieurs raisons à ces absences : des soucis de calendrier, des projets de créations reportés en 2021 par les compagnies elles-mêmes, des spectacles inadaptés au contexte sanitaire actuel qui seront également reportés et des compagnies étrangères qui ne peuvent venir en France. Nous avons resserré le festival sur deux jours car ce type d’événement estival s’appuie sur des infrastructures mis en sommeil l’été et l’énergie festivalière n’est pas la même en automne. Mais cette édition spéciale se décline à travers plus de 60 rendez-vous sur deux jours durant lesquels on pourra découvrir une dizaine de nouvelles créations. Un temps fédérateur sera également proposé le samedi soir avec une grande installation de feu de la compagnie Carabosse (cf. photo) en centre-ville. On retrouve donc un vrai festival avec une pluralité de propositions artistiques dans la ville, un foisonnement assez réjouissant mais dans un contexte où le respect et la bienveillance seront plus présents que l’esprit festif et le relâchement !
Justement, quelles sont les mesures prises pour que l'événement se déroule dans les meilleures conditions ?
Nous avons modifié et adapté les lieux de représentation afin que les jauges publiques soient « contrôlables » et le bar du festival, lieu festif et convivial, n’existera pas cette année. Des jauges ont été définies pour chaque représentation : elles seront contrôlées, limitées ou seulement indicatives. Un protocole d’accueil communiqué au public par affiche et des annonces ou rappels seront mis en place, les gestes barrières devront être respectés sur tous les sites, les attroupements évités, le port du masque obligatoire, la distance physique et la fluidité des déplacements respectée. Au-delà de toutes ces adaptations, ce qui nous importe, c’est que l’on retrouve ce plaisir de la rencontre artistique et que ce plaisir de jouer et de voir des spectacles prenne le dessus sur cet environnement sanitaire.
Quel est votre sentiment pour la suite en ce qui concerne le secteur, les artistes et, plus généralement, la possibilité de « vivre-ensemble dans l’espace commun » ?
La situation est extrêmement sensible. Nous sommes face à un véritable coup d’arrêt de la diffusion des arts de la rue en France. Les contraintes liées au plan Vigipirate ont déjà eu pour conséquence de réduire les possibilités de « jouer » dans l’espace public. Des organisateurs, souvent occasionnels, n’ont pas les ressources pour mettre en place les dispositifs sécuritaires imposés. C’est pourquoi le réseau de diffusion, ce maillage territorial des arts de la rue, s’est trouvé réduit depuis 4 ans. Cette année, alors qu’un protocole sanitaire a été établi pour les représentations en salles et dans l’espace public, de nombreuses contraintes ou annulations imposées au cas par cas jettent le trouble. La question de l’équité dans le traitement de nos événements se pose et nous, organisateurs, sommes dépendants de décisions parfois paradoxales. C’est ce qui apparaît dans le mouvement #CultureFurax !* Les artistes se trouvent, eux, dans une incertitude liée à leur survie économique et aux projections en 2021, mais le problème se pose également quant à la question des formats de leur créations. Les équipes dont le savoir-faire est lié aux grandes formes doivent elles adapter leur création ? Doivent elles attendre la fin de la crise ? Les compagnies en création vont-elles suivre leur désir artistique ou vont-elles s’adapter aux contraintes ? Les programmateurs seront ils ambitieux ou timorés ? Je crois qu’il faut revendiquer l’espace public comme un lieu indispensable de la vie sociale et faire en sorte que cette vie sociale soit aussi sensible, humaine et collective que possible. C’est une impérieuse nécessité que de retrouver au plus vite cet espace commun et cet espace libre. C’est un enjeu pour les arts de la rue et, plus généralement, pour une citoyenneté active et créative.
* Mouvement lancé par la Compagnie Oposito suite à l’annulation le 24 septembre 2020 par la préfecture du Val-d'Oise de la « La Journée Singulière des rencontres d’ici et d’ailleurs » qui devait se tenir le 27 septembre à Garges-lès-Gonesse. Voir le manifeste #CultureFurax.