En s’entourant d’artistes aux univers très singuliers, la comédienne et metteure en scène souhaite questionner la complexité du monde actuel.
Depuis la création de sa compagnie, Java Vérité, Julia Vidit a toujours travaillé en étroite collaboration avec des structures labellisées, en étant associée aux scènes nationales de Bar-le-Duc, d’Alençon-Flers, de Forbach ainsi qu’au Théâtre de la Manufacture et au NEST de Thionville. Au fil du temps, l’idée de s’impliquer dans une aventure plus longue a fait son chemin, et à 42 ans, la comédienne et metteure en scène s’est sentie enfin « prête à donner de son temps et de son énergie à un lieu, une équipe, au public et à un territoire ». Ses attaches avec la Lorraine – basée à Nancy, sa compagnie était conventionnée par la Ville, la Drac et la Région Grand Est – l’ont naturellement convaincue de postuler à la direction du Théâtre de la Manufacture.
En intitulant l’axe principal de son projet « faire théâtre, faire le monde », Julia Vidit affirme d’emblée sa vision de ce que doit être un Centre dramatique national : un lieu qui produit de la pensée, nous aide à comprendre la complexité du monde et à modifier le regard que nous portons sur lui. Pour remplir cette mission, elle a choisi d’associer quatre équipes artistiques (dont deux régionales), toutes portées par des femmes : la Compagnie Six Trente de Bérangère Vantusso, l’Imaginarium dirigé par Pauline Ringeade, la Compagnie Babel d’Élise Chatauret et la Compagnie Dans le Ventre de Rébecca Chaillon. Des créatrices aux univers très différents (théâtre d’objets, performance, travail participatif avec les habitants…) mais qui partagent ce même désir d’allier recherche esthétique, production d’une pensée et attention aux publics d’un territoire. Se joindront à elles cinq autres « complices », le metteur en scène Olivier Letellier (Théâtre du Phare), qui accompagnera l’ouverture de la programmation au jeune public, ainsi que les auteurs Dieudonné Niangouna, Céline Delbecq, Marilyn Mattéi et Catherine Verlaguet, auxquels des commandes seront passées. Soucieuse d’initier avec eux « une itinérance artistique », Julia Vidit s’attachera ainsi à inverser le sens habituel de la production et de la diffusion, en partant de la périphérie pour revenir vers le centre. « Ces auteurs créeront sur des territoires péri-urbains ou ruraux des pièces qui seront ensuite présentées, lors d’un événement, au Théâtre de la Manufacture », précise-t-elle.
La seconde ligne de force de son mandat concernera la relecture des classiques, question que Julia Vidit juge aujourd’hui très pertinente, dans cette même optique d’approcher et d’éclairer le monde mais aussi en raison du rapport, à ses yeux parfois conflictuel – rejet ou adulation – entretenu avec les œuvres du répertoire. « En France, nous vivons avec le théâtre de textes une relation très forte que j’aimerais expérimenter dans les créations portées par le CDN », explique la nouvelle directrice. Elle-même s’attelle actuellement, avec Guillaume Cayet, dramaturge associé, à une nouvelle traduction et réécriture de la pièce de Luigi Pirandello, Chacun sa vérité, qui sera proposée en mars 2022.
Tout en défendant un projet résolument théâtral (et non pluridisciplinaire), Julia Vidit privilégiera une grande diversité de formes et de registres, apte, selon elle, à susciter « le goût du théâtre » chez tous les publics, quels que soient leur âge et la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, et en particulier ceux les plus éloignés des salles de spectacle. « L’urgence aujourd’hui est que le spectacle vivant supplante les écrans et surtout investisse des déserts, pas seulement culturels mais des déserts tout courts, ces territoires enfouis dans le silence », conclut celle qui revendique sa filiation avec l’histoire « forte et touchante » de la décentralisation théâtrale.