Suggéré à l’issue d’un examen détaillé de l’activité des trois organismes de gestion collective, ce regroupement permettrait d’accroître les sommes versées aux ayants droit.
Pour la première fois depuis sa création, la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteurs et des droits voisins de la Cour des comptes a procédé en 2021 à un contrôle spécifique des comptes et de la gestion des trois organismes de gestion collective (OGC) des droits voisins des artistes-interprètes : l’Adami, la Spedidam et la SAI. Le rapport qu’elle vient de publier fait état d’un certain nombre de constats et formule des recommandations à l’adresse de chacun des OGC.
L’Adami : une gestion financière « globalement saine »
En 2020, l’Adami a réparti 63,16 M€ de droits à plus de 80 000 artistes et versé plus de 13,5 M€ en soutien à des projets artistiques. Grâce notamment à une réforme des systèmes d’information et des campagnes de recherche d’adresses, cette répartition a progressé par rapport à 2019 (où elle s’élevait à 55,23 M€) mais reste, selon la Commission de contrôle, « insuffisamment dynamique ». L’analyse des comptes annuels montre ainsi que le stock des droits répartis mais non encore versés aux ayants droit s’élevait à 22,48 M€ au 31 décembre 2020. Malgré tout, note le rapport, « les délais de répartition des droits perçus par l’Adami ont été réduits en 2019 ».
Concernant le financement de l’action artistique et culturelle, le total des ressources affectées à ce poste, qui avait progressé de 70% entre 2013 et 2017, a continué d’augmenter en 2018, dépassant
37 M€ ; ceci, avant de connaître un net repli en 2020 (27,9 M€, niveau proche de celui de 2015). Le nombre d’aides attribuées, quant à lui, demeure relativement stable entre 2017 et 2019, tandis que le volume financier croît légèrement. Le rapport constate, en outre, « des processus d’attribution bien encadrés » depuis une réforme de l’action culturelle initiée fin 2019 par l’Adami.
La situation financière de celle-ci est jugée « solide », avec cependant des charges de gestion qui demeurent élevées (16% en 2020) et que la Commission de contrôle recommande de diminuer. La moitié de ces charges sont des charges de personnel (87 salariés) et « la part consacrée aux systèmes d’information progresse, car ils deviennent encore davantage un enjeu stratégique primordial », souligne le rapport.
En conclusion, et tout en reconnaissant que « la volonté d’améliorer la politique de répartition des droits est indéniable », la Commission formule sept recommandations à l’adresse de l’Adami, dont :
• Explorer d’autres voies pour obtenir les informations nécessaires à la répartition des droits issus de la copie privée sonore et de la rémunération équitable relatifs aux phonogrammes afin d’améliorer les délais de cette répartition.
• Augmenter sensiblement la consommation des crédits affectés chaque année à l’action artistique et culturelle pour atteindre l’objectif de consommation de 80% fixé par la Commission de contrôle.
• Affecter une part plus significative des crédits consacrés à l’action artistique et culturelle aux actions de formation d’une part, et d’éducation artistique et culturelle, d’autre part.
• Poursuivre une stratégie de réduction du niveau de prélèvement pour la couverture des frais de gestion sur les droits perçus.
• Réduire le niveau de trésorerie en adoptant une politique de répartition des droits plus dynamique.
De nombreux dysfonctionnements au sein de la Spedidam
Après avoir déploré que la gestion de la Spedidam, malgré les recommandations qui lui ont été adressées ces dernières années, « demeure à ce jour très insatisfaisante », le rapport égrène un certain nombre d’insuffisances. Sur le plan de la gouvernance tout d’abord, qui « ne permet pas d’assurer un respect des principes de transparence et d’efficience que les associés sont en droit d’attendre de leur organisme de gestion collective ». Cette situation est imputable à plusieurs facteurs : l’impossibilité pour l’assemblée générale de remplir pleinement son rôle de surveillance du conseil d’administration et du gérant ; l’élection d’administrateurs qui sont « des candidats adoubés par l’équipe sortante » ; une existence purement formelle du bureau de la Spedidam, jamais réuni ; une incapacité de l’organe de surveillance à réaliser un contrôle véritable et impartial des activités et de la gestion.
S’agissant de la mission de répartition des droits confiée à la Spedidam, la Commission de contrôle la juge inefficace. Elle en veut notamment pour preuve le fait que « le niveau d’irrépartissables pratiques reste trois à quatre fois supérieur à la période précédente ». En cause, une complexité persistante des règles de répartition (les droits sont répartis dans 35 enveloppes différentes, elles-mêmes divisées en sous-enveloppes, pour un total de 51) et une dématérialisation encore trop timide de son processus de déclaration des enregistrements. Résultat : « une absence de transparence des règles de répartition et une illisibilité totale des bordereaux de répartition », affirme le rapport.
Selon lui, la même opacité prévaut en matière de financement des actions artistiques et culturelles (AAC). Outre le fait que « certains types d’aides accordées par la Spedidam ne sont pas mentionnées sur le site et ne sont donc accompagnées d’aucune information sur les critères de dépôt », la Commission de contrôle relève un manque de transparence dans la désignation des personnalités siégeant dans les commissions d’attribution des aides. Elle constate, par ailleurs, que « les dix plus gros montants annuels d’aides accordées au titre de l’AAC pour la période 2018 à 2020 concernent exclusivement le financement des festivals du réseau Spedidam et de l’aide au secrétariat d’artiste ».
Sur le plan des ressources humaines, là encore d’importantes insuffisances se font jour, avec pour conséquence majeure « l’absence de compétences professionnelles » et donc le recours, important et coûteux, à une externalisation de certaines missions. S’ajoute à cela « une dette technique » en matière de systèmes d’information et de sécurité informatique due à l’absence d’outils performants.
Globalement enfin, la gestion financière apparaît « peu maîtrisée », avec une forte augmentation des charges de gestion (de 26,8% entre 2018 et 2020) qui n’est pas liée à une hausse de l’activité de la Spedidam mais à celle de ses coûts de fonctionnement. La trésorerie reste, par ailleurs, excessive (« représentant chaque année jamais moins que deux années complètes de perception ») et devra être réduite. « Le niveau de sa trésorerie rapportée aux montants des perceptions et des droits utilisés, témoigne des difficultés de la Spedidam à accomplir sa mission de répartition des droits aux artistes-interprètes », en déduit la Commission de contrôle.
En conclusion, celle-ci fait valoir « le nombre conséquent de risques informatiques, financiers (...), de conflits d’intérêt, de fraudes ou d’insuffisante voire de fausse information des associés et ayants droit », qui remet en question la capacité de la Spedidam à accomplir de manière satisfaisante sa mission.
Parmi les 35 recommandations mentionnées par la Commission de contrôle (et à mettre en œuvre, au plus tard le 30 juin 2022), figurent :
• Supprimer le bureau.
• Préciser dans le règlement général les fonctions dévolues au gérant.
• Créer un conseil de déontologie composé de cinq personnalités qualifiées qui ne sont pas membres de la Spedidam.
• Mettre en place des procédures plus performantes permettant l’identification des artistes-interprètes et le décompte périodique de leurs droits.
• Proposer une simplification des règles de répartition en se rapprochant des règles pratiquées par l’Adami reposant sur la diffusion des interprétations.
• Définir d’ici à la prochaine assemblée générale, pour insertion dans le règlement de la Spedidam, le fonctionnement des commissions d’agrément, le processus d’attribution des aides définissant leurs critères d’attribution, imposant la motivation des décisions prises par les commissions d’agrément dans les procès-verbaux et proscrivant toute ingérence du conseil d’administration dans ces choix.
• Inscrire dans le règlement de la Spedidam à l’occasion de la prochaine assemblée générale l’obligation faite de présenter un bilan financier de tous les dispositifs spécifiques d’aides créés par la Spedidam.
• Diminuer dès la fin 2022 le niveau de la trésorerie à l’équivalent d’une année de perception et faire figurer en annexe des états financiers un tableau représentant les composantes de la trésorerie.
• Mettre en œuvre d’ici à 2023 une comptabilité analytique sur l’ensemble des activités de la Spedidam.
• Mettre en place les outils de contrôle interne nécessaires pour s’assurer de la bonne gestion des montants perçus et dépensés par la Spedidam.
La SAI, trop peu autonome dans ses décisions
Société de perception et de répartition commune à l’Adami et à la Spedidam créée à l’issue d’un protocole signé en 2004, la Société des artistes-interprètes (SAI) remplit quatre missions : la perception des droits versés par les sociétés étrangères, la perception et la répartition de ces droits aux associés en double mandat, la répartition de la rémunération supplémentaire des 20% et la répartition des licences légales. Compte tenu de sa gouvernance entièrement paritaire, elle possède « une autonomie de décision très faible », observe la Commission de contrôle, y compris dans la gestion des activités qui relèvent de sa compétence, à la place de l’Adami et de la Spedidam. Il serait alors nécessaire de la doter d’un système d’information autonome, ce qui n’est pas encore le cas, notamment précise le rapport, « en raison des difficultés à constituer un référentiel d’artistes-interprètes et un répertoire commun ». Enfin, étant donné les moyens dont elle dispose, la SAI ne peut aujourd’hui prétendre regrouper les activités de ses deux sociétés-mères ; alors même que cet objectif est souhaitable à moyen terme.
Deux recommandations sont destinées à la SAI :
• Renforcer les attributions du secrétaire général pour accélérer la prise de décisions, au-delà des affaires courantes et dans le cadre des orientations définies par les instances ; ceci, dans l’attente d’une fusion, à terme souhaitable, de la Spedidam et de l’Adami.
• Transférer des moyens humains et budgétaires de l’Adami et de la Spedidam au profit de la SAI pour permettre le plein accomplissement de ses missions en renforçant son autonomie.
Vers une fusion de l’Adami, de la Spedidam et de la SAI
Considérant que l’existence de trois OGC pour gérer les droits voisins des artistes-interprètes « n’a aucune justification juridique ni économique », la Commission de contrôle estime légitime d’évoquer un rapprochement, voire une fusion à moyen terme, entre l’Adami, la Spedidam et la SAI. Dans un premier temps, il s’agirait de poursuivre « les opérations de mutualisation déjà amorcées pour la gestion des droits provenant de l’étranger et pour la rémunération supplémentaire prévue à l’article 212-3-3 du Code de la propriété intellectuelle ».
Tel est le sens des deux préconisations énoncées à l’égard des OGC : fusionner, à l’horizon 2024, au sein d’une direction unique, les systèmes d’information des trois OGC et développer un schéma directeur informatique ; engager sans délai des discussions entre les instances dirigeantes de l’Adami et de la Spedidam afin d’établir un calendrier et un plan pluriannuel destiné à regrouper au sein d’un seul OGC les activités de perception et de répartition des droits voisins des artistes-interprètes gérés par l’Adami, la SAI et la Spedidam. Ce regroupement possèderait deux principales vertus aux yeux de la Commission de contrôle : permettre la réalisation d’importantes économies dans les charges de gestion des droits et ainsi accroître les sommes versées aux ayants droit (via la répartition ou par le biais des actions artistiques et culturelles) d’une part, résoudre les difficultés rencontrées actuellement dans la détermination des sommes à répartir entre artistes principaux et non principaux, d’autre part.
Les organismes de gestion collective des droits voisins des artistes-interprètes. Rapport de la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins de la Cour des comptes, juin 2022, 272 pages.
Synthèse du rapport