La nouvelle directrice du Théâtre Joliette défend un projet placé sous le signe de la diversité, aussi bien dans les formes artistiques qui seront proposées que dans la relation aux publics du territoire.
Après vingt années vécues au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, dont huit au poste de directrice, Nathalie Huerta aspirait légitimement à voguer vers d’autres horizons. Celle qui se décrit comme une « grande voyageuse » (franco-mexicaine, elle a commencé sa carrière en qualité de conseillère artistique et directrice de production à l’Institut français d’Amérique latine à Mexico puis au sein de plusieurs compagnies internationales) a toujours été guidée par un rapport sensible au monde et à l’altérité. Ce besoin constant aussi d’être « déplacée dans ses habitudes et certitudes » afin de nourrir sa créativité la conduit aujourd’hui à Marseille, ville dont le caractère cosmopolite et l’ouverture vers la Méditerranée l’attirent depuis longtemps. Prendre la direction du Théâtre Joliette lui offre par ailleurs la possibilité d’approfondir deux démarches qui lui sont chères : la relation à un territoire et l’accompagnement des artistes. « À Vitry, j’ai beaucoup œuvré pour la création, mais davantage en tant que coproductrice. Grâce à la salle de Lenche dont dispose le théâtre, je vais pouvoir accueillir des artistes en résidence et soutenir leurs recherches », explique Nathalie Huerta.
Tout en respectant la ligne artistique dévolue à cette scène conventionnée « Art et création Expressions et écritures contemporaines », la nouvelle directrice privilégiera une large diversité de formes : théâtre de texte, écritures de plateau ou documentaires, créations hybrides ou transdisciplinaires ainsi que des spectacles dans l’espace public, dimension jusqu’ici peu développée. Les parcours des cinq artistes compagnons dont elle a choisi de s’entourer durant trois ans reflètent cette inflexion apportée à la programmation. La seconderont dans sa mission la marionnettiste Élise Vigneron (Théâtre de l’Entrouvert), le Begat Theater qui collabore avec des auteurs dans l’élaboration de spectacles en rue, l’autrice, comédienne et metteure en scène Tamara Al Saadi, Jérôme de Falloise, membre du Raoul Collectif, et l’autrice Métie Navajo, chargée entre autres d’animer le fonds de théâtre contemporain (1 500 œuvres répertoriées) conservé par la Bibliothèque du théâtre. « Nous essayerons en outre de créer un Comité de lecture afin de favoriser l’émergence de nouveaux textes, et nouerons des partenariats avec des structures comme La Chartreuse ou la Maison Antoine Vitez », précise Nathalie Huerta. Cette permanence artistique incarnée par les compagnons permettra d’impulser nombre de projets avec la population, la directrice du Théâtre Joliette estimant en effet nécessaire de « connecter l’action territoriale à l’écriture et à la création ». Sont d’ores et déjà envisagés un projet participatif mené par Élise Vigneron, un second centré sur la collecte de paroles de sans-abris confié au Begat Theater et un troisième à l’intention de la jeunesse que portera Tamara Al Saadi. Soutenus en production, ces artistes le seront également pour la diffusion de leurs créations comme, fait plus rare, des pièces de leur répertoire ; ceci, afin que les publics puissent mieux appréhender leur univers.
Si le Théâtre Joliette demeurera un lieu de référence pour les compagnies régionales, Nathalie Huerta conviera aussi des artistes qui n’y ont jamais été programmés, notamment des compagnies étrangères, en ne limitant pas son regard aux seuls pays méditerranéens. De façon réciproque, et forte de sa connaissance du réseau national (en tant qu’ancienne co-présidente du Groupe des 20 Théâtres en Île-de-France) et international, elle œuvrera à la visibilité des productions dans l’Hexagone et hors des frontières. « Faire rayonner le théâtre au-delà de la Région Sud participe de mes ambitions », confie-t-elle.
Un autre axe majeur de son projet réside dans la création d’un Pôle de production et de diffusion, adossé au formidable outil que constitue le théâtre : deux salles, des studios de répétition et bientôt des espaces d’hébergement pour les artistes en résidence. Sur le plan de la diffusion, Nathalie Huerta juge impératif d’inverser la tendance actuelle en proposant des séries de représentations. « Nous devons affirmer notre soutien à cet endroit. Car coproduire des spectacles qui seront ensuite joués cinq ou dix fois n’a pas de sens », indique la directrice, prête à assumer le risque financier qu’une telle démarche suppose pour un théâtre ne possédant pas les moyens d’une scène nationale ou d’un CDN. En matière de production, elle souhaite encourager les phases de laboratoire, temps si précieux et qui fait pourtant défaut aux compagnies, contraintes de créer à un rythme effréné pour percevoir des aides. Une fois par an, la salle de Lenche abritera une résidence de recherche conçue en fonction des besoins exprimés par l’artiste : premier projet d’un talent émergent, travail sur les écritures du réel, rencontre avec des habitants pour construire un récit… Des présentations permettront de tester le travail en cours auprès des publics (praticiens amateurs, groupes de spectateurs, lycéens en option théâtre, par exemple) et de les associer ainsi au processus de création.
Enfin, pour répondre aux nouveaux usages des structures culturelles plébiscités par les spectateurs, le Théâtre Joliette (qui possède un restaurant) renforcera sa dimension de « lieu de vie », en imaginant tout au long de la saison des rendez-vous conviviaux et festifs qui anticiperont ou prolongeront le plaisir de la venue au spectacle. « Compte tenu de l’implantation géographique du théâtre, situé dans un quartier d’affaires mais jouxtant des quartiers très populaires, la diversification et la mixité des publics représentent des enjeux importants », souligne Nathalie Huerta.
Impatiente de prendre ses fonctions le 1er septembre, la directrice mettra à profit la saison à venir (conçue par ses prédécesseurs, Haïm Menahem et Pierrette Monticelli) pour découvrir plus avant le fonctionnement du théâtre, consulter l’équipe ainsi que les autres acteurs culturels du territoire et élaborer soigneusement avec les artistes compagnons les premières actions. « Affirmer d’emblée leur présence est fondamentale, tout comme bâtir une saison 2023/2024 suffisamment marquante afin que les publics perçoivent les lignes de force du projet », conclut Nathalie Huerta, qui entend néanmoins cheminer pas à pas dans la réalisation de son ambitieux programme.