Issu d’une mission confiée à l’Inspection générale des affaires culturelles, ce rapport aborde l’ensemble des questions (économiques, juridiques, environnementales, de démocratisation culturelle…) liées aux captations et formule des recommandations pour encourager leur développement.
La crise sanitaire ayant accéléré les pratiques culturelles en ligne, et notamment la captation puis la diffusion dans la sphère numérique de spectacles et d’événements, le ministère de la Culture a estimé nécessaire de dresser un état des lieux sur ce sujet. Celui-ci devait permettre de dégager des points de vigilance, ainsi que des mesures d’accompagnement, voire des réformes. Les questions soulevées par l’enregistrement de spectacles vivants et sa mise à disposition sont nombreuses : exploitation économique, modalités de rémunération des artistes et des auteurs, droits d’auteurs et éventuels droits voisins pour les producteurs. D’autres enjeux émergent également, tels que l’impact du développement des captations sur la diversité de l’offre culturelle, sur l’élargissement et la diversification des publics, et potentiellement sur la fréquentation des équipements en régions, ou encore l’empreinte carbone générée respectivement par la représentation d’un spectacle et sa diffusion en streaming haute définition.
Chargés en novembre 2021 de mener à bien cette mission d’exploration durant laquelle l’ensemble des captations sonores ou audiovisuelles de spectacles et d’événements culturels ont été examinées, et plus de 250 professionnels auditionnés, Sylvie Clément-Cuzin et François Hurard, inspecteurs généraux des affaires culturelles, ont remis en juin 2022 un rapport qui vient d’être rendu public.
Dans une première partie, celui-ci souligne que la captation apparaît aux yeux de nombreux acteurs culturels, non seulement comme un moyen de promouvoir le spectacle vivant, mais aussi comme un outil important afin de maintenir le lien avec leurs spectateurs et d’en toucher de nouveaux. « Les premières enquêtes d’usage menées auprès du public du Pass culture, ajoutent les auteurs du rapport, ont montré que la captation d’un spectacle a, pour le public cible du Pass culture, une valeur incitative à la découverte et à la fréquentation des lieux du spectacle vivant. » Dans le même temps, et bien que l’action publique ait encouragé depuis longtemps la retransmission des spectacles, ils constatent « un insuffisant pilotage » de la politique ministérielle en la matière, auquel il conviendrait de remédier en désignant un chef de file. Ceci, d’autant que de nouvelles perspectives d’élargissement des modes de diffusion des captations de spectacles se sont ouvertes : de façon récente, on observe une offre abondante et diversifiée sur les plateformes (généralistes ou thématiques, gratuites ou payantes) ainsi que des expériences de livestream, et depuis une dizaine d’années déjà, une programmation dans les salles de cinéma dont le succès ne se dément pas.
La deuxième partie est consacrée au modèle économique des captations, qui repose d’une part sur les obligations de contribution au financement d’œuvres audiovisuelles et de diffusion des chaînes de télévision publiques et privées, et d’autre part sur le dispositif des aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). À ces aides se sont ajoutées celles, exceptionnelles, mises en place en 2020 et 2021 par le Centre national de la musique (CNM) dans le contexte de crise sanitaire. De son côté, l’Office national de la diffusion artistique (Onda) a lancé un appel à projets incluant les captations. « Ces aides ont répondu à une demande des acteurs du spectacle vivant, mais si elles devaient être pérennisées ou prolongées, la mission est d’avis qu’elles fassent l’objet d’une évaluation et que leur complémentarité et leur harmonisation avec les aides du CNC soient assurées », est-il indiqué.
Sur un plan juridique cette fois, la mission a examiné les différentes difficultés que soulevaient les captations, au regard du droit de la propriété intellectuelle, du droit du travail et de la fiscalité, et s’est également fait l’écho de la demande « récurrente » exprimée par les représentants des producteurs de spectacles de voir créé en leur faveur un nouveau droit voisin.
Les auteurs du rapport ont, par ailleurs, jugé indispensable de mieux accompagner le développement des captations, au regard des nombreuses opportunités qu’elles présentent en termes d’éducation artistique et culturelle, notamment à l’adresse du jeune public, et de conservation du patrimoine – afin de garder une trace de représentations, par essence, éphémères. La question de la découvrabilité des œuvres mises en ligne mérite aussi, selon eux, « une réflexion spécifique ».
Enfin, une dernière partie se concentre sur les enjeux écologiques, la mission appelant de ses vœux une étude comparative, pour différents types de manifestations culturelles, du bilan carbone des déplacements des publics venus assister à un spectacle et de celui du visionnage d’une vidéo ou de l’écoute d’un enregistrement audio. En effet, si la captation peut sembler, de prime abord, une alternative plus durable, l’impact environnemental du numérique (lié essentiellement à la construction et l’utilisation de terminaux) s’avère conséquent.
En conclusion, le rapport énonce 24 recommandations, dont :
• la création, par le ministère de la Culture, d’une instance de pilotage de la politique menée en faveur des captations de spectacles vivants comme outil de démocratisation culturelle ;
• la conception et l’organisation du programme d’aide à l’image en faveur du spectacle vivant musical du Centre national de la musique (CNM), en parfaite complémentarité avec les aides existantes du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Les aides allouées par l’Office national de diffusion artistique (Onda) devront, de même, faire l’objet d’une évaluation.
• l’engagement, par la Direction générale de la création artistique (DGCA), d’une réflexion autour de la création d’une plateforme ou d’un agrégateur de captations théâtrales, sur le modèle de Numéridanse, par regroupement des plateformes existantes (Artcena, Théâtre contemporain) subventionnées par le ministère de la Culture ;
• mettre en place un groupe de travail chargé de la négociation d’un accord interprofessionnel qui garantirait une rémunération minimale au producteur de spectacles ;
• proposer au ministère de l’Éducation nationale le regroupement sur une plateforme unique des captations des spectacles vivants à destination des publics scolaires et universitaires ;
• favoriser le développement d’écosystèmes régionaux de captation et de diffusion de spectacles vivants, avec le concours des Drac ;
• inciter les professionnels (et notamment les opérateurs publics) à intégrer des captations gratuites ou payantes dans l’offre du Pass culture ;
• engager, à l’initiative de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), une réflexion sur la question de la promotion et de la découvrabilité des captations de spectacles vivants dans l’offre du service public de la radio et de la télévision ;
• susciter et accompagner la création d’un événement annuel (festival) autour de la captation de spectacles vivants ;
• confier à un bureau d’étude spécialisé une expertise pour comparer le bilan environnemental du spectacle vivant et de la captation, et objectiver les actions à mener en la matière ;
• veiller à ce que toutes les aides attribuées soient conditionnées au respect de certaines obligations environnementales.