Le nouveau directeur du Centre dramatique national mise sur la pluridisciplinarité et de grandes formes populaires afin de fédérer un large public.
Pour sa première nomination à la direction d’un Centre dramatique national, Simon Delétang est confronté à un défi de taille : animer une structure qui abrite notamment une salle d’un peu plus de
1 000 places et dont la mission (contrairement à d’autres scènes labellisées de ce type) est résolument pluridisciplinaire. Lui y voit plutôt une chance au regard de la ligne artistique qu’il défend ; celle d’un théâtre populaire héritier de Jean Vilar et des pionniers de la décentralisation. « Programmer de la musique, de la danse ou du cirque permet de toucher un public ne s’intéressant pas au théâtre », explique Simon Delétang, qui a tout naturellement choisi de s’entourer de dix créateurs et créatrices (à exacte parité) représentatifs de l’ensemble des disciplines du spectacle vivant. Se côtoieront ainsi la romancière Leïla Slimani, dont le nouveau directeur mettra prochainement en scène le premier texte dramatique, les circassiens Chloé Moglia et Bonaventure Gacon (lequel implantera son chapiteau), les artistes lyriques Sabine Devieilhe, Stéphanie d’Oustrac et Stéphane Degout, l’autrice Magali Mougel, les comédiens et metteurs en scène Vincent Dedienne et Clément Hervieu-Léger, le danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang. Par ailleurs, un pôle de production s’articulera autour de quatre compagnies. Celles-ci incarneront un autre volet du projet « Pour un théâtre de terrain » porté par Simon Delétang. Bien qu’évoluant sur des champs de recherche très différents, elles partagent en effet un même désir d’aller à la rencontre des populations d’un territoire : la Compagnie Le Grand nulle part (Julie Guichard) et la Compagnie Bloc opératoire (Emmanuel Meirieu) s’attachent à donner la parole à des hommes et des femmes invisibles, la Compagnie Le Combat ordinaire (Antoine de La Roche) collabore souvent avec des association et de petites communes, tandis que la Compagnie Alexandre (Lena Paugam) affectionne les formes in situ en milieu rural.
Afin de faire du Théâtre de Lorient un outil de démocratisation culturelle, Simon Delétang estime d’autre part essentiel de revenir au texte, qu’il soit classique ou contemporain. En cela, il s’inscrit à rebours de la scène actuelle, qui accueille de plus en plus d’écritures de plateau. Et l’assume. « Un théâtre populaire ne peut exister sans auteurs. Le texte constitue en outre un socle important sur lequel s’appuyer pour s’adresser aux spectateurs », souligne-t-il. Tout en se montrant attentif aux autrices et auteurs vivants, le directeur mettra à l’affiche de grandes œuvres du répertoire français. Leur caractère fédérateur sera renforcé par la présence, au sein des distributions, d’acteurs connus du public grâce au cinéma. Dans le même esprit, il aimerait programmer des spectacles de la Comédie-Française et conviera des membres de la Troupe – qu’il a récemment dirigés dans La Mort de Danton, de Georg Büchner, Salle Richelieu – à présenter des cartes blanches ou des seuls-en-scène.
Les actions menées sur le territoire cibleront, là encore, les personnes éloignées de l’art et de la culture, via des partenariats parfois inédits, tel celui noué avec le Football Club de Lorient dont la célébration du centenaire devrait donner lieu à une production conçue avec des amateurs. S’inspirant de son expérience à Bussang où il parcourut plusieurs villages avec Lenz, de Georg Büchner, Simon Delétang accentuera la diffusion de spectacles en itinérance et envisage d’ici quelques années d’organiser des tournées à vélo permettant de rallier l’ensemble des communes. Il initiera également un temps fort baptisé Litt’Oral, composé de formes en extérieur spécialement pensées ou adaptées pour des lieux atypiques ou patrimoniaux. Complémentaires à une programmation jeune public, les interventions dans les écoles, quant à elles, accorderont une large place à la découverte des dramaturgies contemporaines, avec une participation active des élèves qui seront associés à la création d’un Prix de la littérature dramatique jeunesse.
Enfin, l’un des enjeux majeurs sera de transformer le Grand théâtre (construit en 2003), dont l’architecture est aussi magnifique qu’imposante, en un lieu de vie. Le nouveau directeur songe à réaménager le hall, mais aussi à proposer des temps de convivialité, par exemple le mercredi à l’intention des enfants, épaulé en cela par Julien Chavrial, comédien permanent et responsable pédagogique sous le précédent mandat de Rodolphe Dana. La visibilité du CDN et son appropriation par les habitants seront également facilitées par la création d’une billetterie nomade dans les quartiers de Lorient. « Il est nécessaire que le théâtre soit perçu comme partie intégrante de la ville, et non comme un bâtiment difficilement accessible », affirme Simon Delétang, qui se donne deux à trois ans pour parvenir à irriguer l’ensemble du territoire.