Les 6 et 7 septembre 1980, au bord du lac de Chalain dans le Jura, Michel Crespin organise La Falaise des fous, véritable manifeste d’artistes de rue des années 1970, regroupant plus de deux cents participants fonctionnant en coopérative « Les Saltimbanks réunis » et proposant trente-six heures de mise en scène ininterrompues.
Cet événement est resté dans les mémoires comme un acte fondateur des arts de la rue, témoignant de toutes les pratiques du moment : mime, jonglage, cinéma ambulant, installations éphémères, théâtre et chanson de rue... C'est le point d'étape entre le temps « cogne-trottoir » de la décennie 70 et celui de l'épanouissement, au cours des années 80.
lls mêlent les figures déjà connues, tels le funambule Michel Brachet dit « le diable blanc »,Xavier Juillot et ses proliférations aériennes, Jules Cordière et Le Palais des Merveilles ou Le Théâtre de l'Unité de Jacques Livchine et Hervée de Lafond, et ceux qui formeront la seconde génération des arts de la rue, comme Ilotopie qui met en scène un simulacre d'accident.
40 ans plus tard, le 29 août 2020, le Théâtre de l’Unité a voulu rendre un hommage, au même endroit, à Michel Crespin, décédé en septembre 2014. Un rendez-vous secret était donné au bord du lac de Chalain, aucune demande n’ayant été faite auprès de la préfecture. Jacques Livchine, cofondateur du Théâtre de l'Unité, raconte sur sa page Facebook :
« Pas moyen d’obtenir l’autorisation de faire une commémoration de la falaise des fous, à l’endroit même ou cela avait eu lieu en 1980 l’événement majeur du théâtre de rue après Aix ville ouverte aux saltimbanques en 1973.
Pour moi, il n’est pas question de ne pas le faire, nous devons rendre un hommage à Michel Crespin qui avait organisé cette fête pour ses 40 ans.
L’Unité y était et d’autres qui ont fait le voyage, Pascal Laurent, Annie Papin, Gilles et Brigitte Rhodes, Jacky Dejongk, Bernard Kudlak et Brigitte, les prémices du cirque Plume, Denis Benoliel Jean René des manches à balais vient de perdre sa Danièle, il nous envoie un message rempli de ses souvenirs.
C’est aussi une occasion symbolique d’une transmission des historiques de la Rue à la génération montante.
Mais voilà, le directeur de ce lieu jadis libre mais devenu camping international nous ferme tous les accès, certains sont arrivés par un petit sentier, mais tous les autres sont bloqués à 3 km du lac.
Et là, que va t-il se passer ? Suspense.
Nous sommes proches du fiasco, l’Unité qui avait pris la direction artistique de la commémoration risque de terminer jeté dans la lac par tous les jeunes.
La situation est gravement bloquée.
Or, la directrice de la Drac Bourgogne-Franche Comté, Anne Matheron est présente, car elle connaissait Michel Crespin.
Accompagnée par Stéphanie Ruffier, Présidente de la Franc-Comtoise de rue, elle se rend auprès du directeur Ralph Geldreich elle représente le préfet et l’État et se porte garante de l’événement. À regret et avalant sa colère, le directeur cède.
Une seule condition exigée : porter des masques, et dégager avant midi
Pendant quelques minutes, la frontière va s’ouvrir laissant passer une dizaine de véhicules dont la remorque de Xavier Juillot , chargé de la performance centrale.
La gendarmerie est arrivée dare-dare et surveille à une centaine de mètres.
La tension est forte
Petit discours d’ouverture de Livchine avec Tchekhov : "les vivants ferment les yeux de morts, mais les morts ouvrent les yeux des vivants" et ainsi donc Michel continue de nous parler.
Bernard Kudlak (Cirque Plume) fait une plaidoirie pour que les jeunes n’oublient jamais la nécessité de la poésie dans le théâtre.
Et là, miracle, le moteur Porsche, se met en route la manche à air monte jusqu’à cent mètres,
Gigantesque émotion, nos yeux sont embués de larmes de joie.
Phénomène bizarre, nous sommes ensemble, liés par une force souterraine, une espèce d’amour universel, un sentiment indescriptible d’appartenance à un mouvement artistique qui ne s’arrêtera pas. »
Portrait de Michel Crespin
par Marcel Freydefont
Artiste, acteur, auteur, metteur en scène et scénographe urbain, enseignant, formateur, son aventure est significative après 1968 de l’émergence collective et d’un regain des formes artistiques dans l’espace ouvert à 360° qui a engagé ce qu’il appelait « un bloc générationnel » unissant diverses générations partageant un même idéal.