Aide à la création (automne 2016)
Caryl Churchill tient le devant de la scène politique depuis un demi-siècle avec une œuvre ample et novatrice tant au plan formel qu’au plan idéologique. Jusque dans les années 1990, son théâtre est représentatif du théâtre féministe. Il montre une préoccupation pour les sujets typiquement féminins tels que la schizophrénie de la femme moderne (conflit mère/femme) ou encore la situation économique des femmes dans la société (Fens, 1983, Top Girls, 1982). Son théâtre, d’inspiration brechtienne (Cloud Nine, 1979 ; Mad Forest) s’oriente ensuite vers des causes sociales et politiques qui dépassent les enjeux du féminisme. Enfin, depuis la fin des années 1990, Churchill se concentre sur l’innovation formelle. Elle remet en doute le concept de structure : depuis l'architecture de la pièce — en tableaux, parabolique, épique — jusqu'à l'unité de sens que sont la phrase et le mot : Blue Heart (1997) et Far Away (2000). Avec Love and Information, ou tout récemment, Escaped Alone, on ne passe plus jamais à l’acte : seul en scène, le langage. Far Away met en place, sur fond de guerre généralisée, un discours politique surréel où les mots sont détachés de leur significations conventionnelles et revêtent donc un caractère bien plus menaçant. Blue Heart se construit comme un diptyque dont la première pièce, Heart's Desire, offre un travail sur la linéarité et la répétition structurelle, un peu à la manière des jeux de contrainte de L'OuLiPo (voir L'Augmentation de Georges Perec), et la seconde, Blue Kettle, donne à voir une véritable fantomisation de la langue puisque les mots de la pièce, sans tenir compte de leur catégorie grammaticale, sont remplacés par deux vocables blue (bleu) et kettle (bouilloire) et enfin par les deux initiales b et k. Churchill, après avoir travaillé sur l'épuisement du sens au niveau de la structure globale, met en pièces la micro-structure, celle de la phrase, voire celle du mot. Les mots disent tout sauf la vérité - Ionesco prétend qu'ils ne parlent pas - et il faut donc faire des trous dans la langue pour toucher la vérité. Dans ses dernières pièces - A Number (2002) vient confirmer cette impression -, il semblerait que Caryl Churchill ait opté pour une prolongation du projet beckettien : les mots ne sont convoqués que pour encoder imparfaitement un univers condamné à se perdre en se disant.
Dernière mise à jour : 2/12/2016