L’impact de l’épidémie de Covid-19 sur le secteur du spectacle vivant et les incertitudes concernant les prochains mois ou années imposent pour les parties aux futurs contrats de diffusion de redoubler de vigilance dans la rédaction des contrats, en les adaptant à la situation actuelle et à venir.
Cette fiche a pour but de lister les points de vigilance pour effectuer ces adaptations et négocier au mieux les contrats tant du point de vue du diffuseur que de la compagnie. Il s’agit notamment :
Des conditions financières
Des conditions de dates et de report
Des conditions sanitaires
Du temps de montage / démontage / répétition
Des clauses d’annulation
Il est néanmoins nécessaire, au préalable, de rappeler quelques notions générales sur les contrats et d'identifier les impacts que l'épidémie de Covid-19 pourra avoir dans le secteur du spectacle vivant.
Attention : il ne s’agit pas de donner des exemples de clause mais plutôt de développer une approche plus individuelle de la rédaction contractuelle qui reflétera au mieux la réalité de la relation des parties et qui prendra en compte les risques propres à chaque situation.
Généralités sur les contrats
Le contrat est, selon le Code civil, une rencontre des volontés : la rencontre entre une offre et une acceptation.
Ainsi, pour être conclu, le contrat n’a pas forcément à être formalisé par un écrit, il peut être seulement oral.
L'offre, et son acceptation par le cocontractant pourraient se faire par téléphone, ou bien encore par mail. Que ce soit à l’oral ou par mail, dès lors que l'offre a été fermement acceptée, la phase de pourparlers est achevée et le contrat est conclu.
La preuve des engagements réciproques
Le contrat fait objet de preuve certaine en cas de contentieux. Il sera par exemple bien plus difficile de prouver l’existence d’un contrat passé par téléphone.
Permettre une négociation cadrée et prévoir des points particuliers
Le contrat est un outil commun qui est le fruit de la discussion entre les parties. Au delà de l’objet du contrat, il peut être nécessaire de s’entendre sur un certain nombre de points. La rédaction contractuelle est très libre, et peut par exemple :
- prévoir que tel ou tel événement relève de la force majeure ou au contraire qu'il n'en relève pas ;
- prévoir par avance le montant des indemnités en cas d'annulation pour telle ou telle raison ;
- favoriser en premier lieu la discussion pour trouver un terrain d'entente sur un report du contrat, etc.
L’intérêt de prévoir dans le contrat les conséquences de certains événements (par exemple : que se passe t-il si le circassien principal est blessé ? que ce passe t-il si l’on ne paie pas dans les délais ?) a un caractère à la fois pédagogique (savoir ce que qu’on peut et ce qu’on ne peut pas faire) et dissuasif (on sait ce que l’on risque) et crée ainsi une réelle sécurité juridique.
Attention, s’il est possible d’aménager très librement la relation contractuelle, plusieurs limites existent :
- l’ordre public et les bonnes mœurs (on ne peut passer de contrat sur des biens ou services considérés comme illégaux) ;
- toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, c’est-à-dire qu’elle ne s’appliquera pas au contrat (article 1170 du Code civil) ;
- les clauses abusives (il s’agit notamment, selon l’article L.442-1 du Code de commerce, des clause qui aurait pour effet d’attribuer à une partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie).
Le contrat est un échange des consentements, il est le fruit de la discussion entre les parties.
Il est important de bien comprendre les obligations réciproques de chaque partie afin que le contrat soit le plus équilibré possible et reflète bien la réalité des engagement réciproques.
Le contrat peut être rédigé en des termes très simples, tant qu'il est le reflet de l'intention des parties et de l'objet de leur accord.
Attention aux formulations peu claires ou ambiguës pour éviter des mauvaises interprétations et des potentiels contentieux. En effet, plus un contrat est clair et précis, plus la sécurité juridique en sera renforcée. Il est ainsi possible d'insérer plusieurs exemples pour préciser votre propos en prenant soin d’exprimer le fait que cette liste n’est pas exhaustive. Il est possible également de définir certains termes en préambule.
Attention également aux modèles de contrat : ceux-ci doivent être compris puis adaptés à la situation. Il ne faut pas laisser de clauses dont la compréhension est difficile.
Les contrats étant la loi des parties, ils ont force obligatoire. Une fois conclu, le contrat va constituer la loi des parties. Cela signifie qu'il s'impose à elles. Il est donc irrévocable et intangible, sauf modification conjointe du contrat par les parties par avenant.
Si l'un des cocontractants ne respecte pas l'une des obligations découlant du contrat, il peut en être sanctionné, sauf lorsque cette inexécution est la conséquence d’un cas de force majeure ou qu’elle résulte de la propre inexécution du contrat par l’autre partie.
Le Code civil (article 1217) énumère plusieurs sanctions à l'inexécution du contrat. La partie lésée peut par exemple provoquer la résolution du contrat en justice et demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Lorsque le contrat ne contient pas de clause relative aux conditions de la résolution du contrat et à ses effets, le cocontractant qui s’estime lésé devra entamer une négociation amiable avec l’autre partie ou, à défaut, en demander réparation en justice.
En effet, l’inexécution totale ou imparfaite du contrat sera -lorsque ses effets ne sont pas réglés par le contrat- source d’une discussion entre les parties et pourra se solder par un accord amiable ou une procédure contentieuse si les parties ne parviennent pas à un accord. Il apparaît alors d’autant plus important d’identifier les événements pouvant affecter l’exécution du contrat et d’adapter le contrat, notamment en réglant par avance les conséquences de son inexécution (cf. III. E).
La réforme du Code civil issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 a également prévu un mécanisme de révision du contrat pour imprévision appelé aussi théorie de l'imprévision.
L’article 1195 du Code civil prévoit en effet que si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. La notion d’exécution rendue excessivement onéreuse est interprétée par la jurisprudence comme une “situation qui a altéré fondamentalement l'équilibre des prestations”.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.
Identifier les modifications de l’environnement culturel face au Covid-19
Certains événements peuvent venir affecter l’exécution du contrat. Il convient d’anticiper tous ces risques avec le cocontractant, afin que le contrat apporte une plus grande sécurité juridique aux parties.
Dans le cas du covid-19, il peut s’agir par exemple :
- des mesures devant être mises en place pour assurer la sécurité et la santé de tous et pouvant impacter fortement le déroulement normal du contrat ou des représentations (il peut s’agir par exemple d’une baisse de jauge pour respecter la distanciation physique entre les spectateurs, d’un accès plus difficile au site de la représentation et entraînant une baisse de fréquentation, l’impossibilité pour une partie de l’équipe artistique d’être présente, notamment s’il s’agit d’artistes étrangers, etc…) ;
- au retour progressif et lent du public dans les salles de spectacles, les chapiteaux et même dans l’espace public lors de rassemblements ;
- à une possible nouvelle fermeture des lieux recevant du public en cas de 2ème vague de l’épidémie ;
- d’une baisse importante de fréquentation du public liée à des contraintes de déplacement, des règles de sécurité contraignantes ;
- d’un changement de distribution en raison de la maladie d’un ou plusieurs comédiens ou circassiens…
Chaque contrat reflétant une situation bien particulière, il est important d’entamer une réflexion en amont de la rédaction du contrat permettant de déterminer quels événements ou situations pourraient affecter son exécution normale.
Il est important dans la rédaction de lister le plus clairement et le plus précisément possible ces événements pour qu’il ne soit pas sujet à interprétation par les parties lorsqu’ils se produiront.
Adapter les contrats : points de vigilance
Rappel : il existe de manière générale trois types de contrat de diffusion : le contrat de cessions du droit d’exploitation d’un spectacle, le contrat de location de salle et le contrat de coréalisation (Pour plus d’informations, cf. notre fiche : "Les contrats dans le spectacle vivant"). Les deux premiers font peser l’entièreté du risque de la fréquentation sur une seule partie au contrat, soit le lieu de diffusion, soit la compagnie.
Dans un contexte où la présence du public est encore plus incertaine qu’à l’accoutumé, il paraît important de bien réfléchir avant de s’engager dans un contrat où le risque est très important.
Il peut ainsi paraître judicieux de discuter avec son cocontractant et de trouver un juste équilibre faisant supporter un risque « raisonnable » sur les deux parties en fonction de leur capacité financière.
Par exemple, dans un contrat de coréalisation, il peut être envisagé d’opérer un partage de recette différent de celui initialement prévu ou encore de ne pas insérer de clause de minimum garanti. Il est aussi possible d’imposer une renégociation des conditions financières du contrat (en cas de réussite, le contrat continu de s’exécuter, et est annulé en cas d’échec).
Pour plus de précisions sur les conséquences de l'annulation d'un contrat en l'absence de clause spécifique encadrant les causes de cette annulation, se reporter à la fiche : "Annulation de représentations, de festivals, de tournées".
Au lieu d’envisager une annulation pure et simple du contrat, les parties peuvent avoir déjà prévu des dates de remplacement dans le contrat, ou s’accorder sur l’obligation d’essayer amiablement de trouver d’autres dates possibles (en cas de réussite le contrat est reporté et en cas d’échec annulé).
Dans ce cas, il est important de renégocier des dates précises ou à minima de s’accorder sur une période précise pour les nouvelles représentations, et ce afin de tenir compte des calendriers de chaque partie, et de prendre en compte les obligations de chaque partie vis à vis de ses salariés.
Il est ainsi possible de prévoir qu'un report de dates est envisageable si celui-ci intervient dans un délai raisonnable, en prenant soin de préciser ce que constitue un délai raisonnable.
Pour plus d’informations, voire notre fiche : "santé et sécurité : les obligations d’employeur".
Afin de garantir son obligation de sécurité à l'égard de ses salariés, ainsi que celle relative à la protection de leur santé, l'employeur doit faire preuve d’une vigilance accrue lorsque ses salariés interviennent dans une entreprise extérieure.
En effet, s’il est possible de mettre en place des mesures pour ses salariés dans leur environnement habituel, il devient nécessaire d’entamer une discussion avec son cocontractant lorsque les salariés des deux employeurs ont vocation à se rencontrer dans un même lieu (l’équipe d’une compagnie qui vient jouer dans un lieu de diffusion aura nécessairement à interagir avec l’équipe dudit lieu).
Ainsi, une solution peut être d’ajouter une annexe au contrat établissant les règles à respecter au moment de cette cohabitation (voir notamment les recommandations sanitaires du ministère de la Culture pour la reprise d'activité) : Heures d’arrivée et de départ des équipes, respect des gestes barrières par les équipes, etc…
En raison des contraintes sanitaires, le temps des répétitions, montages ou démontages peut être augmenté de façon significative. Il faut donc le prendre en compte lors de la rédaction du contrat.
Comme rappelé précédemment, le contrat est un accord de volonté entre les parties. Ainsi, les parties ne sont limitées dans la rédaction de leur clause d’annulation que par le respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et par l’interdiction des clauses abusives.
Il est donc possible d’aménager la responsabilité dans le contrat et les conséquences de l’inexécution du contrat.
Pour plus d’informations sur la notion de force majeure, se référer à notre fiche "Annulation de représentations, de festivals, de tournées".
L’exonération de responsabilité : la force majeure
La force majeure est définie par le Code civil comme un événement échappant au contrôle du débiteur, imprévisible et irrésistible venant empêcher l’exécution du contrat.
Lorsqu’un cas de force majeur est constitué, il vient exonérer le débiteur de toute responsabilité contractuelle. En présence d’un cas de force majeure, on considère que le dommage n’a pas été causé par le débiteur de sorte que sa responsabilité ne peut pas être engagée.
Chaque cocontractant garde donc à sa charge les frais qu’il a engagés et ne pourra réclamer aucune indemnité à son partenaire, sauf stipulation contraire dans le contrat ou accord amiable.
Cependant, il existe des situations où l’impossibilité d’exécution d’un contrat résulte d’un événement échappant au contrôle des parties mais ne présentant pas nécessairement les conditions de la force majeure.
En effet, il n’est pas certain que la condition d’imprévisibilité soit constituée si une décision administrative venait à fermer de nouveaux les lieux de diffusion de spectacles vivants en raison de l’épidémie.
Attention, lorsque l’événement n’est pas expressément indiqué dans le contrat comme constituant un cas de force majeure, et si les parties ne s’entendent pas sur ce point, sa qualification de cas de force majeure relève de l’appréciation souveraine des juges.
Pour éviter les difficultés liées à la reconnaissance ou non d’un cas de force majeure, le contrat peut venir aménager la notion de force majeure en précisant que tel événement constitue un cas de force majeure pour les parties, ou au contraire qu’il n’en constitue pas un.
Ainsi, il est par exemple possible de stipuler dans le contrat, que la survenance d’un orage lors d’une représentation en plein air constituera un cas de force majeure, ou encore que l’annulation d’une manifestation artistique en raison d’une fermeture administrative des lieux de spectacles du fait d’une pandémie constituera un cas de force majeure. En cas de réalisation de l’événement, le contrat sera alors résolu ou suspendu de plein droit sans que la responsabilité de l’une des parties ne puisse être mise en cause.
La clause résolutoire (extinction du contrat)
La clause résolutoire vient préciser les engagements dont l’inexécution entraînerait la résolution du contrat (c’est-à-dire son extinction rétroactive) ou sa résiliation (extinction pour l’avenir).
Pour être valable la clause résolutoire ne peut donc se limiter à indiquer que tout manquement entraînera la résolution mais doit énumérer les engagements concernés.
Il est toutefois possible de prévoir que la clause résolutoire peut être mise en œuvre « du seul fait de l'inexécution ».
La mise en œuvre de cette clause résolutoire suppose au préalable que le créancier mette en demeure le débiteur d’exécuter sa prestation. Il est conseillé de préciser au contrat le délai dans lequel la mise en demeure restée sans réponse entraînera la résolution du contrat.
Attention : pour rappel, si le contrat ne comporte pas de clause résolutoire, il faudra soit se référer aux règles du droit général des contrats (issues du Code civil), soit régler amiablement et par la négociation avec l’autre partie les conséquences après la survenance d’un événement, soit en dernier lieu avoir recours à une voie contentieuse. Ces solutions ne permettent pas de préserver la sécurité juridique des parties, c’est pourquoi il est préférable de s’accorder en amont avec son cocontractant sur les conséquences de chaque type d’annulation.
La clause “pénale”
Il est également possible d’insérer dans un contrat une clause pénale, c'est-à-dire une clause fixant forfaitairement l’indemnité due par l’une des parties en cas d'inexécution du contrat.
L’indemnisation que peut verser une partie à l’autre est libre, tant dans ses conditions d’attribution que dans ses modalités de calcul. Elle peut être déterminée en fonction de la trésorerie de chacun. Elle peut par exemple :
- être subordonnée à l’attribution d’une aide ou d’une subvention (si tel organisme verse au lieu de diffusion telle subvention, alors le lieu de diffusion versera telle indemnité à la compagnie) ;
- être liée au moment où l’annulation devient certaine (telle indemnité sera versé si la décision administrative de fermeture des lieux intervient – de x jours avant le début des représentations)
- être fixée forfaitairement, par exemple le coût de cession du spectacle tel que prévu dans le contrat ou un % de ce montant, le coût plateau etc.