Où l’on apprend que Gilles Defacque est né en Picardie, aux confins de la Flandre, terres de labeur, mais aussi de rires et de joie de vivre, qu’un cabaret populaire fréquenté par les ouvriers de l’usine d’en face fut à la fois son berceau et sa bonne fée, et qu’enfin l’éducation nationale et ses profs de lettres d’Amiens puis de Lille furent ses mère et pères nourriciers.

Tout commence en baie de Somme, dans la bourgade côtière de Friville Escarbotin, dont le nom fleure bon les toponymes imaginés par Labiche dans ses vaudevilles. Le père, représentant en vins et spiritueux, fait sa tournée des débits de boisson, il est aussi premier adjoint, conseiller général puis sénateur. Au Stalag, camp de prisonniers de guerre en Allemagne, il avait animé une troupe de théâtre amateur à l’usage des détenus. La mère, receveuse des postes respectée, rêve d’une autre vie et, à défaut de partir vivre en Algérie, prend la gérance d’un lieu de divertissement et de convivialité hybride, le Mignon Palace, qui fait café-restaurant pour les ouvriers de l’usine d’en face, salle de bal, de catch, de cinéma, comme l’indique fièrement le fronton de l’entrée principale. De ce lieu, où les plus grands catcheurs de l’époque — L’Ange blanc, le Bourreau de Béthune... — se changeaient dans la chambre de l’enfant, naîtront les multiples « cabarets » et fantaisies de Gilles Defacque ainsi que ses deux grands spectacles autobiographiques : Mignon Palace (2007) et Soirée de gala (Forever and ever) (2013).
En août 1945, au lendemain des explosions d’Hiroshima et de Nagasaki, naquit donc le petit Gilles au prénom prédestiné, qui allait consacrer sa vie à « faire le Gilles », alias le trublion, dans une eurorégion qui a vu naître le carnaval de Binche et ses Gilles rembourrés et bariolés — les Polichinelles de Wallonie —, ainsi que le plus valenciennois de tous les grands peintres, Watteau, son Gilles et ses « fêtes galantes ».
À l’école publique en général et à celle d’Escarbotin en particulier, Gilles Defacque estime devoir beaucoup de ce qu’il est, ainsi qu’à la tradition ouvrière syndicaliste et militante, et à la langue picarde, la seule à être parlée en dehors de l’école, cette parlure fleurie et imagée — un mot dont il fera d’ailleurs le titre d’une publication aux éditions Invenit. Quant aux séances de catéchisme animées par un curé haut en couleurs, cousin picard de Don Camillo et adepte du burlesque, elles étaient ponctuées de projections de Buster Keaton et de Laurel et Hardy, qui ont éveillé sa passion pour le cinéma.
Sa réussite au concours de l’École normale d’instituteurs en 1963 expulse — propulse ? — le jeune Gilles vers la grande ville, capitale de la Picardie : Amiens. Un professeur, monsieur Nattiez, fait découvrir à ses élèves de seconde les théâtres de Ionesco, Beckett et Adamov. Il les emmène au Théâtre du Carquois découvrir les mises en scène d’André Steiger, puis à Paris, au Théâtre national populaire, tout en les incitant à fréquenter le ciné-club et les concerts des Jeunesses musicales de France. L’ado découvre aussi le sport et trouvera sa place au poste de goal dans plusieurs équipes de hand-ball de la région. Et c'est grâce à cette passerelle d’accession à l’enseignement supérieur, qu’on appelait « propédeutique », que Gilles est invité à poursuivre ses études à la fac des lettres de Lille.