On dit que tous les chemins mènent à Rome, que Venise n’est pas en Italie… Christophe Rauck a tracé sa route en créant sa propre famille de théâtre, en choisissant de s’inscrire dans cette longue et belle lignée de missionnaires du théâtre de service public.
Hasard et nécessité
C’est le hasard, une rencontre, puis une autre qui auront raison de toutes ses hésitations et le conduiront vers la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil. Auparavant, il avait croisé un mage nommé Gérard Desarthe dans les coulisses de l’Odéon, qui jouait dans L’Illusion comique de Corneille mis en scène par Giorgio Strehler. Premier coup de foudre pour le théâtre où la magie croise le fer avec la poésie. C’est à cet endroit qu’il veut être, et nulle part ailleurs.
Apprenti comédien, il intègre la troupe flamboyante de la non moins flamboyante Ariane Mnouchkine en 1991. Il jouera dans Les Atrides d'Eschyle-Euripide, puis dans La Ville parjure ou le Réveil des Érinyes d’Hélène Cixous. De ce premier compagnonnage avec Mnouchkine, il conserve intact le goût de la réflexion collective, du partage, des allers-retours entre le plateau et la salle pendant les longues heures de répétition. Entrer au Soleil, « c’était pour toujours ». Mais un léger différend mettra un terme à cette première aventure théâtrale. On ne quitte pas Ariane. On ne rompt pas le fil. On prend juste un autre chemin.
C’est la nécessité, un besoin vital de théâtre, qui le conduit à demander à ses amis comédiens de travailler sur Le Cercle de craie caucasien de Brecht. Christophe Rauck imagine des exercices sur le texte sans penser « mise en scène ». Ses compagnons de jeu le poussent à aller de l’avant et il se laisse porter par l’aventure. « Il m’était impossible de me dire que j’allais me retrouver au même endroit qu’elle » dit-il. Elle, c’est Ariane. Ariane viendra les voir au fin fond de la grande banlieue sud où il répétait et programme le spectacle au Théâtre du Soleil. Le soir de la première, Christophe Rauck comprend qu’il est passé de l’autre côté du miroir. Une évidence, « J’étais à ma place. C’était simple. » Nous sommes en 1997.
Le cercle de craie causasien, Journal télévisé du 30 avril 1998
Voyage(s)
Lors de ses années Soleil, il fait un premier voyage en Russie. À travers les vitres du train, il traverse de grands ensembles gris, paysages étrangement familiers qui lui donnent l’impression de parcourir Bobigny ou La Courneuve. Les échanges avec les artistes russes, acteurs, metteurs en scène mais aussi et surtout les plasticiens le marquent, tout comme la peinture russe. La Russie ne le quittera plus. Il y reviendra pour créer, en janvier 2017, Amphitryon de Molière avec la troupe des Fomenkis à Moscou. Formidable aventure qui se poursuivra en France. Christophe Rauck aurait-il du sang russe dans les veines ?
Présentation de Amphitryon au Théâtre du Nord, avec les comédiens de l'Atelier Théâtre Piotr Fomenko de Moscou, 2017
Auparavant, plus précisément en 1997, il se rend en Allemagne, où il présente Le Cercle de craie caucasien au Berliner Ensemble et conquiert haut la main un public exigeant, qui connaît son Brecht sur le bout des doigts. « Le théâtre est plus grand que le monde » dit-il. Le monde entier est un théâtre, disait Shakespeare. Qu’il mette en scène des pièces classiques ou contemporaines, Christophe Rauck demeure sensible aux bruits de son époque.
En 1998, retour en Russie, à Saint-Pétersbourg, où Christophe Rauck suit un stage de mise en scène avec Lev Dodine. Toute son expérience, son savoir-faire jusqu’ici acquis sont soudain validés par la méthode Dodine : « Je comprenais tout. Je me reconnaissais dans ce rapport concret, et pas seulement allégorique à l’histoire. C’était mes outils, je les avais appris dans mon corps. J’étais arrivé à la mise en scène par hasard. Il m’a fallu du temps pour conscientiser tout ça, comprendre et analyser. » Tout s’est fait progressivement, avec des coups d’accélérateurs parfois. Lev Dodine en fut un.
Metteur en scène et directeur de théâtre
De 1997 à 2003, Christophe Rauck va mettre en scène successivement Le Cercle de craie caucasien de Brecht, Comme il vous plaira et La Nuit des rois de Shakespeare, Le Théâtre ambulant Chopalovitch de Simovic, Le Rire des asticots de Cami, L’Affaire de la rue Lourcine de Labiche et Le Dragon de Schwarz. En 2003, il entre dans l’institution : il est nommé directeur du Théâtre du Peuple de Bussang, puis, en 2008, du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, puis, en 2013, du Théâtre du Nord et de l’école qui est rattachée. En janvier 2021, il prend la tête du Théâtre Nanterre-Amandiers.
Christophe Rauck raconte sa prise de fonction en pleine crise sanitaire
Reportage de Thierry Fiorile, France info, 2021
Directeur de plusieurs Centre dramatiques nationaux, il n’en demeure pas moins un metteur en scène prolifique. Dans ces deux fonctions, un seul mot d’ordre : la transmission. Ayant « biberonné au service public », il est convaincu que « les grands textes sont pour tous. Notre mission est de faire passer l’intelligence, la beauté des pièces sur un territoire ; de permettre au public de ne pas se sentir étranger aux œuvres. » Et s’il ne croit pas à un « théâtre égalitariste », Rauck est convaincu que « le théâtre ne peut être réservé qu’à une élite. On a besoin de l’élite, mais pas que… ». En aucune manière, Christophe Rauck metteur en scène et/ou directeur de théâtre a une vision surplombante de son travail. Il sait s’effacer pour laisser les acteurs, le public trouver leur place dans chaque spectacle, dans l’enceinte même du théâtre. « C’est un aller-retour incessant entre le plateau, l’acteur, le metteur en scène, le public… Personne n’est dominant, tout le monde travaille à la fable. C’est ça le théâtre. »
Et c’est bien parce qu’il a eu l’opportunité d’être directeur de théâtre public qu’il a pu mettre en scène pièces du répertoire et textes contemporains. Le metteur en scène seul enfermé dans sa tour d’ivoire : très peu pour lui ! « Mon parcours est naturellement lié aux lieux. Je ne peux grandir qu’avec mon outil et outil, c’est un lieu, un théâtre, une scène. C’est cela qui donne du sens. Je ne peux travailler qu’en équipe. Je ne sais pas travailler seul. Mon bureau, c’est le plateau. » Là où certains metteurs en scène renoncent à la direction d’un théâtre, lui parle de « bonheur » partagé avec les différentes équipes et théâtres qu’il a rencontrés et, ajoute-t-il, « ils m’ont rendu meilleur. C’est pour ça que je dis toujours que le théâtre est plus grand que soi. »