La Commission Autrices des États Généraux des Écrivains et Écrivaines de Théâtre (EGETT) vient de rendre publique une Charte visant à accroître la visibilité des autrices dramatiques.
Le 7 juillet 2019 étaient lancés au Théâtre national de la Colline les États Généraux des Écrivains et Écrivaines de Théâtre (EGETT) réunissant 200 auteurs et autrices. Soutenus par la DGCA, Artcena, La Chartreuse-CNES de Villeneuve-lès-Avignon et la SACD, les EGETT ont mis en place 9 commissions dont la Commission Autrices qui, après avoir présenté un Livret Autrices en juillet 2019 à La Chartreuse, a décidé d'approfondir la réflexion avec l’appui d’Agnès Saal et de la Mission Diversité-Égalité du ministère de la Culture. Ses travaux ont permis d’aboutir à la rédaction d’une Charte de l’égalité des autrices de théâtre destinée à dresser un certain nombre de constats sur la situation des autrices et à formuler des préconisations en faveur d’une plus grande égalité.
Dévoilée le 9 mars 2021, cette Charte s’articule autour de trois axes : les aides à l’écriture, la programmation et la transmission.
• Les aides à l’écriture
Si les chiffres avancés par l’Observatoire de l’égalité entre les hommes et les femmes et le Centre national du livre (CNL) attestent d’une parité entre les hommes et les femmes (et même d’une situation légèrement favorable pour ces dernières) sur le plan des aides, il en va différemment au regard des montants alloués. C’est bien ici que le bât blesse, selon Agnès Marietta, membre de la Commission Autrices des EGETT et co-rédactrice de la Charte. « Quand les femmes sont soutenues, elles le sont à un niveau inférieur par rapport aux hommes », explique-t-elle, admettant toutefois que « les autrices, soumises à une forme d’auto-censure, sollicitent des sommes moins élevées ». Concernant les Comités de lecture des théâtres et les maisons d’édition, la Charte réclame davantage de transparence sur le pourcentage de textes de femmes et d’hommes reçus chaque année, mais pointe surtout le fossé qui subsiste entre la reconnaissance du talent des femmes (laquelle s’est améliorée ces dernières années, également de la part des lieux de résidence d’écriture, où l’équilibre entre hommes et femmes est respecté) et la présence effective de leurs pièces sur les scènes. « Les textes sélectionnés par les Comités de lecture des théâtres ne sont que très rarement mis en scène, produits ou co-produits par ces mêmes théâtres », notent ainsi les rédactrices de la Charte. Les choix effectués par les éditeurs de théâtre pénalisent, eux aussi, les autrices. « Certaines maisons d’édition publient uniquement des textes programmés, donc majoritairement masculins, ce qui induit un cercle vicieux », fait valoir Agnès Marietta. Les pièces des autrices étant rarement montées, elles sont peu éditées, ne peuvent donc susciter l’attention de metteurs en scène ni être étudiées dans les établissements scolaires. Pour tenter d’enrayer ce mécanisme, la Charte souhaite notamment que la commande de textes aux auteurs et autrices soit encouragée, dans le respect des règles de parité.
• La programmation
Hormis certaines démarches volontaristes – telle celle du metteur en scène et directeur du Théâtre national de Strasbourg, Stanislas Nordey, qui a choisi de mettre en scène uniquement des textes de femmes – les programmations des théâtres réservent une place très minoritaire aux autrices : 28% étaient à l’affiche des scènes labellisées par le ministère de la Culture lors de la saison 2016-2017, indiquée comme référence par la Commission Autrices des EGETT. En conséquence, les autrices n’ont souvent d’autre choix que de mettre en scène elles-mêmes leurs textes pour leur offrir une chance d’être joués. Outre demander que les pièces ayant bénéficié d’une aide à l’écriture et/ou à la création soient accompagnées pour accéder au plateau, que ces dispositifs d’accompagnement se multiplient et soient paritaires, la Charte relie une meilleure représentativité des femmes sur les scènes à la nomination d’auteurs à la tête des lieux (favoriser les candidatures de duo auteurs ou autrices/metteurs et metteures en scène) et à la présence « systématisée dans les théâtres publics » d’auteurs et autrices associés. « Pour agir sur la programmation, il est nécessaire que les auteurs et autrices accèdent aux organes politiques et de décision », souligne Agnès Marietta. Elle en appelle également à la création d’un réseau d’auteurs qui promeuve l’écriture dramatique et à l’extension du statut d’auteur associé à d’autres lieux publics (médiathèques, conservatoires…), afin de développer de nouveaux espaces de programmation.
• La transmission
Favoriser la culture de l’égalité passant en premier lieu par l’éducation et l’enseignement (qu’il soit général ou spécialisé théâtre), la Commission Autrices s’est penchée sur la place accordée aux femmes par les programmes scolaires. Un chiffre apparaît très éloquent : le pourcentage des textes d’autrices dans les manuels des lycées n’excède pas 15%. « Depuis l’Antiquité, les femmes ont toujours écrit. Elles furent jouées, publiées, reconnues par l’Encyclopédie, mais effacées à leur mort », constate Agnès Marietta. La Charte préconise alors – si l’on veut également que des jeunes filles puissent se projeter dans le métier d’autrice – de modifier les corpus des œuvres étudiées du secondaire à l’Université et d’actualiser les catalogues des bibliothèques et médiathèques dans le sens d’une plus grande parité. Il est également important de sensibiliser les enseignants aux stéréotypes sexistes et de les encourager à découvrir et faire partager à leurs élèves des textes d’autrices du théâtre classique et contemporain. Les écoles supérieures de théâtre et les conservatoires sont tout aussi (et même au premier chef) concernés par ces conduites de changement. « Leurs étudiants bâtiront le théâtre de demain, en étant comédiens et peut-être aussi auteurs, metteurs en scène ou scénographes », rappelle Agnès Marietta. À l’instar de ce que pratique depuis deux ans l’École supérieure de comédiens par l’alternance (ESCA) d’Asnières en mettant à disposition des candidats une liste d’autrices du matrimoine et en imposant au concours d’entrée une scène d’un auteur et d’une autrice, tous les établissements d’enseignement d’art dramatique devraient veiller à une plus grande parité dans le choix des textes imposés au 1er tour d’admission ; ce qui, au vu des résultats des enquêtes menées par la Mission Diversité-Égalité, est encore loin d’être le cas. Enfin, dans l’organisation de l’enseignement, les écoles supérieures sont incitées à observer la parité entre les différents intervenants et artistes associés, dans les commandes d’écriture passées aux auteurs et les exemples cités lors des cours d’Histoire du théâtre.
Document de référence qui demandera à être réactualisé (il a été publié en juillet 2020) et évalué, la Charte de l’égalité des autrices de théâtre a été pensée comme un outil de travail dont tous les professionnels de la culture et les initiateurs des politiques publiques sont invités à s’emparer. « Nous souhaiterions rencontrer les acteurs de tous les secteurs concernés, pour éventuellement retravailler la Charte avec eux et voir comment ils peuvent l’intégrer à leurs actions », précise Agnès Marietta, qui réfute l’idée d’une quelconque atteinte à la liberté de programmer ou d’enseigner que certains lui ont opposée. « On confond souvent la liberté et l’habitude, qui consiste à aller vers ce que l’on connaît déjà, ce qui est visible. C’est cela que nous devons combattre », objecte-t-elle. Car, au-delà de la seule question de la parité, il s’agit tout simplement de promouvoir la diversité et un théâtre résolument en phase avec la société actuelle.