Cirque et théâtre, pourrait-on dire, du spectacle revigorant et cocasse, 3 clowns par Laurent Barboux, Lionel Becimol et Alexandre Demay -, pédagogie bon enfant, convivialité et auto-dérision. On aura appris ainsi que les clowns ne font pas des numéros mais des entrées : des comédies courtes issues du fonds de la farce, ou des parodies des artistes qui viennent de quitter la piste.
Un cercle tracé au sol et en son centre une table et trois acteurs autour. Les spectateurs entrent. La représentation a-t-elle commencé ? Les acteurs se transforment en clowns : Monsieur Lô, le Blanc et les Auguste, Marcel et Airbus, se préparent pour cet hommage aux clowns d’antan traditionnels, de dérapages en glissades, de bouderies en rires partagés - belle humeur assurée. Le personnage du Clown est bouffon, maniant l’insolence virtuose et absurde : « Tu seras donc toujours mauvaise langue et calomniateur, coquin ? », gronde la comtesse. « Je suis prophète, madame, et je dis la vérité par le plus court chemin », répond le clown. (Shakespeare, Tout est bien qui finit bien).
Le clown, d’origine rurale et britannique, manie la rhétorique avec habileté, pris paradoxalement par un corps maladroit et balourd ou non, mais déclencheur de comique. Il est introduit dans le cirque équestre, en contrepoint aux exercices hippiques, fin XVIII è. Un bouffon, un rustre, un peu Arlequin, avant que ne se fixent au XIX è siècle les deux formes du clown du spectacle de cirque. Les entrées servaient à l’origine à faire patienter le public antre deux attractions, à travers une simplicité des thèmes et des arguments, la singularité des interprètes et leur force comique..
D’un côté, le Clown Blanc (Monsieur Lô), interprété par Laurent Barboux, fait sourire par son emphase apprêtée, médiateur et témoin de l’action sur scène. Et de l’autre côté, les deux Auguste - Lionel Becimol (Airbus) et Alexandre Demay (Marcel ) : les vrais clowns risibles, provoquant le rire par leur vêtement, leur grimage outrancier, leurs gesticulations - des écarts au bon sens quotidien. Les Auguste trébuchent, ne voient pas l’obstacle ni le danger, ne comprennent qu’à contresens ou pas du tout ce qu’ils entendent, échouent dans ce qu’ils entreprennent. Or, par ailleurs, Monsieur Lô, Marcel et Airbus s’adonnent en plus à des activités spectaculaires, acrobatiques et musicales.
3clowns - Cie Les Bleus de Travail
Chez les clowns-Auguste, le décalage entre mobilité active et impassibilité émotive suppose une maîtrise longuement acquise, un engagement intense. Leurs pitreries sont sensées cacher des âmes sensibles, révélatrices d’un personnage en soi, sensible et blême, derrière le nez rouge. Gestuelles, costumes caricaturaux, maquillage - blanc et noir - et nez rouge, les Auguste s’opposent au clown blanc - Pierrot lunaire et maladroit, commentateur impassible et parfois cruel. Face à lui, le délire et la maladresse fictive de ces deux clowns, entre énergie dionysiaque et poésie mélancolique de l’échec, sans oublier la honte de soi renvoyée au spectateur attentif.
Ainsi, furent glorieux les grotesques Footit et Chocolat, Grock, les Fratellini, artistes d’improvisation burlesque - caricature corporelle et langage simplifié, visant le rire spontané, celui de l’enfance. Les Bleus de travail disent évoquer les clowns du cirque classique, des figures disparues: ils les jouent, les incarnent, les interprètent, les saluent bien bas, leur rendent hommage et les pillent. Ils reprennent leurs cabrioles - art fameux de la chute et de la gamelle -, tel est l’apprentissage de la vie et du monde à travers une camaraderie et une complicité nuancées de lutte pour le pouvoir, sans oublier le goût du public installé en face d’eux dans la salle, le regard rivé sur leurs facéties.
Le trio joue sur la scène un théâtre élaboré et subtil, sensible et raffiné. Le motif de la peau de banane en est un bon exemple : si, sans l’avoir vue, on glisse dessus et tombe, le cirque s’impose. Si on pose « la pertinence de faire rire » avec la même scène, c’est de la dramaturgie théâtrale. « Nos Augustes récusent le pouvoir de leur Blanc qui lui-même doute de ses actes et rêve ouvertement de briller. » La vie de tous les jours en jouant et s’interrogeant sur l’existence.
Fanfares, engueulades, désir de communication, jongleries, prises à partie, acrobaties, mélancolie, cascades, veulerie, gloutonnerie, pouvoir et autorité, bravades, haute estime de soi et humilité : une histoire de clowns racontée par des clowns, en s’amusant des ficelles du métier, en les re-visitant, en les détournant, dans une mise en abyme qui n’en finit pas - théâtre dans le théâtre. Un spectacle sur la belle fonction d’amuseur scénique : un témoignage existentiel sur l’art de vivre.
3clowns par la Cie Les Bleus de travail. Du 30 novembre au 28 décembre 2022, puis repris du 29 janvier au 28 mars 2023, au Théâtre Trévise à Paris.