La compagnie d’Aude Schmitter secoue l’hôpital et ses fantômes : un modèle économique à bout de souffle, un service public moribond, un personnel et des patients au bord de la crise de nerfs… En rue, au pied d’un bâtiment public, ses interprètes auscultent les inquiétudes et dansent le besoin de sens et de soin.
La saignée des services publics n’est pas qu’une vague impression. Le corps en souffrance en constitue un symptôme objectif. Pour la metteuse en scène Aude Schmitter, tout débute par l’expérience, dans sa chair, de la surchauffe des urgences hospitalières. Bien avant que le personnel soignant ne soit chaleureusement applaudi chaque soir à vingt heures, puis ne retombe dans l’oubli, elle décide de récolter la parole d’hommes et de femmes rongées par un néo-management où prime la rentabilité. Au terme d’un long travail d’enquête, dans un contexte de pandémie, elle dresse avec la compagnie La Berroca le portrait subtil de professionnels soucieux des moyens financiers et humains.
Construit à partir de témoignages, façon podcast intimiste, PLS ou Prendre Le Soin est un spectacle qui prend le pouls de notre système de soin dans l’espace public-même, lieu privilégié pour faire entendre les luttes et la défense du commun. Lauréat du dispositif Sacd « Auteurs d’espaces », il choisit de nous faire physiquement éprouver l’attente, sur le macadam. Peu à peu, le monde de l’hôpital investit escalier, fenêtres et façades, se fraie des chemins dans le public, le déplace, le dérange. Il s’agit d’éprouver dans les corps l’urgence, le manque de place, les allées et venues.

Le blues hardcore de la comptable
Quand on parle de l’hôpital, comme le souligne une voix de soignant, « on est vite dans les considérations générales ». Ici, on tente donc quelques incisions au scalpel pour questionner l’éthique et la pratique. Facturation à l’acte, locaux et matériel obsolètes, manque de personnel, place dévorante de l’informatique… Les maux diagnostiqués sont aussi ceux d’autres services publics. On les connaît. La variété des points de vue nous donne par exemple à entendre un psychologue évoquant le « corps machine » de Descartes. « On ne peut pas être spécialiste de tout. On forme des techniciens, c’est déjà bien (…) Bref, pour l’émotionnel, c’est moi ! » Et c’est là où la proposition devient émouvante : quand l’émotion s’incarne dans des images ; quand la métaphore prend le relais du constat.
Une comptable use du chant guttural saturé des hard rockers pour hurler son ras-le-bol des chiffres et des tableaux Excel, toujours « faire plus plus plus, avec moins moins moins ». On se régale de ce pétage de plomb face à une logique administrative insensée. L’anesthésiste qui allume clope sur clope, nous sert un discours brut de décoffrage. Moment d’anthologie. On saute ainsi de personnage en personnage avec, parfois l’envie de suivre plus amplement certains d’entre eux.
Lutter contre l’anesthésie générale
La danse n’est jamais performative, mais plutôt mise humblement au service du propos. L’apparition d’un fantôme surchargé de blouses évoque joliment le blues des soignants. Au centre du public, une sorte de catwalk voit les interprètes féminines danser avec frénésie la pression et l’amour d’un métier qu’elles continuent d’exercer, même au bout du rouleau. Le technicien est aussi de la partie. On se sent cernés, sur le qui-vive.
Cette création qui prend ses marques dans la rue est nourrie de belles intuitions. On reste marqués par la belle image des drains et par une audacieuse revisitation du french cancan. Cette danse salutaire évoquant le stress des infirmières est autant une libération aux forceps, qu’une façon de nous couper le souffle. Sous la blouse, la pulsion de vie ! Cette compagnie au nom vitaminé sait nous secouer et nous donner des frissons.