Près de six mois après le départ de Salvador Garcia en poste depuis 1997, la scène nationale d’Annecy accueille enfin un nouveau directeur, qui souhaite accentuer la permanence artistique et renforcer les liens avec le territoire.
Homme de défis aimant se confronter à des réalités et questionnements différents, Bertrand Salanon renoue avec la direction (il fut à la tête du TU-Nantes) après un long détour par le Théâtre national de Strasbourg où il seconda dix ans durant Stanislas Nordey sur le plan de la programmation, mais aussi de la production. Son appétence pour le montage de projets en faisait le candidat idéal pour Bonlieu, scène nationale qui présente la particularité de lier étroitement accompagnement des artistes et des publics. Une identité façonnée par Salvador Garcia, que son successeur entend conforter dans la façon même d’envisager la programmation, centrée sur le théâtre et la danse. L’une des premières orientations définies par Bertrand Salanon consistera ainsi à diminuer le nombre de spectacles – qui passera, progressivement, de 95 à 80 par saison – tout en maintenant celui des représentations. « Privilégier les séries permettra, d’une part de mieux soutenir les compagnies en leur donnant la possibilité d’approfondir leur geste artistique, et d’autre part d’œuvrer à l’élargissement et à la diversification des publics », fait-il valoir. D’autres bénéfices sont attendus : une permanence artistique accrue, et une diffusion davantage respectueuse de l’environnement, les préoccupations écologiques traversant l’ensemble du projet artistique et culturel de Bonlieu. Afin d’améliorer « la durabilité » des spectacles, Bertrand Salanon s’attachera à valoriser le répertoire des artistes associés et leur offrira les moyens et le temps nécessaires à la revisite de précédentes productions. Dans l’intervalle qui la sépare de sa prochain création, prévue à l’automne 2025, Maud Blandel reprendra L’Œil nu (programmé l’été dernier à Avignon) ainsi que sa toute première pièce, Touch Down (2015). La chorégraphe fait partie des trois artistes que le nouveau directeur a appelés à ses côtés, avec le metteur en scène Gwenaël Morin et l’Association Making Waves (dirigée par Amélie Billault et Alexandre Plank), investie dans la réalisation de fictions et de documentaires radio, de podcasts, de créations sonores et musicales et, plus récemment, de dispositifs immersifs. Un partenariat inédit pour une scène nationale, qui ouvrira la programmation sur des « modalités d’écriture augmentées ». Le travail sur la voix, la parole et l’écoute sera également riche de potentialités pour aller à la rencontre des populations.
La relation au territoire constitue en effet un enjeu fondamental pour Bonlieu, plus encore depuis 2017 et l’avènement de la Ville nouvelle d’Annecy, fruit de la fusion entre six communes. Soucieux de « donner corps » à cet espace recomposé et de développer un sentiment d’appartenance, Bertrand Salanon explorera ses imaginaires, tout en creusant une question qui lui tient à cœur : celle de la nature et du vivant, notamment grâce à la manifestation « Annecy Paysages », qu’il souhaite réinscrire dans un environnement urbain. « J’ai proposé d’élaborer, à l’image des sentiers de grande randonnée, un sentier métropolitain de découverte de la ville », explique-t-il. De plus, le temps fort ne sera plus cantonné à l’été, les œuvres alors créées devenant accessibles aux habitants tout au long de l’année. La programmation internationale se pensera, elle aussi, de façon locale et plus précisément transfrontalière : avec la Suisse (Lausanne et le Théâtre Vidy, en production comme en diffusion) et l’Italie. « L’accès à l’Italie depuis Annecy étant moins aisé, nous collaborerons avec Malraux, scène nationale de Chambéry, sur des propositions qui se structureront autour d’une attention au milieu, qu’il soit naturel, géographique ou social », indique Bertrand Salanon. Dans un second temps, celui-ci élargira son regard à l’Arc alpin, en imaginant une circulation de projets entre villes françaises, suisses, italiennes, autrichiennes, allemandes et slovènes, et l’élaboration de productions à l’échelle d’Europe Créative.
L’obtention de financements européens, entre autres, devrait permettre à la scène nationale d’accentuer son soutien à la production. « Jusqu’ici, elle mettait à disposition un outil et des moyens financiers, mais ne s’investissait pas dans le portage des spectacles », indique son directeur ; lequel désire à présent s’associer davantage aux équipes artistiques, « partager les risques » avec elles et mobiliser son réseau pour construire des productions plus équitables et durables. Bonlieu agira, par ailleurs, en qualité de producteur délégué, d’abord à l’endroit des formes itinérantes présentées sur le territoire (un volet renforcé à compter de la saison 2025/2026, principalement dans les domaines de la danse et des arts du geste), puis de l’émergence, ainsi qu’à l’adresse d’artistes étrangers non structurés en compagnies.
Maison d’artistes, Bonlieu demeurera aussi bien entendu celle des publics, dont la fidélité ne s’est pas démentie au long des vingt-cinq dernières années. Gageons que, malgré l’empreinte laissée par Salvador Garcia, ils ne seront pas déstabilisés par l’arrivée d’un nouveau directeur, espérée en outre depuis plusieurs mois. Particulièrement longue, la procédure de nomination aura eu le mérite de susciter chez tous (équipe, tutelles, spectateurs…) une grande curiosité, mue aujourd’hui en un enthousiasme et un accueil chaleureux qui étonnent autant qu’ils ravissent Bertrand Salanon.