Dévoilé ce week-end, le bâtiment rénové s’accompagne d’un projet ambitieux, qui souhaite réinventer les modes d’appropriation de l’art et de la culture et interroger les rapports entre un théâtre, une ville et ses habitants.
Après sept ans de fermeture, le Théâtre de la Ville fête ses retrouvailles avec les artistes et les publics ; lesquels remarqueront un premier changement : l’inscription sur la façade du nom de l’une de ses illustres directrices, Sarah Bernhardt, supprimé en 1941 sur injonction de l’occupant allemand (qui rebaptisa la salle Théâtre de la Cité) puis repris au début des années 50 avant de disparaître à nouveau. En le réintroduisant, Emmanuel Demarcy-Mota entend rendre hommage à « la force, et même la folie créatrice, de cette comédienne et metteuse en scène qui a marqué le théâtre français », et rappelle aussi la nécessité d’assumer l’ensemble de notre mémoire collective, ses épisodes heureux comme traumatiques. Cette démarche n’empêche pas le Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt de s’ancrer pleinement dans son époque. Impérieuse, la rénovation partielle du bâtiment (modernisation du plateau, des cintres et des dessous, jamais revus depuis 1968, mise aux normes de la salle) a ainsi constitué, aux yeux de son directeur, une formidable opportunité de repenser le rapport du théâtre avec la ville et ceux qui l’habitent, de façon permanente ou passagère. « Théâtre municipal populaire, le Théâtre de la Ville puise ses racines dans la décentralisation culturelle, précise-t-il. Aujourd’hui, il s’agit d’impulser un nouvel élan et de le porter au cœur de la capitale. »
Une telle refonte du projet supposant des transformations architecturales, le hall du théâtre a été entièrement réaménagé afin de se muer en un espace, non plus d’attente avant l’entrée en salle (en empruntant jadis de grands escaliers, aujourd’hui masqués), mais ouvert : sur la ville (des baies vitrées découvrent une splendide vue de Paris), toute la journée, à tous les publics et à des usages multiples. Cette agora contemporaine abritera des ateliers de pratique artistique et sportive, des workshops, des bals, des répétitions en présence de spectateurs, des débats, et accompagnera également la mutation numérique du Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt. Connecté à différents partenaires (des secteurs de l’éducation, des sciences, ainsi que de la santé comme cela fut initié pendant la crise sanitaire en lien avec l’AP-HP), à des métropoles et des théâtres français et internationaux (Florence et le Théâtre de la Pergola, Los Angeles dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2028…), le hall permettra de produire des activités et d’y faire participer les publics, in situ ou à distance. Pour développer sa programmation, le théâtre disposera en outre de deux salles de spectacles : la grande salle (932 places, dont 20 réservées aux spectateurs à mobilité réduite), équipée de cintres électroniques et d’un système de sonorisation autorisant des expérimentations en surround, et La Coupole, dédiée aux répétitions et pouvant aussi recevoir du public (130 places) et présenter de petites formes.
Le Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt deviendra, par ailleurs, un « théâtre dans la ville » en investissant l’espace public dans un périmètre qui englobera la Fontaine du Palmier, la Place du Châtelet et le Square de la Tour Saint-Jacques. Les 9 et 10 septembre, jours de l’inauguration du bâtiment, sera dressée sur la Place (côté Avenue Victoria) une scène principale où se produiront le chorégraphe Hofesh Shechter et le performeur Saïdo Lehlouh, et où seront également proposées des démonstrations de hip-hop et de nouvelles disciplines olympiques, une hip hop party, une battle pro nationale... Le Square accueillera des ateliers et une balade dansée conçue par Ambre Satore, et la seconde scène, située devant la Fontaine, une pièce chorégraphique d’Arno Schuitemaker. Cet événement lancera un nouveau temps fort, le Festival de la place, qui se déploiera les trois week-ends suivants. En outre, les 7 et 8 octobre, le théâtre sera ouvert en continu pendant 48 heures pour une Veillée, dans et hors les murs. Le Festival de la place reprendra ensuite dès avril 2024 et se prolongera jusqu’en juillet, dans ce même esprit de partage artistique et culturel pluridisciplinaire. « Nous ne nous adressons pas uniquement aux spectateurs qui connaissent le Théâtre de la Ville et le retrouveront, mais à tous ceux qui ne le fréquentent pas, afin d’élargir le cercle des initiés et favoriser le croisement des publics », indique Emmanuel Demarcy-Mota.
Si le premier spectacle de la saison – Chotto Desh, du chorégraphe Akram Khan, accessible gratuitement aux enfants des écoles et des centres de loisirs et à ceux âgés de moins de 15 ans – sera programmé le 4 octobre dans la grande salle, deux autres productions (celles de Nadia Beugré et de Robin Orlyn, dans le cadre d’un focus consacré à des artistes africains) auront été auparavant diffusées à L’Espace Cardin. Alors que l’avenir promis à ce lieu (où se déroulent aujourd’hui des actions d’éducation artistique et culturelle) occupé durant les travaux n’est pas encore tranché, le directeur du Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt lui manifeste un fort attachement. « Ce fut un magnifique laboratoire, que nous avons entièrement transformé. Nous avons aussi créé une saison estivale dans les jardins », souligne Emmanuel Demarcy-Mota, résolu à veiller à ce que, une fois le déménagement achevé fin septembre, il demeure un phare de la création française et internationale.