Tout en conservant un axe musical fort, la directrice favorisera des projets transdisciplinaires et s’attachera par ailleurs à faire rayonner le théâtre dans la ville comme dans l’ensemble des communes du Grand Poitiers.
Heureuse au Théâtre Rive-Gauche de Saint-Étienne-du-Rouvray où elle était en poste depuis 2018, Raphaëlle Girard se donnait encore un peu de temps avant de briguer la direction d’une scène nationale. Mais lorsque Jérôme Lecardeur annonça quitter ses fonctions au Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), le cœur l’emporta sur la raison. Émerveillée par l’équipement découvert à l’occasion du festival chorégraphique À Corps, cette passionnée de danse saisit immédiatement sa chance. « Que la musique soit au centre du projet me séduisait également », confie Raphaëlle Girard, ravie d’être « déplacée » dans ses habitudes. Prochainement, elle initiera d’ailleurs un nouveau temps fort baptisé « C’est musique ! » qui célébrera la rencontre de toutes les musiques (classique, contemporaine, expérimentale…) avec d’autres arts de la scène. Ce désir de transdisciplinarité se reflète aussi dans le choix des artistes associés. Hormis le compositeur et trompettiste Clément Lebrun, ceux-ci sont issus d’autres univers tout en entretenant des liens avec le champ musical : la danseuse et chorégraphe Rebecca Journo, qui collabore avec le créateur sonore Mathieu Bonnafous (lui aussi invité à s’impliquer dans le projet), la comédienne et chanteuse Estelle Meyer, l’auteur et metteur en scène (notamment d’opéras) Jean-François Sivadier et enfin Isabelle Huppert, davantage appelée certes à participer au Poitiers Film Festival (troisième événement organisé par le TAP), mais aussi, pourquoi pas, à proposer des lectures aux côtés des trois orchestres en résidence permanente que sont l’Orchestre de chambre de Nouvelle-Aquitaine, l’Orchestre des Champs-Élysées et l’Ensemble Ars Nova. « L’un d’eux pourra, par exemple, concevoir un programme à partir des compositeurs qu’évoque Jean-François Sivadier dans son récent spectacle, Sentinelles. C’est ce type de croisements que je m’attacherai à favoriser », explique Raphaëlle Girard, qui conviera d’autre part de grands noms de la chanson française : entre autres, Juliette Armanet ou peut-être Bernard Lavilliers, actuellement en tournée avec un orchestre symphonique. Les concerts de musiques actuelles, quant à eux, feront plutôt l’objet de co-accueils avec les deux scènes de musiques actuelles (SMAC) de Poitiers, le Confort moderne et Jazz à Poitiers.
Si la musique représentera un tiers de la programmation, le Théâtre Auditorium remplira sa mission de scène nationale, donc pluridisciplinaire. Raphaëlle Girard y présentera de la danse, lors du festival À Corps et durant la saison, alternant entre danse contemporaine, projets de recherche (notamment ceux de Rebecca Journo) et hip-hop, du théâtre (avec une prédilection pour les écritures contemporaines et engagées, et des metteuses en scène telles que Sophie Lewisch, Pauline Bayle, Lorraine de Sagazan ou Pascale Daniel-Lacombe, directrice du Centre dramatique national de Poitiers) ainsi que du cirque. « Le grand plateau sera propice à la diffusion de formes spectaculaires comme celles du Cirque Alfonse ou de la compagnie québécoise Machine de Cirque, tandis qu’À Corps pourra abriter des formats plus modestes », précise la directrice. Faisant de la transition écologique l’une de ses priorités, elle engagera des coopérations avec les structures établies dans cette très vaste Région (qui compte sept scènes nationales, deux Pôles nationaux cirque, deux Centres chorégraphiques nationaux, un Centre de développement chorégraphique national), prévoit de mettre à l’affiche moins de spectacles et de privilégier les séries. Cette diminution de la diffusion devrait permettre, en outre, de dégager des moyens supplémentaires pour les accueils en résidence (la scène nationale possède deux studios de répétition) et les coproductions.
Équipement intracommunautaire, le TAP a, par ailleurs, vocation à rayonner sur l’ensemble du Grand Poitiers, composé de 40 communes dont certaines situées en zones rurales. C’est pourquoi Raphaëlle Girard accentuera la programmation hors les murs, en s’appuyant sur ses artistes associés, « de formidables passeurs », et en créant les tournées « Vagabondages » auxquelles prendront part chaque saison, à tour de rôle, une dizaine de municipalités. Plutôt que de se produire dans des lieux non dédiés, les artistes investiront l’espace public, afin que le spectacle vivant aille à la rencontre des publics sur leurs lieux de vie : bars ou places des villages. « L’objectif est de faire connaître la scène nationale auprès d’habitants qui, bien que se rendant de temps à autre à Poitiers, ignorent son existence », indique sa directrice. La mise en place de navettes ou de covoiturages facilitera ensuite leur venue au théâtre, pour assister à des spectacles, mais pas uniquement. Raphaëlle Girard souhaite en effet que le TAP soit un bâtiment ouvert sur la ville, où il sera possible de visiter une exposition, prendre un verre, se détendre, voire même faire réparer son vélo… « Les Poitevins doivent pouvoir s’approprier ce lieu, qui est le leur », souligne-t-elle, espérant ainsi, tout en confortant les publics fidèles grâce à une ligne artistique proche de celle de son prédécesseur, en conquérir de nouveaux.