Succédant à Jean-Michel Ribes, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel maintiendront une ligne artistique proche, en accordant toutefois une plus grande place à la danse et au jeune public.
Codirecteurs du Monfort depuis 2009, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel aspiraient légitimement à voguer vers d’autres horizons. Très attachés à la capitale, ils n’ont pas hésité très longtemps avant de postuler à la succession de Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point.
« C’était presque une évidence. Nous le connaissions bien et défendions, comme lui, une ligne artistique pluridisciplinaire. Disposer de trois salles nous permettrait, en outre, de présenter des formats très différents », confie Laurence de Magalhaes. Les tutelles (ministère de la Culture et Ville de Paris) elles-mêmes les avaient encouragés à relever ce qui s’apparentait à un défi, compte tenu de la longévité – vingt ans – de leur prédécesseur à ce poste.
Le public habitué de la salle des Champs-Élysées ne devrait toutefois pas se sentir déstabilisé. En promettant « des spectacles qui rassemblent et divisent, rassurent et dérangent », Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel perpétuent cet esprit de résistance, cher à Jean-Michel Ribes. « Le Rond-Point est un théâtre libre, capable de porter haut et fort les questions qui traversent aujourd’hui la société française confrontée à des débats houleux et à une période très complexe », affirment-ils. D’où la présence d’artistes engagés, dont certains déjà programmés par le passé, tels l’humoriste Christophe Alévêque (qui se produira en solo puis partagera le plateau avec Le Birgit Ensemble lors d’un cabaret insolent et politique), le rappeur Kery James, la dramaturge et metteuse en scène Emma Dante... La première saison reflétera également les sensibilités très éclectiques des directeurs, puisque s’y côtoieront des seuls-en-scène (ceux de Gaia Saitta, Patricia Allio, de la romancière Lola Lafon, de Ludivine Sagnier, du biathlète Martin Fourcade…), du théâtre (David Geselson, Jean-François Sivadier, Mazarine et Léonie Pingeot, Le Munstrum Théâtre…), de la musique, du cirque et des productions internationales. Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel ont d’autre part souhaité accorder une plus large place à la danse, conviant notamment Miet Warlop, Jérôme Bel, Marlene Monteiro Freitas ou encore Fouad Boussouf, ainsi qu’au jeune public – jamais proposé jusqu’ici – lors de « week-ends en famille ». Second marqueur de la nouvelle direction, le désir d’investir davantage les espaces extérieurs, et de collaborer avec d’autres établissements culturels. Forts de leur expérience à la tête du festival Paris l’Été, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel estiment en effet pertinent de « multiplier les opportunités de présenter des spectacles dans des conditions extraordinaires ou des lieux insolites, et de déplacer ainsi le regard des publics ». Des collaborations devraient naître, par exemple, avec le Grand Palais, situé à quelques encablures du Rond-Point et dont Didier Fusillier vient de prendre la présidence.
Sur leur investissement en matière de production, les codirecteurs se montrent plus prudents, au regard de la situation budgétaire, très fragile, du Rond-Point. « Nous envisageons de produire quelques spectacles cette saison, et davantage en 2024/2025 », explique Stéphane Ricordel, rappelant que le théâtre demeure entièrement dépendant des subventions (attribuées, à parts égales, par l’État et la Ville) qui financent l’intégralité des salaires. Même si l’équipe s’est quelque peu réduite depuis le départ de Jean-Michel Ribes, les importants coûts de fonctionnement de la structure ne permettent pas de dégager de marges artistiques. Dès lors, les recettes de billetterie (en particulier celles de la grande salle de 800 places) s’avèrent indispensables au maintien de l’équilibre économique. Concilier prise de risque artistique et rentabilité s’avère « un casse-tête permanent », reconnaît Stéphane Ricordel ; d’autant plus au sein d’un écosystème culturel parisien très concurrentiel.
Afin de séduire de nouveaux spectateurs, le Rond-Point misera bien entendu sur de nombreuses actions culturelles déployées dans le quartier, la capitale et les départements franciliens, et multipliera les occasions de rencontres et d’échanges. Plusieurs spectacles seront ainsi suivis ou précédés d’ateliers de pratique artistique (cirque, musique, théâtre, danse, jeu masqué…), de philo pour les enfants, d’écriture pour les adultes ainsi que de workshops ou de master-classes. Dans le cadre de « La Piste d’envol », des lectures de textes contemporains seront, par ailleurs, accessibles à différents moments de la journée. Fidèle à sa tradition de convivialité et pensé comme un lieu de vie, le théâtre continuera d’être ouvert en permanence, offrant à tous la possibilité de profiter de moments de détente. « Nous aimerions également y recevoir des personnes âgées, qui bénéficieraient ainsi d’un espace où venir lire, jouer à des jeux de société ou participer à des ateliers d’écriture », ajoute Laurence de Magalhaes. Très fréquentés, le restaurant et la librairie feront plus que jamais partie intégrante de l’activité. Tandis que le premier affichera des menus en lien avec la programmation (lors de l’accueil d’artistes étrangers), la seconde organisera davantage de lectures, de rencontres et de signatures. Nécessaire enfin pour signifier le changement de direction, la décoration intérieure et surtout l’identité graphique du Rond-Point (symbolisée jusqu’ici par le célèbre logo dessiné par le peintre Gérard Garouste) ont été modifiées.
À quelques jours du lancement de leur première saison, le 12 septembre, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel éprouvent un sentiment de bonheur mêlé d’excitation. Face aux challenges qui les attendent, ils se disent aussi rassurés à l’idée de pouvoir s’appuyer sur une équipe présente depuis de nombreuses années, avec laquelle l’osmose s’est opérée naturellement. Un premier pari remporté.