Les récentes mesures prises par le gouvernement pour endiguer l’épidémie du Covid-19 ont entraîné, dans le secteur du spectacle vivant, l’annulation d’un grand nombre de représentation et de fait la rupture des contrats de diffusion conclu entre une compagnie et un lieu (voir notre repère juridique sur le sujet : Annulation de représentations, de festivals, de tournées ).
Cependant, la question des conséquences de ces événements se posent également quant aux contrats de travail liant la compagnie à ses salariés : artistes, techniciens, personnels administratif…
Doit-on / Peut-on rompre le contrat de travail ? Selon quelles modalités ? Quelles en sont conséquences ?
Le ministre de la Culture, dans un communiqué publié le 18 mars 2020, demande aux structures les plus solides financièrement, ainsi qu’à ses opérateurs et aux structures subventionnées par l’Etat, de faire jouer la solidarité en payant les cessions prévues aux compagnies et en honorant les cachets des intermittents afin de ne pas les fragiliser.
L'employeur peut-il rompre unilatéralement un contrat de travail ?
En principe, une fois le contrat conclu, celui-ci ne peut pas être rompu de manière unilatérale par l’employeur, sauf dans les cas limitativement énumérés par le Code du travail.
- Pour les CDI
La rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée à l’initiative de l’employeur n’est possible, en principe, qu’en cas de licenciement économique ou pour motif personnel.
- Pour les CDD et CDDU
Un contrat de travail à durée déterminée ne s’achève, en principe, que lorsqu'il arrive à son terme. Il ne peut être rompu de manière anticipée que dans les cas limitativement énumérés par la loi : accord mutuel du salarié et de l’employeur, faute grave, embauche en CDI du salarié dans une autre entreprise, inaptitude du salarié et force majeure (cf. infra).
- Pour les CDI
La rupture abusive du CDI hors cas prévu par la loi pourrait être assimilée à un cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pouvant entraîner le paiement d’une indemnité dont le montant varie selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de la structure employeuse, s’ajoutant à l’indemnité de licenciement, de préavis et de congés payés.
- Pour les CDD et CDDU
La rupture anticipée du CDD ou du CDDU, à l’initiative de l’employeur, entraîne pour l’employeur l’obligation de verser au salarié une indemnité qui correspond au montant des salaires qu’il aurait perçus jusqu'au terme du CDD ou du CDDU, ainsi que des dommages et intérêts qui résulte de la rupture abusive du contrat1.
La convention collective des entreprises du secteur privé du spectacle vivant (CCNESVP) précise que quelle que soit la nature de son engagement, lorsque l'artiste est rémunéré au cachet ou mensuellement, il bénéficie de la garantie du nombre de cachets, dont il est obligatoirement fait mention dans le contrat. Cette garantie s'applique en cas d'inexécution totale ou partielle du contrat de travail du fait de l'employeur. Elle s'applique même si la cause de cette inexécution réside dans l'annulation par un tiers d'une ou de plusieurs représentations qui avaient été régulièrement programmées, sauf les cas de force majeure2.
1. article L. 1243-4 du Code du travail
2. CCNESVP Annexe IV article 2.3.2 et Annexe V article 3.5.2
Qu’est-ce que la force majeure en droit du travail ? Quels sont ses effets ?
Dans certains cas limitativement énumérés par le Code du travail, il est possible de déroger aux règles énoncées ci-dessus, parmi lesquelles les cas de force majeure. En effet, comme précisé dans notre dernier repère juridique : Annulation de représentations, de festivals, de tournées, la survenance d’un cas de force majeure empêchant l’une des parties d’exécuter son obligation exonère totalement le débiteur de sa responsabilité.
ATTENTION : Les cas de force majeure ne sont que très rarement retenu par les juges, encore moins en matière de droit du travail, et ses conditions sont sujettes à interprétation. Il est donc important de bien évaluer la situation dans laquelle on se trouve avant d’en appliquer les effets. Si un contrat de travail a été rompu dans le cadre de cette exception mais qu’un juge ne reconnaît pas les circonstances comme constituant un cas de force majeure, la rupture pourrait être considérée comme abusive (pour les conséquences en de rupture abusive, cf. supra)
Selon l’article 1218 du Code civil, trois conditions sont nécessaires pour qu’un événement puisse être considéré comme un cas de force majeure : un événement imprévisible, échappant au contrôle du débiteur et inévitable (pour une étude plus approfondie de la notion de force majeure, cf. Annulation de représentations, de festivals, de tournées).
Le caractère imprévisible de l’épidémie dépendra de la date de signature du contrat. Le Comité d’urgence du Règlement sanitaire de l’OMS a qualifié, le 30 janvier 2020, l’épidémie de coronavirus 2019 d’urgence de santé publique de portée internationale. Il est donc probable que le caractère imprévisible soit constitué pour les contrats signés avant le 30 janviers 2020, mais pas pour les autres.
En résumé et pour conclure, bien que l’épidémie de Coronavirus Covid-19 puisse constituer un cas de force majeure pour les contrats conclus avant la connaissance de cette épidémie, l’employeur conserve toujours la possibilité de prendre en charge les salaires de ses salariés, voire si cela est possible, de reporter les dates de travail. De plus, la rupture du contrat de travail par l’employeur en invoquant un cas de force majeure n’empêche pas le salarié d’un recours devant le conseil des prud'hommes si ce dernier estime que les conditions de la force majeure ne sont pas remplies, ce qui invite à la prudence (cf. supra : rupture abusive du contrat de travail).
- Empêchement définitif d’exécuter le contrat de travail
Lorsqu'un cas de force majeure est considéré comme tel, et que l’empêchement est définitif, le contrat de travail est rompu immédiatement et l’employeur n’est pas tenu de respecter la procédure de licenciement (CDI) ou de respecter le terme prévu (CDD et CDDU).
- CDI
En principe, l’événement de force majeure libère l’employeur de l’obligation de respecter le préavis et de verser l’indemnité de licenciement (article L.1234-12 du Code du travail), sauf si la rupture résulte d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure. Dans ce dernier cas des indemnités compensatrice d’un montant correspondant aux indemnités de préavis et de licenciement sont dues (article L.1234-13 du Code du travail). Cependant, l’hypothèse de la rupture du contrat de travail des personnels permanents de l’entreprise ne semble pas pertinente dans notre cas car l’activité est vouée à reprendre ultérieurement. Les contrats seraient donc simplement suspendus (Cf. infra 2. Empêchement temporaire).
- CDD et CDDU
Dispositions du Code du travail
En principe, l’événement de force majeure permet la rupture immédiate du contrat de travail, le salarié ne percevant que l’indemnité compensatrice de congés payés. Toutefois, lorsque le contrat de travail est rompu avant l'échéance du terme en raison d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l'employeur1.
Dispositions des conventions collectives du spectacle vivant
La CCNEAC ne contient pas de dispositions particulières relatives au cas de force majeure, il convient donc se référer au droit du travail.
La CCNESPSV contient quant à elle plusieurs dispositions spécifiques.
Exploitants de lieux, producteurs ou diffuseurs de spectacles dramatiques, lyriques, chorégraphiques et de musique classique :
- Hors tournée, il est prévu, à l’instar du Code du travail, que dans le cas où le théâtre serait dans l'obligation de fermer temporairement pour cas de force majeure empêchant l'exploitation normale, les appointements (c-à-d les salaires) des artistes-interprètes/musiciens seront suspendus pendant la durée de cette fermeture2 ;
- En tournée, la convention collective précise que si le cas de force majeure ne joue qu'une fraction de la durée de la tournée prévue au contrat, l'engagement ne sera que suspendu et qu'il reprendra effet dès la cessation de la cause ayant provoqué l'arrêt des représentations pour le nombre de représentations restant à donner. De plus, pendant la période d'interruption, les artistes auront droit au paiement de l'indemnité de déplacement stipulée dans leur engagement, sauf dans le cas où l'employeur ferait rentrer la troupe à son point de départ pendant cette même période d'interruption3.
Producteurs et diffuseurs de spectacles de cirque :
La convention collective du secteur privé du spectacle prévoit également le cas de rupture du contrat de travail avant l’échéance en cas de force majeure et précise que si, en cours de tournée, le contrat se trouve résilié notamment pour ce cas, le salarié pourra demander son retour au point de départ ainsi que celui de ses bagages, aux frais de l'entreprise. De plus, si ce voyage était retardé, le salarié aurait droit à l'indemnité de déplacement4.
1. Article L.1243-4 du Code du travail
2. Annexe I article I.16 et II.15
3. Annexe IV article 2.1.8 et 2.1.9
4. Annexe V article 2.1.4
La notion de sinistre est assez floue. On la retrouve dans le vocabulaire juridique du droit des assurances. L’article L.124-1-1 du Code des assurances définit le sinistre comme "tout dommage […] causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré […]". Le sinistre semble donc désigner toutes circonstances prévues au contrat d'assurance comme, le vol, l'incendie, le décès du souscripteur ou d'un tiers, un naufrage, ou un dégât des eaux, dont la survenance génère pour la compagnie d'assurances l'obligation d'exécuter la prestation convenue. Il ne semble donc pas que cette définition s’applique à l’épidémie de Covid-19, ce qui implique qu’en cas de rupture d’un contrat de travail, aucune indemnité autre que l’indemnité de congé payés ne serait due par l’employeur.
- Empêchement temporaire d’exécuter le contrat
Lorsque l’événement constitue un empêchement temporaire d’exécuter le contrat de travail, celui-ci n’est que suspendu (les salariés peuvent alors être indemnisés au titre du chômage partiel total). Il reprend normalement une fois l’empêchement disparu. (voir en ce sens le repère juridique “Suspension du contrat de travail et chômage partiel”).
Pour rappel, le caractère irrésistible joue un rôle essentiel dans la qualification d’un cas de force majeure. Ce n’est que lorsqu'il est matériellement impossible de fournir du travail que l’événement pourrait être qualifié d’un cas de force majeure exonérateur de responsabilité. Ainsi, si le travail du salarié permet le télétravail, la force majeure ne pourra pas être invoquée.