Comment obtenir l'exploitation des droits voisins en cas de gestion individuelle ou collective de ces droits ?
Cette fiche est issue de la rencontre juridique « Sonorisation de spectacle et droits voisins : les démarches en cas d’utilisation d’une musique enregistrée » organisée par le Pôle juridique du CnT le 24 juin 2015.
Pour avoir des informations sur la diffusion de musique dans un spectacle : L'utilisation d'une musique.
Cas d'une gestion individuelle des droits voisins : la cession des droits
Dans cette hypothèse l'artiste-interprète et/ou le producteur de phonogrammes n’ont pas confié leurs droits voisins à une SPRD.
L'article L131-3 du CPI donne les clés d'une cession en droit d'auteur. En droits voisins (livre 2 du CPI), il n'y a pas d’équivalent à l’article L131-3, mais il est fortement conseillé pour les producteurs de spectacles vivants (mais aussi producteurs de phonogrammes lorsqu’ils se font céder les droits des artistes-interprètes) de respecter les mêmes clés :
- La durée de la cession
La durée peut être « déterminée » (ex. 5 ans), il faudra en cas de tournée d’une durée supérieure à cette période renégocier les droits. Si la durée est « déterminable », le vocable utilisé est en général « l'artiste cède ses droits pour la durée des droits voisins relative à son interprétation ». Il est aussi possible de négocier une tacite reconduction des droits : « l'artiste cède ses droits voisins pour une durée de 5 ans tacitement reconductible pour la même durée, à défaut de dénonciation respectant un préavis de … ».
- Le territoire de la cession
Il est possible de faire une dichotomie et d’écrire, par exemple, « en France pour tout ce qui est diffusion scénique et dans le monde entier pour tout ce qui est diffusion internet à des fins de promotions du spectacle ». Ce qui évite à l'artiste de céder tous ses droits pour le monde entier.
- L'étendue de l'exploitation
En droit d'auteur le principe de l'interprétation restrictive des cessions signifie que tout ce qui n'est pas écrit est interdit. Ce principe peut être repris en droits voisins. Il faut donc lister les moyens et les supports envisagés (diffusion scénique de la musique enregistrée, diffusion sur internet, télédiffusion, etc.).
- La destination
A quelles fins va être utilisée cette musique enregistrée ? « à titre commercial » (lorsque le spectacle est joué et qu’il y a une billetterie), « à titre non commercial », « à titre promotionnel », « à des fins de communication institutionnelle » (notamment pour des municipalités qui se réservent le droit de communiquer sur un spectacle qu'elles ont commandé), « à titre publicitaire » (cas d'un spectacle vivant qui va supporter un produit ou une marque, ex. publicité du Club Med).
Un contrat conclu entre un producteur de spectacles vivants et un producteur de phonogrammes étant un contrat commercial, ce dernier peut inclure la cession des droits voisins selon les règles énoncées ci-dessus, ceci n’est pas obligatoire mais permet une cession non ambigüe et donc plus sûre.
Un contrat de travail signé entre l’artiste-interprète et le producteur de spectacles vivants (ou le producteur de phonogrammes lorsque celui-ci détient les droits de l’artiste) peut inclure la clause de cession de droits voisins.
Un simple contrat dont l’objet unique est la cession de droits voisins peut être signé dans tous les cas où l’artiste-interprète n’est pas le salarié du producteur (ex. l’auteur-compositeur s’enregistre lui-même) ou si le contrat de travail d'enregistrement studio est déjà fait.
Lorsqu’un contrat de commande et /ou de cession de droits d’auteur est signé (cas par exemple avec un compositeur), peut y être incluse une clause de cession des droits voisins sur l’interprétation (cas où l’auteur est lui-même interprète) et sur l’utilisation du master (cas où l’auteur enregistre lui-même son interprétation et où il détient donc des droits voisins en tant que producteur du phonogramme).
Les situations sont donc multiples. Quoi qu’il en soit le contrat de cession (ou la clause de cession) doit organiser le flux de cession (durée, territoire, étendue, destination) mais aussi le flux de contrepartie (cession à titre gracieux ou rémunération).
En droit d’auteur, le CPI précise que la rémunération est par principe proportionnelle (et par exception forfaitaire). En droits voisins le raisonnement n’est pas le même : la rémunération peut être proportionnelle ou forfaitaire (ce qui aura des conséquences sur les charges sociales) mais le choix demeure.
Une rémunération forfaitaire peut être vue comme une somme acquise quelle que soit l’exploitation réelle de l’enregistrement, inversement elle est totalement déconnectée d’un éventuel succès en diffusion. C’est de la négociation.
Comme en droit d'auteur, il n'y a pas de barèmes légaux ni de minima sociaux dans le spectacle vivant. Parfois on entend parler du « double cachet », celui-ci peut induire en erreur : c'est juste une manière de dire que l'artiste-interprète touche deux rémunérations distinctes (celle de l'enregistrement de l'interprétation puis celle en contrepartie de la cession des droits voisins)1 .
- 1La législation des droits voisins ne doit pas être confondue avec celle du droit du travail. L’artiste-interprète bénéficie d’un double statut : celui de la présomption de salariat fixée par le Code du travail pour toutes les périodes de répétitions, d’enregistrements et de représentations devant un public ; celui d’artiste-interprète titulaire de droits voisins fixé par le CPI dans tous les cas d’enregistrement de sa prestation artistique et de diffusion de la prestation ainsi enregistrée sans que sa présence physique ne soit plus nécessaire.
Comme en droit d’auteur (art. L122-7 du CPI), la cession de droits voisins peut intervenir à titre gracieux. La jurisprudence concernant les droits d'auteurs – que l’on applique aux droits voisins - dit que la cession à titre gratuit doit être expressément consentie et donc apparaître clairement dans le contrat. Il n'y a pas d'autres règles mais il est quand même conseillé de contextualiser la cession à titre gracieux, c’est-à-dire de préciser pourquoi ces droits voisins sont cédés à titre gracieux (parce que c'est une œuvre caritative par exemple).
Par cette clause, l'artiste-interprète autorise l’utilisation de son interprétation gratuitement pour cette destination-là et dans cette limite de temps.
Les actions en paiement de créances peuvent remonter jusqu’à 5 ans.
Cas d'une gestion collective des droits voisins : l'apport en gestion à une SPRD
Lorsque l’artiste interprète et/ou le producteur de disques confient leurs droits à une société de gestion, on parle d’« apport en gestion ». Dans cette hypothèse, le producteur de spectacles ne contacte pas directement l’artiste-interprète et le producteur de phonogrammes, il contacte leur SPRD et se renseigne sur les conditions d’utilisation de la musique enregistrée qui accompagnera le spectacle (contrats et rémunération).
La SPEDIDAM n’a qualité pour agir au titre du droit individuel à rémunération des artistes-interprètes que pour le compte « de ses membres» (acte d’adhésion) ou de toute personne qui lui en donnerait spécialement mandat (feuille de présence SPEDIDAM).
La feuille de présence de la SPEDIDAM est le document de dépôt1 qui va identifier le producteur du spectacle, le titre du spectacle, le titre de l'œuvre musicale, le ou les artistes-interprètes, leur adresse, leur téléphone, leur mail. Elle a deux objectifs : l’un juridique (c’est l’acte par lequel le ou les artistes-interprètes confient la gestion de leurs droits à la SPEDIDAM sur une interprétation donnée), l’autre pratique (il permet d’identifier les personnes pour leur reverser leurs droits). Les frais de gestion sont aux alentours de 12%, donc il y a environ 88% de la somme qui va être envoyée par chèque aux artistes-interprètes ou si ça ne fonctionne pas, ils seront contactés par mail, téléphone etc. Il y a normalement les signatures du producteur de spectacles d'un côté et du ou des artistes-interprètes de l'autre.
- 1Le terme de dépôt n’est pas ici entendu au sens des droits d’auteur (formalité de protection d’une œuvre permettant de prouver en cas de litige l’antériorité de la déclaration de l’œuvre par son auteur).
Il n’y a pas d’obligation de faire apparaître la feuille de présence dans le contrat de l’artiste mais dans tous les cas, à un moment donné, le producteur doit se soucier de savoir si l’artiste gère ses droits lui-même ou s’il en a confié la gestion à une société de gestion de droits. Il y a des situations où ça n’est pas si clair que ça.
Il faut donc être d’un côté ou de l’autre mais pas entre les deux : soit partir sur une cession de droits, soit partir sur une gestion collective (en gardant en tête que certains dispositifs d’aides de la SPEDIDAM sont soumis à l’obligation d’apporter en gestion les droits voisins de l’interprétation de la musique).
Une clause de garantie peut être rédigée pour éviter toute surprise et sensibiliser l’artiste en lui demandant de bien garantir ne pas être adhérent d’une société de gestion collective ou ne pas avoir signé de feuille de présence. La clause de garantie n’est pas obligatoire mais psychologiquement elle interpelle et ça peut permettre un débat en amont.
La tarification SPEDIDAM, disponible sur spedidam.fr, repose sur trois critères :
- le minutage diffusé,
- le type de musique utilisée : musique du commerce ou musique originale (cf. article sur l'utilisation d'une musique),
- la capacité de la salle, (si la salle disponible a une capacité de 500 personnes mais que le spectacle est présenté dans une jauge limitée à 100 personnes, c'est la jauge limitée qui est prise en compte).
Là-dessus interviennent des abattements et un éventuel plafond :
- il y a des abattements en cas d'accord longue durée avec la SPEDIDAM (abattement de 20%),
- il y a aussi des abattements sur les premières représentations du spectacle. Pour les spectacles dramatiques c'est par tranche de 3 dates et par tranche de 10% de manière dégressive : les 3 premières dates bénéficient de 90% d'abattement, les 3 suivantes de 80% d'abattement, les 3 suivantes de 70% et ainsi de suite de manière dégressive jusqu'à la 27ème représentation (pour les spectacles chorégraphiques l’abattement s’applique sur les dix premières dates : la 1ère bénéficie de 90% d’abattement, la deuxième de 80%, ainsi de suite),
- il y a enfin des abattements en cas de présence de musiciens sur scène (-33% au premier musicien, 45% au deuxième et ainsi de suite - voir détail sur le site).
Enfin, le montant des droits est plafonné à 5,8% du montant de la recette ou de la cession (4,64% en cas d’accord longue durée).
Ex : Après calcul (en prenant en compte le minutage, le type de musique, la capacité de la salle et les éventuels abattements) la somme due au titre des droits voisins est fixée à 100€. Si le spectacle a été cédé 10 000€, 100€ c’est 1% du prix de cession, s’il a été cédé 1000€, 100€ c’est 10% or la SPEDIDAM considère que 10% c’est trop élevé, elle plafonne alors à 5,8% du montant de la cession (ou de la recette) la somme due au titre des droits voisins. Dans notre exemple, si le spectacle n’a rapporté que 1000€, la SPEDIDAM ne pourra demander que 58€.
RECAP TARIF = Minutage x taux en fonction du type de musique utilisée x capacité de la salle - abattements éventuels et application le cas échéant d’un plafond.
Ce calcul étant très complexe, un devis peut être demandé à la SPEDIDAM.
Exemple de calcul pour un spectacle dramatique vendu 3000 euros HT, une jauge moyenne de 300 places, une musique originale enregistrée d'une dizaine de minutes.
Coût pour 30 représentations (sans abattement longue durée ni présence de musiciens sur scène mais avec l’abattement spécifique aux 27 premières représentations) :
30 représentations X 3000€ = 90000€ de recettes. Après application des règles tarifaires, le montant total des droits voisins se porte à 1306 euros.
Attention, dans cet exemple le coût de chaque représentation n’est pas identique car les 27 1ères ont bénéficié d'abattements, seules la 28ème, la 29ème et la 30ème date ont coûté 79,20 euros/ date.
Deux types d'accords existent à la SPEDIDAM :
- L'accord ponctuel
c'est l'accord de base, passé entre le producteur du spectacle et la SPEDIDAM. Il fixe les conditions d’utilisation de la musique et vaut pour toute la durée d’exploitation du spectacle.
- L’accord longue durée
c'est un accord entre le producteur de spectacles vivants et la SPEDIDAM sur une durée de 5 ans. Pendant ces 5 années le producteur prend des engagements et notamment celui de faire des déclarations tous les trimestres, qu'il y ait eu ou non des représentations utilisant de la musique enregistrée. La SPEDIDAM va alors couvrir pendant 5 ans tous les cas d'utilisation de musiques enregistrées dans les spectacles produits par le producteur. Ce type de contrat génère un abattement de 20% pour le producteur de spectacles vivants (ou pour le lieu qui accueille le spectacle si le contrat met à sa charge le paiement des droits voisins).
Attention, l'impact principal de l’accord longue durée concerne les musiques originales : en effet, sur ces musiques une négociation en direct aurait pu avoir lieu avec l’artiste-interprète puisqu'il s’agit d’une commande et que ces différents intervenants se connaissent. Or, par ce contrat de longue durée, le producteur de spectacles s’engage pendant 5 ans à ce que tous les artistes-interprètes concernés déposent et touchent leurs droits par l’intermédiaire de la SPEDIDAM.
La SPEDIDAM a, comme toutes les sociétés de gestion collective, des agents assermentés par l'État qui peuvent aller voir des spectacles et constater qu'il y a eu des utilisations de musiques enregistrées non déclarées. La SPEDIDAM se met ensuite en rapport avec le producteur et essaye de régulariser la situation mais cela peut aller jusqu'au contentieux avec un avocat qui va assigner la compagnie en paiement. On peut remonter sur 5 ans (prescription).
Les relances faites par la SPEDIDAM le sont uniquement pour savoir si depuis la dernière déclaration la structure a utilisé de la musique enregistrée. Si ça n'est pas le cas, un simple mail pour prévenir la SPEDIDAM suffit. Si vous ne le faites pas, il y a des courriers automatiques qui partent en fonction des dernières déclarations.
La SCPP (qui concerne plutôt les majors) et la SPPF (qui concerne plutôt les indépendants) ont mis en place des contrats de sonorisation de spectacles. Les tarifs et le contrat de la SCPP sont disponibles en ligne ; ceux de la SPPF sur demande.
Pour la SCPP, généralement une rémunération proportionnelle au chiffre d'affaire est prévue (ex. sonorisation de moins d’1 minute : 0,05% du CA). Mais le contrat n’est pas figé, il peut être négocié. Cela peut aussi s’appliquer sur le prix de cession hors taxe si le producteur n'a pas la maîtrise de la billetterie. Là-dessus en cas de tournée, les frais réels peuvent être déduits, ou un abattement de 35% peut être appliqué.
Le producteur de spectacles adhérent à un syndicat employeur (ex. SYNDEAC, SNDTP ou autre), peut bénéficier d’accords particuliers se traduisant par une baisse des taux.
Attention, les tarifs de ces SPRD peuvent comprendre ou pas, les droits voisins des artistes interprètes. Si c’est le cas, une « clause de garantie » est prévue au contrat.
Lorsqu’un accord est conclu avec la SCPP, la SPPF, ou la SPEDIDAM, tous les éléments permettant à l’organisme de percevoir les droits et de les répartir doivent être communiqués par le producteur de spectacles (et/ou le diffuseur s’il en a la charge dans le contrat le liant au producteur de spectacles). Les bordereaux de déclaration (à récupérer auprès de chaque organisme) demande les titres des morceaux, les noms des artistes-interprètes concernés, le code-barres du disque du phonogramme du commerce, la durée d'utilisation dans le spectacle et enfin le code ISRC (qui identifie le code pays, le code du déclarant, l'année de référence, le code de l'enregistrement). Il faut ensuite déclarer par trimestre (ou tous les 6 mois ou 1 an s’il y a peu de dates) les dates de représentation, leur lieu, la jauge, etc.
Intervenants de la rencontre du 24 juin 2015
Me Bruno Anatrella, Avocat à la Cour (BAGS AVOCATS, Paris)
Pierre De Baecque, Responsable spectacle vivant à la SPEDIDAM
Véronique Bernex, responsable du Pôle juridique du CnT (modération)