De la période précontractuelle à la mise en place de la relation contractuelle, en passant par les différents contrats de diffusion d'un spectacle.
Cette fiche est issue de la rencontre juridique "Les contrats dans le secteur du spectacle vivant" du 22 juin 2009.
La période précontractuelle
Pendant la période des pourparlers, les parties sont en négociation et réfléchissent à la possibilité de contractualiser un partenariat. Cette période n'aboutit pas forcément à la conclusion d'un contrat. En principe, s'il y a rupture des pourparlers, il n'y a pas rupture du contrat dès lors qu'il n'y a pas de faute du partenaire, cela fait partie des risques de la négociation. Celui qui ne souhaite pas s'engager avec l'autre partie n'a pas à la dédommager. Attention cependant, la rupture sera considérée comme une rupture de contrat dès lors qu'une véritable relation pourra être établie entre les partenaires. Des échanges de mails, des accords de principe, un commencement d'exécution du projet, etc. pourront tenir lieu d'engagement. Ce sont autant de preuves qui pourront permettre de prouver l'existence du contrat.
Comme l'indique l'article 1366 nouveau du Code civil : « L'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité. » Attention toutefois car il peut y avoir une incertitude quant à la réception de l'email par le partenaire, il peut donc être judicieux de demander une confirmation de la bonne réception du courrier électronique.
Le choix du contrat adapté à la situation
- le contrat de société en participation ;
- le contrat de coproduction simple ;
- le contrat de résidence ;
- le contrat de préachat.
Quelles sont les caractéristiques d'un contrat de coproduction sous forme d'une société en participation (SEP) ?
Deux ou plusieurs structures se réunissent pour réaliser ensemble un projet. Les parties font chacune des apports (en nature, en argent ou en industrie) et selon les résultats de l'exploitation du spectacle, elles se répartissent un pourcentage des bénéfices ou des pertes. Au sein d'une SEP, les mouvements financiers internes n'étant pas des opérations imposables, les apports et les bénéfices (s'il y en a) ne sont donc pas assujettis à la TVA. Cette société n'étant pas immatriculée, elle ne dispose pas de la personnalité morale. Chaque partie s'engage donc personnellement dans ses relations avec les tiers sauf s'il y a publicité de la société. En pratique, peu de partenaires dans le spectacle ont recours à ce type de contrat.
Quelle est la différence avec un contrat de coproduction « simple » ?
Plus répandu en pratique, il s'agit de la situation dans laquelle un partenaire (qui n'a pas nécessairement un lieu de représentation) souhaite soutenir un spectacle en phase de production en faisant un apport en nature (ex. prêt d'une salle, de décor, de costumes, etc.), en argent et/ou en industrie (ex. mise à disposition d'une équipe technique). Les sommes apportées doivent être utilisées pour le projet. En contrepartie, les coproducteurs demandent généralement à être mentionnés dans les documents de communication de la compagnie. Si le coproducteur souhaite par ailleurs acheter le spectacle, la cession est généralement formalisée dans un contrat séparé. Que signifie le terme « droit de suite » utilisé dans certains contrats de coproduction « simple » ? Ce terme, issu juridiquement du droit d'auteur1, signifie dans la pratique du spectacle vivant que les parties au contrat de coproduction ont prévu qu'en contrepartie de son apport, le coproducteur percevra un pourcentage de la billetterie sur des dates de représentations précisément déterminées.
1. les auteurs d'œuvres graphiques et plastiques bénéficient d'un droit de suite sur leurs œuvres en percevant un pourcentage sur le prix de la revente de l'œuvre qu'ils ont cédée art. L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle.
Peut-on considérer une résidence d'artiste comme une forme de coproduction ?
Dans le cadre d'une résidence, un lieu accueille une équipe de création et met à sa disposition une salle pour lui permettre de répéter son spectacle. Il s'agit d'une forme d'apport en nature comme dans les contrats de coproduction. En pratique, cette notion recouvre dans le secteur du spectacle des situations variées : - la durée de la résidence peut être plus ou moins longue ; - il peut s'agir d'une mise à disposition de salle avec ou sans personnel technique ; - les frais de logement et de nourriture de l'équipe sont parfois pris en charge par le lieu ; - etc. En contrepartie, le lieu demande parfois à la compagnie d'organiser des répétitions en public ou d'animer des ateliers. Il est généralement fait mention de la résidence dans les documents de communication de la compagnie. N.B. Les contours de la résidence n'étant pas définis juridiquement, il est donc préférable de conclure un contrat pour en déterminer précisément les termes.
Quelle est la particularité d'un contrat de préachat par rapport à un contrat de cession ?
Le contrat de préachat est un contrat de cession alors que le spectacle n'existe pas encore (il n'a pas fait l'objet de représentations publiques). Les parties concluent en phase de production un contrat de diffusion. Cela permet au producteur d'avoir l'assurance de dates de représentations et de percevoir en amont une autre forme de soutien financier correspondant à une partie du montant de la cession.
Le contrat de location
C'est un contrat par lequel un lieu met à disposition sa salle de spectacles en ordre de marche en contrepartie du versement d'un prix de location. La compagnie qui loue le lieu récupère la billetterie. Il n'y a aucun partenariat entre les deux structures. N.B. Attention si la compagnie a en gestion la billetterie, elle doit détenir une licence de diffuseur (catégorie 3) (cf. art. D7122-1 du Code du travail).
Le contrat de coréalisation
C'est un contrat par lequel un organisateur et une compagnie vont convenir de partager les recettes de billetterie d'un spectacle en fonction d'un pourcentage qu'ils vont librement déterminer et indiquer dans le contrat. L'organisateur fournit un lieu en ordre de marche (il est responsable de son lieu, de son personnel et de la billetterie). La compagnie quant à elle fournit un spectacle monté et est responsable de l'embauche de son équipe. A l'issue des représentations, les parties établissent un décompte de coréalisation pour retranscrire les sommes qu'elles vont se partager. Selon ce qui est prévu dans le contrat, soit : - chaque partie perçoit sa part de billetterie et paie ensuite les différentes charges et taxes (TVA, droits d'auteur, etc.) sur le montant de la recette brute qu'il reçoit ; - soit l'organisateur paie l'intégralité des charges et des taxes et verse au producteur un montant. Certains contrats prévoient un « minimum garanti » soit au profit du producteur soit au profit de l'organisateur. N.B. Attention, lorsqu'il y a un minimum garanti en faveur de l'organisateur : si la part de recette touchée par l'organisateur est inférieure à ce minimum, le complément de recette versé par le producteur à l'organisateur sera assujetti à 20 %.
Le contrat de cession du droit d'exploitation d'un spectacle
C'est un contrat par lequel un lieu de diffusion achète un spectacle à un producteur en contrepartie d'une somme forfaitaire évaluée principalement en fonction des coûts du spectacle. Le partenariat avec le lieu est assez fort. Qu'entend-on par frais d'approche ou « plus, plus » dans un contrat de cession ? Dans la pratique du spectacle vivant, on entend par frais d'approche :
- les frais liés au transport du matériel et du décor ;
- les frais de déplacement de l'équipe (logement, nourriture et transport). Même s'ils font l'objet d'une facturation distincte, ils sont un élément du prix de la prestation et sont donc soumis au même taux de TVA que le contrat de cession (5,5%). Il est donc important de prévoir en amont si la compagnie fait l'avance de ces frais (TVA à 5,5% lors de la refacturation) ou si l'organisateur en règle certains directement.
Les frais de déplacement des salariés de la compagnie peuvent-ils être réglés directement par l'organisateur en liquide ? Il est de la responsabilité de la compagnie en tant qu'employeur de régler les frais de déplacement de ses salariés (frais réels justifiés par une facture ou indemnités prévues dans la convention collective qu'applique la compagnie).
Ceux-ci peuvent être perçus :
- soit sous la même forme que le salaire (chèque ou virement) ;
- soit en liquide à condition de faire l'objet d'un reçu signé par l'employeur et le salarié. Afin d'éviter d'une part, à la compagnie de faire l'avance de ces frais et d'autre part, à l'organisateur de régler une TVA à 5,5% sur leur montant, l'organisateur peut les verser directement aux salariés de la compagnie (en chèque ou en liquide). Ces derniers devront dans ce cas signer un reçu pour l'organisateur ainsi que pour leur employeur. N.B. Pour des détails sur les remboursements de frais professionnels, consultez le site de l'URSSAF.
La mise en place de la relation contractuelle
Quelle est la marge de liberté dont disposent les partenaires dans la rédaction de leur contrat ?
Les contrats du spectacle sont surtout nés de la pratique et sont peu encadrés par des règles juridiques comparativement aux contrats de travail (régis par le Code du travail et le Code de la sécurité sociale) ou aux contrats de cession de droit d'auteur (régis par le Code de la propriété intellectuelle).
Pour autant, il existe des règles en droit des contrats ainsi que des règles propres au secteur du spectacle auxquelles les cocontractants ne peuvent déroger :
- la qualification du contrat donnée par les parties doit correspondre au contenu du contrat sinon il y a un risque de requalification par les juges ou les administrations telles que l'Urssaf et les impôts ;
- un contrat doit préciser les obligations respectives des deux parties ;
- chaque contrat emporte des conséquences fiscales différentes en termes de TVA auxquelles les parties ne peuvent pas déroger ;
- etc.
Exemple : un contrat qui serait qualifié par les parties de société en participation afin d'éviter l'imposition à la TVA et dont le contenu prévoit un apport en coproduction sans partage de risques pourrait être requalifié en contrat de coproduction simple et imposé à la TVA à 5,5%.
Quelle date prévoir pour le paiement des sommes dues ?
Il est important de prévoir dans le contrat la date de paiement du prix du spectacle (contrat de cession) ou du partage des recettes de billetterie (contrat de coréalisation). La plupart du temps, le montant est versé à l'issu de la représentation ou dans la semaine qui suit. Attention certains établissements soumis à un régime de droit public (théâtre sous régie directe, collectivités, etc.) ont des procédures de paiement qui peuvent prendre plusieurs mois. Il est préférable d'en être informé afin de pouvoir anticiper en termes de trésorerie. Que prévoir dans les clauses d'annulation ?
Les parties peuvent prévoir dans le contrat :
- les cas dans lesquels le contrat sera rompu (accident ou maladie d'un artiste) ;
- les cas dans lesquels il y a report de l'exécution du contrat ;
- les conséquences de l'annulation du contrat par l'un des partenaires (ex. remboursement des frais effectivement engagés) ;
- et parfois, les conséquences de la survenance d'une situation de force majeure : événement extérieur à la volonté des parties, irrésistible (difficulté insurmontable) et imprévisible (fait d'un tiers ou force de la nature). Il s'agit de cas très rares en pratique qui entrainent la suspension du contrat sans indemnité pour la partie qui subit l'annulation (ex. guerre, incendie, catastrophe naturelle). Certains prévoient dans leur contrat des situations qu'elles jugent comme étant des cas de force majeure (ex. maladie ou accident d'un artiste, intempéries, etc.). Elles ne seront pas forcément reconnues comme tels par les tribunaux mais pourront lier les parties sur un terrain psychologique.
Quels documents peuvent être annexés au contrat ?
- La fiche technique : dans les contrats de diffusion, les parties annexent généralement au contrat une fiche technique du lieu et une fiche technique du spectacle. La première permet au technicien de la compagnie de connaître les particularités techniques de la salle (notamment les conditions de sonorisation et de machinerie). La deuxième précise les périodes pendant lesquelles la salle de représentation (ainsi que le personnel du théâtre et le matériel nécessaire) seront mis à la disposition de la compagnie pour les services de montage technique et de répétition. Les fiches techniques font partie intégrante du contrat.
- Les documents de communication : il est important de se mettre d'accord en amont sur ce qui va figurer sur la plaquette de saison et sur la feuille de salle (programme) et notamment la liste des coproducteurs, des lieux de résidence, des subventionneurs, etc. Les conditions de la générale, les rendez-vous avec les journalistes, la captation du spectacle, etc. pourront par ailleurs être discutées.
Quelle procédure engager en cas de défaut d'exécution par l'autre partie ?
Après avoir mis en demeure le partenaire défaillant par lettre recommandée avec accusé de réception sans obtenir d'exécution de sa part, le contractant lésé peut agir devant les tribunaux. Selon le cas, l'action est menée devant :
- le Tribunal de grande instance si le litige porte sur une valeur de plus 10 000 euros ou un montant indéterminé (L211-3 et suivants et R211-3 et s. du Code de l'organisation judiciaire). Cela nécessite d'être représenté par un avocat ;
- le Tribunal d'instance pour les litiges inférieurs à la valeur de 10 000 euros (art. L221-4 et s. et R221-3 et s. du Code de l'organisation judiciaire) ; - le juge de proximité pour les litiges inférieurs à 4000 euros ;
- le Tribunal de commerce (quelque soit le montant du litige) si le demandeur et le défendeur sont tous les deux des commerçants ;
- devant le tribunal administratif si le défendeur est sous statut de droit public.
N.B. Les associations en grande difficulté peuvent solliciter auprès du Palais de justice l'aide juridictionnelle.
Quelles garanties exiger de son partenaire en cas de conclusion d'un contrat supérieur à 5000 euros ?
Chaque cocontractant doit s'assurer que son partenaire respecte ses obligations sociales et fiscales. A défaut, il se rend solidairement responsable des dettes de son partenaire. Le Code du travail (art. D8222-5) dresse la liste des documents à solliciter. En pratique, c'est souvent l'organisateur qui demande à la compagnie certains des documents. En théorie, rien n'empêche à la compagnie d'en faire de même vis à vis de l'organisateur.
Intervenants de la rencontre du 22 juin 2009
Franceline Lepany, avocat au Barreau de Paris
Véronique Bernex, administratrice de production au sein du bureau les Productions de la Seine