Annulation de représentations, de festivals, de tournées
Repères juridiques
INFO JURIDIQUE COVID-19
Le secteur culturel est fortement affecté par la propagation du virus Covid-19 et les récentes décisions gouvernementales. Les décisions successives d’interdiction des rassemblements ont entraîné un grand nombre d’annulation de représentations, de tournées voire de festivals. Un grand nombre de questions se posent sur le cadre juridique de ces annulations et les conséquences que ces dernières peuvent entraîner pour les parties au contrat.
En principe, une fois le contrat conclu, celui-ci ne peut pas être rompu de manière unilatérale par l’une des parties. Toutefois, la survenance d’un cas de force majeure empêchant l’une des parties d’exécuter son obligation exonère totalement le débiteur de sa responsabilité.
En présence d’un cas de force majeure, on considère que le dommage n’a pas été causé par le débiteur de sorte que sa responsabilité ne peut pas être engagée.
Cependant, rien n'empêche les parties au contrat de se mettre d'accord et prévoir des modalités différentes de rupture ou de report du contrat. Il est néanmoins nécessaire d'opérer une distinction selon que le lieu de diffusion est une structure privée ou publique, notamment au regard de la théorie dite du "service fait".
Principe : force majeure et annulation du contrat
Définition de la force majeure
L’article 1218 du Code civil dispose : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »
Conditions de la force majeure
Trois conditions sont nécessaires pour qu’un événement puisse être considéré comme un cas de force majeure : un événement imprévisible, échappant au contrôle du débiteur et inévitable.
L’événement doit être imprévisible
Une condition essentielle de la force majeure est liée à l’imprévisibilité de l’événement, qui doit être entendue de manière raisonnable.
La jurisprudence s’attache donc à des critères d’anormalité, de soudaineté et de rareté. Il faut donc distinguer les faits qu’une personne avisée aurait dû normalement prévoir de ceux qui ne pouvaient être raisonnablement prévus.
L’imprévisibilité s’apprécie lors de la conclusion du contrat. C'est à dire qu'on va regarder si cet événement pouvait être prévu lors de la conclusion du contrat ou non.
L’épidémie pourra donc remplir la condition d’imprévisibilité si le risque n’existait pas au jour de la conclusion du contrat. Le caractère imprévisible de l’épidémie dépendra donc de la date de signature du contrat. Le Comité d’urgence du Règlement sanitaire de l’OMS a qualifié, le 30 janvier 2020, l’épidémie de coronavirus 2019 d’urgence de santé publique de portée internationale. Il est donc probable que le caractère imprévisible soit constitué pour les contrats signés avant le 30 janviers 2020.
En revanche, l’article 1218 du Code civil n’étant pas d’ordre public, il est tout à fait possible d’aménager la force majeure dans le contrat, en prévoyant les conséquences d’une annulation liée au coronavirus.
L’événement considéré doit échapper au contrôle du débiteur et être « irrésistible »
Cette condition suppose qu’il ait été impossible d’éviter les effets de l’événement par des mesures appropriées. En d’autres termes, il doit s’agir d’une impossibilité complète d’exécuter l’engagement souscrit. Le fait que l’exécution soit simplement plus difficile que prévue ne suffit pas à conférer à l’événement un caractère inévitable. L’impossibilité doit correspondre à un empêchement absolu. L’appréciation de cette condition s’effectue au jour de la réalisation du dommage.
Effets de la force majeure
La force majeure a pour effet d’exonérer le débiteur de sa responsabilité. L’empêchement d’exécuter le contrat peut être définitif ou temporaire.
Empêchement définitif d'exécuter le contrat
Lorsque l’empêchement est définitif, le contrat n’ayant plus d’objet prend fin. Plus précisément, le Code civil prévoit que le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. Le débiteur se trouve ainsi exonéré de son obligation et n'encourt pas de responsabilité, c’est-à-dire qu'il n'aura pas à payer de dommages et intérêt.
En d’autres termes, et en l’absence de stipulations contractuelles différentes, chaque partie prendra à sa charge les frais qu’elle aura elle-même déjà engagée, sans pouvoir demander au cocontractant une quelconque réparation.
Empêchement temporaire d'exécuter le contrat
Si l'empêchement est temporaire, le contrat est simplement suspendu puis reprend, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.
Les juges ont déjà d’ailleurs précisé que : « La force majeure n'exonère le débiteur de ses obligations que pendant le temps où elle l'empêche de donner ou de faire ce à quoi il s'est obligé »
Ainsi, en cas d’impossibilité temporaire d’exécution d’une obligation, le cocontractant n’est pas libéré de ladite obligation, cette exécution est simplement suspendue jusqu’au moment où l'impossibilité vient à cesser. L’autre partie sera dispensé d’exécuter sa part du contrat pendant ce laps de temps mais ne pourra pas obtenir réparation du préjudice subi à cette occasion.
Par exemple, si un contrat prévoit l'achat de 12 représentations mais que les 2 premières sont annulées pour cause de force majeure, la partie qui est à l'origine de l'annulation ne verra pas sa responsabilité engagée, mais les 10 autres représentations pourront avoir lieu et les 2 représentations annulées pourraient être reportées avec l'accord des deux parties.
Alternative : la négociation contractuelle
Le lieux de diffusion est un acteur privé
Lorsque le producteur et le diffuseur sont deux structures dites de droit privé, rien n'empêche les parties de négocier et de s'accorder sur les conséquences de l'annulation des représentations, quand bien même les circonstances de l'annulation constitueraient un cas de force majeure.
Le lieux de diffusion est un acteur public : la théorie du "service fait" et ses dérogations
Les personnes morales de droit public sont soumises à des règles particulières, notamment en matière de marché public.
Comme le précise le site du service public, "le titulaire d'un marché public ne peut demander le paiement de ses prestations que lorsqu'elles ont été réalisées et que l'organisme public a constaté qu'elles sont conformes au contrat signé".
Ainsi, en principe, en cas de représentation annulée en raison de l'épidémie actuelle, l'organisme public ne pourrait pas payer la prestation. Cependant, l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 est venu apporter une dérogation à cette théorie du "service fait" et ainsi permettre au prestataire d'être indemnisé, selon deux modalités.
L’indemnisation des dépenses engagées directement imputables à l’exécution des prestations non réalisées ou annulées
Le point 3 de l'article 6 de ladite ordonnance précise en effet que :
"Lorsque l'annulation d'un bon de commande ou la résiliation du marché par l'acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l'acheteur, des dépenses engagées lorsqu'elles sont directement imputables à l'exécution d'un bon de commande annulé ou d'un marché résilié".
Le titulaire peut donc être indemnisé des dépenses engagées directement imputables à l’exécution des prestations non réalisées ou annulées, et ce même en présence d’une stipulation contractuelle excluant une telle indemnisation.