Les Vagues de Virginia Woolf est un récit que se partagent six amis, pour un repas préparé autour de l’absence d’un énigmatique septième, qui doit arriver d’un instant à l’autre, nommé Jacob dans l’adaptation de Pauline Bayle, directrice du TPM de Montreuil – CDN.
Cette figure mystérieuse devrait surgir instamment, revenant du front de la guerre, pense-t-on, et non plus des Indes, comme chez Woolf. L’excitation, l’énervement, la fébrilité des personnages sont au rendez-vous du plateau; tous accueillent le public entrant dans la salle, lui diffusant allégresse et joie. Ces voix intérieures, exprimées verbalement et splendidement incarnées, re-visitent l’enfance et la vie de ces figures woolfiennes, appelées ici, Nora (Hélène Chevallier), Tristan (Guillaume Compiano), Judith (Viktoria Kozlova), David (Loïc Renard), George (Jenna Thiam) et Céleste (Charlotte van Bervesselès). Tous attendent celui qui n’est pas là encore, Jacob, la figure charismatique du sextuor – figure « héroïque », selon eux, que l’on n’entendra jamais mais dont l’évocation cimente leur amitié. Les interprètes amusés sont toniques, mobiles, décidés à s’imposer tous ensemble, heureux de jouer.
Le spectacle de Pauline Bayle, Écrire sa vie, suit le destin de ce groupe de fidèles, selon des retrouvailles irrégulières, révélant à la fois la joie éblouie de l’enfance et le désenchantement obligé de la maturité – pertes, échecs, déceptions. Soit un récit d’apprentissage d’amis unis et liés, Les Vagues, combiné avec justesse à à des extraits de romans, d’essais, de journal, de correspondance de l’autrice. Le présent est plus qu’incertain, d’où cette fébrilité perçue d’emblée par le public : la mort a blessé l’entourage immédiat de l’auteure anglaise. Le destin politique frappe la communauté avec la Première Guerre mondiale – traumatisme et conflit avant la montée des fascismes et la Seconde Guerre mondiale. Au moment même où Jacob devrait éminemment surgir, résonne, douloureuse, la sirène d’alerte annonçant le repli dans des abris et caves, symbole sonore de toute guerre s’il en est, de triste actualité.

Or, la nature est infiniment présente, et l’existence, grâce à la perception lyrique du monde et de ses paysages, est une expérience sensible, une aventure lyrique inouïe traversée de sensations et de ces petites peurs, de ne pas trouver la formulation exacte qui expliquerait soi et ce que l’on ressent d’être au monde : présence du soleil, du vent, de la pluie, des vagues mais aussi des oiseaux ou des escargots. Sensations, émotions, désirs et frustrations, les perceptions divergent au gré des conversations et du temps qui passe – le portrait de chacun variant de la vie qui va et alternant, quand changent les rôles. La mise en scène de Pauline Bayle est conviviale et allègre, dispensatrice de joie et de bonheur, celui conscient d’abord d’être et de vivre. Les figures répertoriées explorent scéniquement leur belle personne subtile, à l’écoute l’une de l’autre, quêtant une approche instinctive qui briserait leur solitude.
La table est un lieu de vraie rencontre, une dimension recherchée et à sauvegarder d’urgence :« Je ne crois pas à la valeur des existences séparées. Aucun de nous n’est complet en lui seul. » Il y a dans cette vision du monde une référence tchékhovienne, l’art d’être ensemble tout en sachant devoir se quitter. Des ballons rouges, au nombre de trente, signifient l’anniversaire de George, apportant leur couleur réjouie, leur forme et leur légèreté à un quotidien froid et figé : ils éclateront au moment de la guerre déclarée – fini la fête et la jubilation, l’ivresse et l’enchantement des débuts de l’existence. Toujours est-il qu’au milieu des chants et des danses collectives, le ravissement d’être au monde l’emporte haut et fort, à travers de jeunes interprètes singuliers qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. Incarnation vibrante de portraits de femmes et d’hommes délicats et lucides sur leurs défaillances. Un plaisir de théâtre ici et maintenant, un rendez-vous avec le regard prémonitoire de Virginia Woolf.
Écrire sa vie de Pauline Bayle, du 26 septembre au 21 octobre 2023, du mardi au vendredi 20h, samedi 18h, relâche dimanche et lundi, au Théâtre Public de Montreuil, centre dramatique national. Puis en tournée :
- 20 - 21 novembre Le Parvis, scène nationale de Tarbes - Pyrénées
- 8 - 9 décembre Châteauvallon Liberté, scène nationale, Toulon
- 14 & 15 décembre TCC - Théâtre Châtillon Clamart
- 13 - 16 février Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
- 5 - 8 mars Théâtre de la Croix-Rousse-Lyon