Le 100, Établissement Culturel Solidaire dirigé par Frédéric de Beauvoir et l’Abbaye Royale de Bourgueil se sont associés pour ouvrir la Thélème Théâtre École (T.T.E.) à la rentrée 2022, sous la direction pédagogique de Julie Brochen et Isabel Segovia (également directrice adjointe du 100ecs). Les étudiants reçoivent une formation de douze heures par semaine au 100ecs et sont encadrés toute l’année par un professeur référent, qui assure la cohérence de cette formation. Des temps de travail intensif et immersif à l’Abbaye Royale de Bourgueil rythment la saison d’apprentissage : ces stages permettent aux apprentis comédiens de rencontrer un spécialiste, une technique ou un auteur durant une semaine. Les étudiants sont également amenés à jouer en public et à se familiariser avec les impératifs de construction d’un spectacle professionnel, afin de se préparer à tous les aspects de leur futur métier.
Pourquoi avoir choisi la référence à Gargantua pour nommer cette nouvelle école ?
Frédéric de Beauvoir : Cette école est portée par deux projets : celui du 100ecs et celui de l’Abbaye Royale de Bourgueil, qui a servi de modèle à Rabelais pour imaginer l’abbaye de Thélème. Cette utopie (la première utopie dans la littérature française, la deuxième au monde après celle de Thomas More) et une des rares utopies joyeuses où les gens apprennent ensemble et y prenant plaisir. La devise de ce modèle pédagogique est « Fais ce que voudras », ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit de faire tout et n’importe quoi mais de réaliser ce pour quoi on est fait. « Fais ce pour quoi tu es fais. », pourrait-on dire, pour être davantage explicite. Les étudiants sont là pour réussir à réaliser ce qu’ils ont en eux et que Julie essaye de révéler au plateau. Ce qui rend l’être humain supérieur, c’est de réaliser son être profond. On se dirige souvent vers les métiers artistiques avec l’impression que l’on a, en soi, quelque chose à développer. Tout le monde peut découvrir son être profond. On peut l’être en étant boulanger comme en étant comédien. L’important est d’œuvrer, de se faire « œuvriers », comme j’aime à dire, c’est-à-dire de découvrir quelle œuvre on porte en soi.
Comment choisissez-vous les étudiants ?
Julie Brochen : Nous avons choisi ceux de la première promotion selon des conditions assez classiques, sur la base d’une scène de théâtre imposée et d’une scène dite libre. Nous voulions des acteurs déjà formés, avec lesquels nous pouvons, dès la première année, proposer quatre premières petites formes. Nous les avons choisis avec leur potentiel, leur singularité. Nous n’avons pas fixé de limite d’âge, car nous savons d’expérience combien cette limite peut être discriminante. L’étudiante la plus jeune a 21 ans et la plus âgée, en réinsertion professionnelle, a 50 ans. Les garçons ont autour de 25-30 ans. L’intérêt artistique, c’est aussi qu’il est passionnant de mêler les âges dans le jeu.
Frédéric de Beauvoir : La sélection est liée au projet global de l’école : un parcours professionnalisant en trois temps. Il n'y a pas une première, une deuxième et une troisième année, mais trois temps pouvant être suivis dans un ordre propre à chaque étudiant. Le « temps du jeu » est celui de la formation de l’outil acteur ; le « temps du nous » est celui du travail de troupe sur scène, aussi nous invitons des metteurs en scène – comme Bernard Sobel, qui a été le premier à le faire avec La Mort d’Empédocle, créé en janvier 2023 au Théâtre de l’Epée de Bois – qui ont le projet de monter des spectacles qui intègrent des jeunes. Quant au « temps du public », il vise à soutenir les projets des élèves : on les aide alors à constituer leur troupe et monter leurs projets.
Julie Brochen : Les prochaines auditions auront lieu les 5, 6 et 7 juin prochains. Lors des auditions, on dirige les étudiants, en fonction de leurs capacités et de ce qu’ils savent déjà faire puisqu’ils ont déjà suivi des cours, vers un des trois temps, un peu comme dans une pépinière de talents. Le groupe de cette année compte 19 étudiants qui ont déjà suivi entre deux et trois ans de cours. Ils viennent de Lyon, Marseille, Toulouse, de Suisse, de Paris. Les trois étudiants venus de Belgique sont repartis à cause du coût exorbitant de la vie parisienne.

Quel est le coût des études au T.T.E. ?
Isabel Segovia : Les frais d’inscription coûtent 210 euros et la scolarité 420 euros par mois ou 4000 euros si on paie à l’année. Le tout pour douze heures de travail par semaine et six stages logés et nourris à l’Abbaye Royale de Bourgueil. Cela coûte, c’est une évidence, mais nous faisons aussi en sorte que l’inscription dans cette école rapporte. Ainsi, les étudiants qui ont joué dans La Mort d’Empédocle se sont vu payer le mois d’école pendant lequel ils jouaient par la compagnie de Bernard Sobel. Quand ils sont sur scène, le retour peut-être aussi financier.
Julie Brochen : Nous voudrions rapidement constituer une caisse de l’école pour soutenir les projets. Pour cela, il nous faut trouver des fonds. Si, lors des auditions, nous avons un coup de cœur, il nous faudrait également pouvoir octroyer des bourses. Voilà pourquoi nous avons commencé à solliciter les fondations et le mécénat.
Frédéric de Beauvoir : Un théâtre-école suppose que les étudiants soient sur scène. Notre idée est de parvenir à faire tourner les spectacles dans lesquels ils jouent, afin de les amener vers le travail. Ce pourquoi nous insistons aussi beaucoup sur la formation à la production de spectacles, chose rarissime dans les écoles classiques.
Quelle est la vie quotidienne de cette école ?
Isabel Segovia : L’essentiel de la formation se passe au 100ecs, qui est un peu comme le camp de base des étudiants. Le 27 mars, ils partent à l’Abbaye Royale de Bourgueil travailler en immersion autour de Beckett avec Christophe Collin, après avoir travaillé avec Elsa Bosc et Yaël Elhadad sur Lagarce. Ils travailleront ensuite avec le cinéaste Lyèce Boukhitine, puis avec René Loyon sur Molière. Nous avons aussi un partenariat avec l’ESEC dont les élèves scénaristes travaillent avec nos élèves pour les familiariser avec la caméra. Lors du « temps du public », un projet de cinéma est possible. Olivier Sitruk nous a proposé de travailler avec lui. Dans la mesure où, au 100ecs, Frédéric a voulu créer des liens entre les différents arts, en regroupant les propositions dans une programmation thématique, les étudiants peuvent occuper les ateliers et travailler en peinture, sculpture, répéter quand ils le veulent quand les salles de répétition sont libres, assister à tous les spectacles. Ils sont dans un établissement culturel et s’en saisissent pleinement, ce qui les dynamise et dynamise leur lien avec les arts.
Qu’est-ce qui vous a manqué dans votre propre formation et que voudriez apporter aux étudiants ?
Julie Brochen : Rien ne m’a vraiment manqué mais ce qui m’a le plus apporté, ce sont les contradictions entre les enseignants. Cela permettait de puiser en chacun pour ensuite décider de son propre chemin et construire son idée du théâtre. Je tiens, en ce sens, à l’idée d’un laboratoire, qui unirait ma conception du théâtre, de l’enseignement et de la transmission. Voilà pourquoi je pense à des gens très différents pour intervenir. Cette dialectique joue également entre nous trois : la direction collégiale permet une musique originale à six mains.
Isabel Segovia : Quelque chose manque dans les écoles au niveau de la production. Nous pensons très important de leur enseigner les techniques de production et d’administration, ce qu’on leur propose grâce à l’entreprenariat culturel qui est complètement intégré au « temps du public ». Pour ce troisième temps, nous sommes déjà en train de sélectionner les projets qui vont être portés, et au début de la saison prochaine, on démarre complètement.
Les préparez-vous aux concours ?
Julie Brochen : Quand ils veulent travailler des scènes pour passer des auditions (au CNSAD, au TNS, à l’Esca) je les accompagne évidemment dans la préparation, mais ce n’est pas la vocation de l’école.
Frédéric de Beauvoir : Ce n’est pas son but. Les écoles sont d’ailleurs trop dirigées vers les concours : la nôtre se veut plutôt une école du métier. Dans l’idéal, nous voulons créer des spectacles professionnels en fin d’année dont on espère qu’ils tourneront. Idéalement, ils pourraient sortir de l’école avec l’intermittence. C’est notre objectif à terme.
Le 100, Établissement Culturel Solidaire, 100, rue de Charenton, 75012 Paris. Téléphone : 01 46 28 80 94. Site : https://100ecs.fr/tte-ecole/