Des adjectifs reviennent régulièrement sous les plumes des critiques des 26000 Couverts : « déjanté », « foutraque », « décoiffant », « fracassant », « explosif ». « Canular » et « dérision » reviennent souvent dans la bouche de Philippe Nicolle, son directeur artistique. En bientôt trente ans d'existence, la compagnie a soigneusement miné de multiples terrains : du guide touristique à la rencontre sportive, du théâtre forain au boulevard, du théâtre classique à la comédie musicale en passant par la télévision. Les 26000 Couverts, c'est la comédie dans ce qu'elle a de plus profond : toujours en prise sur une réalité contemporaine qu'elle dynamite par le rire, le non-sens et une poésie du loufoque.
Prendre au sérieux la farce, ce pourrait être la ligne directrice. En rue, en salle, à 26 ou à 2 comédiens, les 26000 Couverts ont mis le rire, la parodie au cœur de leur travail. Dès sa première esquisse, avant même que Pascal Rome et Philippe Nicolle n'aient décidé de fusionner leurs équipes respectives, Sens de la visite, créé en 1994, donnait le ton. Cette déambulation iconoclaste sur fond de légendes urbaines dézinguait joyeusement le genre de la visite touristique, en inventant une histoire parallèle. Le vrai, le faux, l'imposture, le théâtre là où on ne l'attend pas : les ingrédients étaient là. L'une des caractéristiques des 26000 Couverts est de toujours risquer d'être pris au premier degré. Les Petites Commissions (1995), spectacle sans convocation qui les voyait se mêler aux forains dans les marchés en fut le deuxième exemple. Invité d’honneur : La Poddémie, en 1997, initiait une autre forme d'imposture : le thème de la peuplade francophone imaginaire revisitant le mythe du bon sauvage, opposé au prototype de l'animateur de supermarchés. Au-delà de la farce, la pièce marquait une véritable interrogation sur le racisme et le goût pour l’exotisme de pacotille. Créé en 1998, plusieurs années avant que ne s'impose la téléréalité, Direct !, que Philippe Nicolle qualifie de « spectacle d'inspiration bourdieusienne » sur la télévision, invitait les spectateurs à une prise d'antenne clandestine. Ils devenaient les acteurs d'une manipulation médiatique dont le spectacle révélait les coulisses via l'absurde. Ce spectacle a d'ailleurs fait l’objet d’une adaptation télévisuelle sur Arte.
Avec Le 1er Championnat de France de N'importe Quoi (2003), les 26000 Couverts se sont lancés dans l'exploration déjantée d'une autre mythologie, celle du sport. C'est dans les gymnases que les comédiens se livrent au lancer de sapins de Noël, à la natation synchronisée sans eau ou au gymkhana de flûtes à becs.
Le touche-à-tout revendiqué n'exclut pas des lignes de force. Qu'ils s’attaquent au cabaret, au boulevard, au cirque, les 26000 mettent leur savoir-faire à dézinguer. Il y a du punk dans ce « do it yourself » qui endosse au plus près les codes de tous les genres pour mieux les exploser. Il y a aussi de l'amour évident pour toutes les manifestations de la culture populaire : le théâtre forain, le bal, le cabaret, comme fil conducteur de leur travail. Aussi dévastateurs que soient le rire et la parodie, ils ne tournent pas à l'aigre. Leur démontage en règle va de pair avec une empathie.
Avant de parodier, il faut maîtriser les codes et c'est un jeu dont ils raffolent manifestement. Comme les Monty Python auxquels la critique les a souvent comparés, ils jouent l'absurde avec un sérieux confondant.
Et il y a aussi, précisément, le refus, politique, de confondre cette culture populaire avec la manipulation et l'abrutissement. Les 26000 Couverts ne font surtout pas dans le discours didactique direct. Mais quand ils s’en prennent au mythe du bon sauvage dans Invité d’honneur : La Poddémie, à la télévision dans Direct !, à l'hypnose provoquée par le sport dans Le 1er championnat de France de N'importe quoi, aux tics de la distinction culturelle dans Beaucoup de bruit pour rien (2006), aux risques de destruction de la planète dans Chamonix (2022), ils exposent sans avoir l'air d'y toucher des sujets de fond, comme toute comédie digne de ce nom, sans lourdeur et avec autodérision.
« 1er Championnat de France de N'importe Quoi », 2003