Marion Siéfert a connu une trajectoire fulgurante, rattrapée par un monde du théâtre qui l’a longtemps tenue à l’écart. D’une performance bricolée en Allemagne en 2015 à une création à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en 2023, quelques années seulement lui ont suffi pour s’imposer comme l’une des figures majeures du théâtre français contemporain. Créatrice de dispositifs étonnants, autrice et metteuse en scène qui porte sur scène des pans d’une culture qui lui échappent d’ordinaire, Marion Siéfert, la trentaine intrépide, incarne la possibilité d’une vraie relève, au féminin.
C’est une légende comme on les aime, celle d’une artiste qui a bataillé pour s’imposer, célébrée aujourd’hui par ceux-là même qui, hier, la rejetaient. C’est aussi l’Allemagne et une autre manière d’apprendre et de considérer le théâtre que raconte la vie artistique de Marion Siéfert. Passée par l’Université de Gießen (et de Nanterre) et les performances qu’on bricole à peu de moyens, elle a abordé la scène loin des formations habituelles.
Elle invente un théâtre 2.0, en prise avec l’époque et les pratiques de sa génération, qui surfe sur le web et la culture numérique, jouxte le réel, l’onirique et le virtuel et s’amuse à questionner les représentations au revers du spectacle. Pour sa première création en 2016, elle trace les données laissées sur Facebook par ses spectateurs. Puis se glisse dans la vie d’une petite fille pour regarder le monde. Elle diffuse le livestream d’une ado dans sa chambre en direct sur un plateau, donne à entendre les vies d’une smurfeuse et d’une rappeuse, d’un employé d’origine turque de la mairie d’Aubervilliers. Jeunesse, féminine surtout, éveil à la sexualité, à l’amour, rapport à la norme et ombre de la pédophilie traversent des spectacles qui font entrer le numérique et les réseaux sociaux sur la scène. En témoigne encore Daddy en 2023.
Avec sa théâtralité novatrice nourrie d’une écriture qui s’affine et s’affirme au plateau, qui, pour reprendre ses thèmes, « vampirise » les autres et sa propre vie, Marion Siéfert est une travailleuse du temps long qui remodèle sans cesse son ouvrage. Avec toujours comme ligne d’horizon, l’esthétique de spectacles capables de produire de l’événement et du dissensus, postulant que c’est d’eux que viendra le plaisir.