Marion Siéfert est entrée dans le monde du théâtre par la fenêtre. Pas de grande école nationale, à peine une formation de jeu. C'est l'Université et l'Institut d'études théâtrales appliquées de Gießen en Allemagne qui lui donnent l'occasion d'expérimenter d'autres manières de faire. Très vite, son originalité, son culot sautent aux yeux et, en sept ans, elle passe de l'anonymat à la reconnaissance institutionnelle.
Par la fenêtre
Si l'on aime les histoires d'artistes qui se construisent à la marge, envers et contre tous, Marion Siéfert est la cliente idéale. À Orléans, dès la seconde, elle tente d'entrer au conservatoire municipal mais n'est pas acceptée. Elle en développe un complexe qui restera tenace. « Je suis restée longtemps à me demander comment faire. Quand on est jeune, on se dit qu'on n'est pas assez bon, que les autres sont meilleurs. Plus tard, j'aurai toujours l'impression que je n'en avais pas fait assez, que les autres avaient déjà fait des cours et pas moi ». Après son bac, elle intègre donc une prépa littéraire, toujours à Orléans, et suit un cours avec un prof de théâtre qui s'avèrera être, dit-elle, « un grand pervers ». Elle se forme ensuite à l'École du jeu à Paris dont elle n'apprécie toutefois pas « le côté gourou ». Elle poursuit à Lyon mais n'a pas assez de pratique pour avoir le droit de se présenter au conservatoire municipal. Échec à nouveau. Elle part alors à Berlin et tente de trouver des ateliers à la fac. Rien. Pendant longtemps, le théâtre semble se refuser à elle. Heureusement, Gießen se profile à l'horizon.
Si l'on aime les histoires d'artiste aux vocations précoces encouragées par un entourage bienveillant, Marion Siéfert fait également l'affaire. Née à Arcueil, elle est rapidement partie vivre dans un village proche d'Orléans. Sa mère, très croyante, s'arrête de travailler à sa naissance et l'inscrit à l'école publique plutôt que dans le privé catholique. Cette mère protectrice aime beaucoup lire, ce qui explique peut-être que Marion Siéfert se fantasme dès le plus jeune âge en écrivaine. Et en actrice. « J'ai toujours fait des spectacles et des petits films avec la caméra de mon père. J'ai toujours aimé créer avec d'autres pendant les vacances ou les week-ends. J'ai toujours aimé construire des choses avec d'autres ». Ses romans, la future dramaturge ne les finit pas. Mais ses spectacles et ses films oui. Sur le chemin de la maturation de son désir, elle rencontre en primaire un employé de la cantine qui propose aux enfants de monter des comédies musicales. Elle se produit dans l'école pour Noël et devant des comités d'entreprise. Puis en seconde, un prof de théâtre écrit une pièce « semi-pro » et l'embarque dans l'aventure. « J'ai adoré ». Dans ce parcours parsemé des soutiens qui la construisent, la prochaine étape sera Gießen.
Gießen
Reprenons donc. Marion Siéfert a maintenant la vingtaine. Elle vit à Berlin car elle s’est inscrite en master de littérature allemande. Mais elle sent que son destin lui échappe. Que la réalisation de ses rêves s’éloigne. « Déprimée », elle compense en allant voir beaucoup de spectacles, découvre notamment les groupes She She Pop, Blog Squad ou le metteur en scène René Pollesch et apprend qu’ils ont tous étudié à Gießen. L’été 2012, elle fait un stage au service communication du Festival d’Avignon, rédige des textes de présentation, des surtitres pour les spectacles, sent qu’elle peut encore se rapprocher de son élément. Elle décide donc de faire un master II en études théâtrales à l’Université de Nanterre, obtient une bourse. Elle se rend au festival (tjcc) [très jeunes créateurs contemporains] organisé au T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National et rencontre des artistes venus d’Allemagne... D’où ? De Gießen évidemment.

Gießen, Gießen, Gießen… Marion décide alors de découvrir cette université qui produit ce théâtre qui lui plaît tant et construit son projet de master II autour de l’Institut d’Études Théâtrales Appliquées. Au cours d’une édition du Diskurs, festival que l’Institut organise chaque année depuis 1984, elle commence à se faire des amis là-bas. L’une d’elle lui propose de l’engager comme dramaturge. Marion y fera donc sa thèse. Officiellement.
En réalité, elle « passe moins de temps à la concevoir et l’écrire qu’à monter des projets scéniques », explique-t-elle, et s’installe dans un endroit comme il n’en existe pas en France, pour le théâtre. « Ça a un côté très autodidacte, on ne met pas les gens dans des cases, on s'interroge sur ce que peut le théâtre, il n'y a pas besoin d'être un grand acteur pour monter sur scène, on y touche à tout, on y mélange tout et l'aspect théorique n'est pas dévalorisé ». Une aubaine pour celle à qui l'on opposait qu'elle réfléchissait trop pour devenir actrice. Elle monte donc un premier spectacle pour le festival étudiant Theatermachine, 2 ou 3 choses que je sais de vous (2016).
Teaser 2 ou 3 choses que je sais de vous - La Commune CDN Aubervilliers
« Je crois qu’on arrive aux choses en forçant des portes ou en entrant par la fenêtre. Sinon, on passe sa vie à attendre devant la porte et quand elle s’ouvre, on est déjà mort. Je voulais faire. Ma génération a été clouée par un sentiment fort d’impuissance et d’échec. La sensation qu’on n’avait pas d’avenir et qu’il n’y avait pas de place pour nous. Il a fallu retrouver des figures de l’ombre et de la nuit, les vampires et les cambrioleurs, pour commencer à faire 1 ». confie-t-elle.
- 1https://www.fonds-porosus.org/portrait/marion-siefert/
L'ascension
Dans 2 ou 3 choses que je sais de vous, Marion interagit avec le public maintenu en pleine lumière. Sa performance est remodelée chaque soir puisqu'elle s'appuie sur les traces laissées par les spectateurs sur le Web. À chaque représentation, Marion révèle quelques-uns des récits que ces derniers déploient sur Facebook en jouant parmi eux le rôle d’une créature étrangère qui cherche à se faire des amis. Repérée par le milieu, cette performance lui permet de produire ensuite Le Grand Sommeil (2018), spectacle qui fera grand bruit à son tour. Marion laisse cette fois le plateau à Helena de Laurens et à sa jeune cousine Jeanne, âgée de 13 ans, qui ont l’intention de s’y prendre pour des vampires. Seulement, Jeanne abandonne le projet en cours de route. Marion Siéfert décide donc de repenser le spectacle et le recentre sur l’histoire de ce projet initial avorté et sur le personnage de sa jeune cousine qu’interprète d’une façon organique et troublante le corps contorsionniste et grimaçant de son aînée Helena de Laurens. Gros succès.
Teaser Le Grand Sommeil - Théâtre de Châtillon
La metteuse en scène Marie-José Malis, directrice de La Commune, lui propose dans la foulée de devenir artiste associée de ce centre dramatique national situé à Aubervilliers. « Un immense changement. Ils ont repris la production déléguée de mes pièces, n'ont eu aucune intrusion dans mon travail, m'ont traitée avec générosité, confiance et respect, sans paternalisme, avec des échanges très profonds sur ce qu'on avait envie de faire au théâtre et sur comment s'adresser aux gens d'Aubervilliers ». Elle y crée _jeanne_dark_ (2020), spectacle retransmis en direct sur Instagram, où Helena de Laurens, encore, joue son double adolescent – une jeune fille coincée dans sa chambre , son corps qui change et s'éveille. Immense succès. Elle crée ensuite deux pièces d'actualité – DU SALE ! (2019) et la dernière partie de Güven, avec ce jeune Albertivillarien amateur qui tient la scène pendant plus d'une heure et demie, entre stand-up et confession intime, autour de la rencontre entre deux mondes, celui du théâtre et celui des quartiers populaires de banlieue. L'institution du théâtre public rattrape donc celle qu'elle avait tenue à l'écart...

Marion Siéfert devient également artiste associée au CNDC d'Angers et au Parvis - scène nationale de Tarbes. Puis, c'est l'Odéon, Théâtre national, qui accueille Daddy (2023). Une consécration ? « Je le perçois comme j'ai perçu Aubervilliers, comme un endroit où je crée, avec des spécificités propres au lieu, architecturales notamment, et qui m'offre une visibilité plus grande encore ». Il n'empêche... Trois heures trente d'un spectacle à grands moyens, qui mélange les univers du théâtre, du cinéma et des jeux vidéo. Six interprètes au plateau, dont la jeune Lila Houel, 15 ans. Son personnage : une jeune fille de 13 ans, de milieu modeste baigné de l'accent du Sud – comme la mère de Marion – et qui rêve de devenir actrice... Toute ressemblance entre Mara et Marion est-elle fortuite ? Le spectacle se termine sur ses mots « Je ne suis pas un monstre, je suis une actrice ».
Teaser - Daddy de Marion Siéfert - La Commune CDN Aubervilliers
