Depuis 20 ans, Sylvain Creuzevault et sa troupe inventent une manière singulière, radicale et joyeuse de faire du théâtre ensemble. Mettant en pièces les grandes œuvres littéraires, leurs créations collectives, où le rire tient à distance toute velléité moralisatrice, entreprennent de nous relier à l'histoire pour mieux relire notre présent.
Sylvain Creuzevault est un artiste en état d'ébullition permanente. Son parcours radical, intransigeant, à la fois stakhanoviste et libertaire, donne le ton de ses mises en scène. En découle un théâtre atypique et utopique, lucide et (donc) délirant dont son Singe (cette compagnie qui jadis s'appelait D'Ores et Déjà) a le secret. Ce parcours s'est déployé avec (et grâce à) d'autres – à commencer par Louis Garrel, Arthur Igual et Damien Mongin.
Depuis 2002, leurs créations collectives ont permis d'imposer une certaine vision du théâtre, où tout part de l'acteur, autant qu'un projet artistique au long cours : retracer patiemment la généalogie des luttes de classes et de générations qui, à partir des Lumières, ont fait de nos sociétés malades ce qu'elles sont ; nous réapprendre l'histoire sans jamais nous donner de leçons, mais dans une joie et une bonne humeur contagieuses, à la (dé)mesure du délire ambiant…
De Notre Terreur (2009) à EDELWEISS (France fascisme) (2023), en passant par Marx, Goethe, Dostoïevski et Peter Weiss, ces créations sont le fruit d'un intense travail de préparation et d'improvisation, d'un constant va-et-vient entre la table et le plateau : une remise sur le métier permanente que la création ne suffit pas à arrêter. D'Ivry-sur-Seine à Eymoutiers, retour sur un cheminement dont, jusqu'ici, la morale pourrait être : plutôt que du théâtre politique, mieux vaut faire politiquement du théâtre.
Nb : Sauf mention contraire, les propos cités dans ce portrait proviennent de trois entretiens réalisés avec Sylvain Creuzevault pour le Festival d'Automne à Paris.