Julien Clément et Nicolas Mathis, directeurs artistiques du Collectif Petit travers, livrent leur point de vue sur les questions et les difficultés que soulève l'usage de références ou d'emprunts à des œuvres en tant que motifs déclinés dans de nouvelles créations. Mentionnés dans une vidéo anonyme qui compare de courts extraits de spectacles de Yoann Bourgeois à ceux d'autres artistes, ils disent leur crainte que ce type de polémique produise une dérive consistant à privatiser le travail artistique et plaident pour une éthique de la reconnaissance entre artistes.
Voici trois semaines, nous avons découvert la vidéo L’usage des œuvres sur les réseaux sociaux et par l'intermédiaire d'un mail adressé à la compagnie portant la mention « Vous n'êtes pas Yoann Bourgeois ».
Comme beaucoup, nous avons été tout d'abord interloqués par cette longue suite d'images doubles, ce flot de comparaisons entre des extraits d'œuvres troublants de similitude. Nous avions déjà connaissance de la plupart des cas individuels mais ainsi compilées, les images prennent une force particulière.
Depuis, la polémique enfle, contraignant les artistes concerné·e·s à prendre la parole afin de se positionner quant à ce que cette vidéo révèle.
Cela n’est pas simple, d’abord car celle-ci n’est pas signée ni revendiquée. Elle n’est accompagnée d’aucun commentaire, d’aucune mise en perspective ou problématisation. Elle laisse donc à qui la visionne le soin et la charge de la penser.
Cela n’est pas simple non plus car, en tant qu’artistes mentionnés dans cette vidéo, nous sommes mis dans une situation délicate : si nous tentons de réfléchir à son contenu et à ses motivations, nous risquons de voir cela interprété comme une caution que nous lui donnerions, ou d’être mus par une forme de jalousie à l’égard du succès de Yoann Bourgeois. Les risques sont réels, notre position d’artiste pourrait s’en trouver fragilisée, alors que nous œuvrons patiemment à la construire dans un environnement complexe. D’un autre côté, si nous gardons le silence, cette absence de parole peut être vue comme une position par défaut et être elle-même interprétée. Le silence devient bavard, sans que nous ayons prise sur ce qu’il est censé signifier. Notre situation d’énonciation n’est pas confortable.
Cela se complique encore sur le plan personnel et intime, car nous avons une longue relation d’amitié avec Yoann Bourgeois, qui comme toute amitié est chose précieuse et fragile.
Nous avons décidé de prendre le temps de construire une parole, en espérant que cela permette d’éviter que des questions de fond ne se transforment en dispute vaine et malsaine.
En prenant acte que cette vidéo n’est pas signée, qu’on ignore quelles sont les motivations et les intentions de ses auteur·trice·s, est-il possible de produire une parole à partir d’elle qui en reste distincte ? Peut-on espérer faire de cette polémique l’occasion de produire des éléments d’un questionnement fécond sur la situation actuelle de l’art vivant, et des arts du mouvement en particulier ?