Il y a bien des chances que, pour Marine Gramond, la valeur n’attende pas le nombre des années ! Brillante en Paulina dans Le Conte d’hiver et épatante en Capitaine Crochet dans Wendy et Peter Pan, elle fait partie des élèves de la promotion 2023 du CNSAD qui ont joué avec la troupe du NTP lors du festival 2023. Rencontre avec une jeune femme qui a tout pour devenir une grande comédienne. On la retrouvera dans Bérénice, mise en scène par Jean-René Lemoine, en 2025.
Comment avez-vous découvert le théâtre ?
Marine Gramond : Enfant, j’étais timide et seule. Quelqu’un a dit à mes parents « elle devrait faire du théâtre ». J’ai rejoint le Cours Florent Jeunesse tous les samedis. C’est devenu un rendez-vous que j’attendais avec impatience : j’avais hâte d’être au samedi et de retrouver mes amis ! Au lycée, il me semblait évident que j’allais continuer. J’ai commencé des études de droit et je me suis donnée un an pour réaliser ce projet. J’ai intégré la classe libre du Cours Florent pendant deux ans et après le Conservatoire. Voilà !
Qu’avez-vous appris au Conservatoire ?
Marine Gramond : Plus que les murs, ce sont les professeurs qui m’ont marquée. J’ai fait la rencontre de la personne que je ne savais pas que j’attendais, Nada Strancar. Elle enseigne sans installer de compétition entre les élèves ; elle porte une attention particulière à chacun ; elle travaille avec l’intelligence collective, dans la douceur et dans une grande exigence, envisageant le texte comme une partition. J’ai appris avec elle comment la technicité nous amène à suivre le rythme du texte et à se laisser porter par lui quand on arrive au plateau. J’ai aussi beaucoup appris avec Sylvie Deguy, notre professeur de chant. On est toujours à nu quand on chante, très stressé : Sylvie Deguy nous fait des retours avec une douceur et une précision incroyables. Ce qui m’a plu au Conservatoire, c’est son aspect de laboratoire. On met du temps à rencontrer le public, seulement en fin de deuxième année. On passe un an et demi avant de se confronter à lui, ce qui est certes très frustrant mais offre le temps d’un vrai laboratoire. Il est passionnant d’avoir le temps d’explorer un rôle sans être pressé par une dead line ou les exigences de rentabilité financière, bref, tout ce qui stresse habituellement le processus de création. Je sors en décembre 2023 du CNSAD car la scolarité de ma promotion a été décalée de six mois à cause du Covid. Le spectacle de sortie est mis en scène par Jean-François Sivadier. J’avais choisi des scènes d’Italienne scène et orchestre pour les tours d’entrée : j’ai l’impression de boucler la boucle.
Comment avez-vous rejoint le NTP pour le festival 2023 ?
Marine Gramond : Lors de la dernière année du Conservatoire, sont organisés quatre spectacles de sortie. Les trente élèves sont divisés en deux groupes. Cela donne donc huit spectacles, même si chaque élève n’en fait que quatre. Nous faisons des vœux entre les différents intervenants : ils sont, la plupart du temps, exaucés. J’ai choisi le NTP car j’avais entendu parler d’eux depuis longtemps : ils sont venus nous présenter leur projet et ses contraintes avec la promesse de nous embarquer avec eux dans le festival : monter trois spectacles en dix semaines et jouer en août avec eux. Nous avons commencé par faire des lectures du Conte d’hiver et des deux spectacles pour enfants, en distribuant les rôles au hasard, puis repris les lectures une fois la distribution fixée. Faire des spectacles rapidement leur demande une organisation quasi militaire. Tout était pensé en amont : la scénographie, les costumes, les lumières. Certaines choses s’arrangent au dernier moment mais le travail de préparation est énorme. Les treize jours de répétition sont entièrement consacrés au jeu. Tout est au service de l’objet. Nous avons joué trois fois à l’A.E.R.I., à Montreuil, puis tout laissé reposer en boîte jusqu’au mois d’août.
Que retenez-vous du festival ?
Marine Gramond : Le moment le plus marquant a été la première du Conte d’hiver. C’était la première fois que je jouais devant six cents personnes et, pour la première fois, pas seulement des comédiens ou des gens que je connaissais. Il fallait s’adapter au plein air : dans ces conditions, il y a des choses qui ne pardonnent pas ! Il faut faire durer les phrases pour que le dernier rang entende, se placer de manière à ce que les mots ne se perdent pas dans les arbres. Comme les spectacles sont répétés en treize jours, il y a des choses, des touches de mise en scène qui bougent tous les jours. Cela permet d’être toujours au présent avec les gens. Et il y a eu un moment extraordinaire où j’ai eu l’impression d’être à ma place. J’avais très peur et puis en plein milieu, devant ces six cents personnes, je me suis sentie bien, à l’endroit où j’avais envie et besoin d’être…
Le NTP, en résumé, c’est quoi ?
Marine Gramond : La joie d’y être et d’être à fond ! L’impression qu’il ne peut rien se passer de grave à part le fait que l’on s’amuse. C’est ce que les membres de la troupe nous ont transmis. Avec mes camarades de classe, nous avons eu la chance de rencontrer cette troupe formidable, qui nous a montré que c’était possible de faire groupe, de jouer Claudel dans un jardin sous les étoiles et d’embarquer six cents personnes sur son bateau. Le NTP c’est la liberté de création. Ils n’ont pas de maîtres, sinon la météo. Ils peuvent tout faire ou du moins essaient au mieux de réaliser l’impossible. Et tous ensemble ! Pendant le festival, il y a une bienveillance et une écoute assez dingues de la part du public. On boit un verre après le spectacle, dans une sorte de bord plateau informel. Les gens peuvent avoir besoin de dire ce qu’ils ont ressenti. Au début j’avais peur, je n’osais pas sortir de la maison. Mais une dame est venue, puis une autre : c’était hyper émouvant de parler aux gens. Quant aux rencontres avec les enfants, je me souviens d’un « c’était tellement vrai » qui nous a déchiré le cœur. Mon grand rêve, c’est qu’ils me rappellent ! Même si c’est éprouvant, fatigant, la récompense de jouer sous les étoiles vaut mille fois le coup !